Il en a découlé un profit évident pour notre société, mais aussi un coût : que devient le cadre national qui est concerné directement ou indirectement par chacun de ces sujets et qui les conditionne au moins par ricochet ? Comment se porte l’idée de la souveraineté ? Dispose-t-on d’une nouvelle stratégie pour la relancer ? D’autres voies se présentent-elles pour tirer le Québec de sa torpeur ? Où en est la nation québécoise dans son rapport avec le fédéral ? Comment se défend-elle contre les multinationales ? L’action de la Coalition avenir Québec (CAQ) obéit-elle à un plan ? N’y aurait-il pas intérêt à remettre la nation sur le radar pour voir où nous en sommes ? Ces questions arrivent au bon moment, alors que le Parti québécois connaît une renaissance.

D’autres questions, tenues jadis pour primordiales, sont maintenant en retrait. C’est le cas de l’américanisation et de l’américanité, des paramètres démographiques de la nation, du rapport avec la France, de la comparaison avec d’autres « petites » nations, de la présence internationale du Québec — je ne mentionne pas le thème de la nation ethnique nation civique, il est dépassé.

Photo: Boréal «Le Duel culturel des nations», Emmanuel Lapierre, Boréal, Montréal, 2023, 208 pages

Mais voici que l’ouvrage récent d’Emmanuel Lapierre (Le duel culturel des nations, Boréal) renoue avec le débat national. Il y a lieu de s’en réjouir. C’est un livre qui a attiré l’attention avec raison. La réflexion est menée intelligemment dans un style d’une grande qualité : une langue claire, précise et souple qui navigue adroitement parmi les raffinements et les embûches, qui amuse aussi en interpellant parfois familièrement le lecteur, tout cela au service d’un exposé à la fois savant et très accessible. Cela, du moins pour la première moitié du livre.

De quoi est-il question ? Lapierre déblaie d’abord le terrain. Il prend congé du faux antagonisme ethnique civique, il affranchit le nationalisme de vieux procès qui lui ont été faits (exemple : il aurait imprégné le nazisme alors que ce dernier, au contraire, le combattait), il blanchit Johann Gottfried Herder de sa mauvaise réputation en faisant ressortir le penseur pluraliste, moderne, dressé contre l’ethnicisme, etc.

L’objectif principal de l’auteur dans ces premiers chapitres est d’explorer le concept de nation à partir de son histoire afin d’en tirer ce qui lui paraît essentiel et neuf, à savoir la notion de duel culturel des nations. Il construit son parcours d’une manière très pédagogique en le découpant, chaque étape donnant lieu à l’examen d’un pionnier qui a profondément marqué la pensée sur la nation. Le procédé crée d’abord une impression de dispersion qui se dissipe rapidement au fil de la lecture.

Là où il se montre le plus original, c’est dans sa façon de traiter Thomas Jefferson, qui a droit à plusieurs aperçus, répartis entre les premiers chapitres (plus loin, Lapierre procédera de la même façon avec Ernest Renan). Il en vient ainsi à une définition très positive de la nation.

À mi-chemin environ, la table est mise pour le plat de résistance : le « duel culturel » des nations. Ici nous attend une déception. L’auteur explique que les nations sont presque toujours en conflit entre elles. Il peut s’agir de conflits entre une métropole et ses colonies ou de nations au sein d’un même État, l’une dominante, ordinairement majoritaire, l’autre minoritaire, assujettie.

Il parle de duel parce que ce conflit serait le lieu d’une dialectique : la nation dominante attaque, l’autre se défend (le Québec offre une première illustration). L’auteur affirme que ce serait en vertu de ce mécanisme que la majorité des quelque 6000 cultures existantes aujourd’hui seraient vouées à disparaître vers la fin de ce siècle.

Pourquoi déception ? Parce que, à tout prendre, il y a ici peu de neuf, à part le concept. Ce « duel » est connu depuis longtemps sous d’autres noms. Dans de nombreuses sociétés, il y a d’un côté un pouvoir assimilateur et de l’autre des minorités résistantes. L’histoire en offre bien des exemples. Mais ce qu’on en retient surtout, c’est l’étonnante capacité de survie des nations dominées. Ce rappel jette de l’ombre sur la prédiction concernant la disparition de la majorité des cultures contemporaines.

L’autre moitié de l’ouvrage est composée d’aperçus bien menés qui illustrent par divers exemples le cas de nations minoritaires engagées dans un « duel » culturel (un chapitre inattendu, mais intéressant porte sur les Canadiens de Montréal et la discrimination envers les joueurs francophones au Canada). Mais encore ici, peu de neuf.

Le mot « duel » est-il bien choisi ? Un duel est un affrontement dont l’issue est incertaine entre deux adversaires qui disposent des mêmes armes, des mêmes moyens, et qui obéissent aux mêmes règles dictées par l’équité et par l’honneur. En plus, le coeur d’un duel réside dans une offense qui demande réparation. Nous sommes loin des cas évoqués, qui relèvent de luttes inégales dictées par une volonté de domination et parfois d’extinction.

On referme le livre avec la conviction que l’auteur, très talentueux, peut faire mieux. On souhaite aussi que son ouvrage contribue à en inspirer d’autres sur le même sujet.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

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Si on reparlait de la nation?

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23.03.2024

Il en a découlé un profit évident pour notre société, mais aussi un coût : que devient le cadre national qui est concerné directement ou indirectement par chacun de ces sujets et qui les conditionne au moins par ricochet ? Comment se porte l’idée de la souveraineté ? Dispose-t-on d’une nouvelle stratégie pour la relancer ? D’autres voies se présentent-elles pour tirer le Québec de sa torpeur ? Où en est la nation québécoise dans son rapport avec le fédéral ? Comment se défend-elle contre les multinationales ? L’action de la Coalition avenir Québec (CAQ) obéit-elle à un plan ? N’y aurait-il pas intérêt à remettre la nation sur le radar pour voir où nous en sommes ? Ces questions arrivent au bon moment, alors que le Parti québécois connaît une renaissance.

D’autres questions, tenues jadis pour primordiales, sont maintenant en retrait. C’est le cas de l’américanisation et de l’américanité, des paramètres démographiques de la nation, du rapport avec la France, de la comparaison avec d’autres « petites » nations, de la présence internationale du Québec — je ne mentionne pas le thème de la nation ethnique nation civique, il est dépassé.

Photo: Boréal «Le Duel culturel des nations», Emmanuel Lapierre, Boréal, Montréal, 2023, 208 pages

Mais voici que l’ouvrage récent d’Emmanuel Lapierre (Le duel culturel des nations,........

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