En confirmant le droit de créer leur propre système de protection de l’enfance aux communautés autochtones, et ce, en toute conformité avec la Constitution canadienne, la Cour suprême du Canada a ouvert une voie royale à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, réclamée à hauts cris par ces derniers. Le Québec essuie du même coup une solide rebuffade puisque la plus haute cour du Canada estime que « l’architecture constitutionnelle » n’est pas ébranlée, retournant un Québec ronchonneur à l’échec de ses pourparlers avec les peuples autochtones.

Ce jugement de la Cour suprême est substantiel. Il confirme d’abord la validité de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, qui est venue consacrer le droit des Autochtones de disposer de leur propre système de protection de l’enfance. Il rejette ensuite les arguments du Québec, qui contestait la validité de cette loi devant les tribunaux sous l’angle de l’ingérence fédérale dans les compétences des provinces. La Cour suprême salue en quelque sorte les efforts originaux du Canada de concrétiser par voie législative la « réconciliation » espérée pour les Autochtones, et ce, en tout respect de « l’architecture constitutionnelle canadienne ». Ce jugement connaîtra inévitablement des suites.

Les peuples autochtones célèbrent avec raison l’importance du raisonnement du tribunal, car il touche à des pans essentiels de leur identité et de leurs revendications. Il porte sur la protection des enfants et des familles, par laquelle, au fil des décennies, ils ont subi tant d’offenses destructrices, qu’on pense seulement à la tragédie des pensionnats pour Autochtones. La cour reconnaît à la loi canadienne comme premier objectif et bénéfice celui de protéger les enfants autochtones « en promouvant la fourniture de services à l’enfance et à la famille culturellement adaptés ». Le tribunal consacre le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, soit le fait d’être autonomes et « de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales ». C’est une avancée magistrale.

Loin des chicanes d’interprétation constitutionnelle, la loi fédérale répond surtout à une réalité troublante. Dans le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, on note que « parallèlement au système des pensionnats indiens, le système de protection de l’enfance est […] devenu un processus d’assimilation et de colonisation dans le cadre duquel les enfants étaient retirés de force de leur foyer, puis placés dans des familles non autochtones ». Au Canada, selon les données du recensement de 2016, environ 7,7 % des enfants de moins de 15 ans sont Autochtones, alors qu’ils représentent 52,2 % des enfants placés en famille d’accueil privée, rappelle le jugement de la Cour suprême.

Au Québec, l’imposition du modèle québécois de DPJ dans les communautés autochtones hoquette, pour ne pas dire plus. Dans son rapport final, le commissaire Jacques Viens avait noté qu’il lui semblait « nécessaire et urgent que le contrôle exercé par les représentants de l’État soit réduit ». Même si le Québec a tenté des assouplissements à sa Loi sur la protection de la jeunesse pour consentir une meilleure prise en charge par les communautés elles-mêmes, ça n’a pas été jugé suffisant par les Premières Nations. Le Québec, qui avait fait si belle figure avec la paix des braves en consacrant les négociations d’égal à égal, a cumulé récemment les maladresses et les bévues en matière de relations avec les Autochtones.

Prônant une objection de principe à l’ingérence fédérale dans les affaires des provinces — une posture compréhensible, de manière habituelle —, le Québec a fait chou blanc en faisant valoir ses droits au détriment de ceux des peuples autochtones. En combattant devant les tribunaux avec opiniâtreté pendant quatre longues années, il a donné la fâcheuse impression qu’il n’était ni sincère ni proactif dans ses pourparlers avec les peuples autochtones. Son argument principal, celui de rejeter une loi fédérale qui venait carrément créer un troisième ordre de gouvernement autonome, est démoli par la Cour suprême. Oui, dit la cour, il y aura bel et bien trois États.

La semaine dernière, lors de l’étude du projet de loi 37 sur le commissaire au bien-être et au droit des enfants, le chef de l’Association des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, s’est étonné, à l’instar de Régine Laurent, que le projet ne prévoie pas de commissaire « autonome » pour les droits des enfants autochtones, mais plutôt un commissaire « associé ». Le tout s’est joué sans le consentement des nations autochtones, ce que M. Picard a qualifié d’« éprouvant ». À côté de la voie royale que le fédéral vient d’ouvrir à l’autonomie des peuples autochtones, le Québec fait donc figure d’empêcheur de tourner en rond. À l’heure de la réconciliation, les compromis de façade ne tiennent plus la route.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

QOSHE - Le jugement sur les DPJ autochtones est substantiel - Marie-Andrée Chouinard
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Le jugement sur les DPJ autochtones est substantiel

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13.02.2024

En confirmant le droit de créer leur propre système de protection de l’enfance aux communautés autochtones, et ce, en toute conformité avec la Constitution canadienne, la Cour suprême du Canada a ouvert une voie royale à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, réclamée à hauts cris par ces derniers. Le Québec essuie du même coup une solide rebuffade puisque la plus haute cour du Canada estime que « l’architecture constitutionnelle » n’est pas ébranlée, retournant un Québec ronchonneur à l’échec de ses pourparlers avec les peuples autochtones.

Ce jugement de la Cour suprême est substantiel. Il confirme d’abord la validité de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, qui est venue consacrer le droit des Autochtones de disposer de leur propre système de protection de l’enfance. Il rejette ensuite les arguments du Québec, qui contestait la validité de cette loi devant les tribunaux sous l’angle de l’ingérence fédérale dans les compétences des provinces. La Cour suprême salue en quelque sorte les efforts originaux du Canada de concrétiser par voie législative la « réconciliation » espérée pour les Autochtones, et ce, en tout respect de « l’architecture constitutionnelle canadienne ». Ce jugement connaîtra........

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