« C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches », écrivait Victor Hugo depuis son exil à Bruxelles. Spécialiste incontesté de la fiscalité et de l’escamotage des grandes fortunes en Belgique, Marco Van Hees reprend la maxime au vol dans son généreux et succulent Guide du richard, paru il y a quelques jours. Avec son aimable autorisation, l’Humanité vous propose aujourd’hui d’en découvrir un extrait édifiant, consacré à une visite de Néchin, une petite bourgade à la frontière franco-belge où de nombreux membres de la famille Mulliez ont élu domicile depuis des décennies. Les repérant « agglutinés à 700 mètres de la dictature robespierrienne honnie », Marco Van Hees leur décerne ce titre d'« exilés fiscaux les plus fainéants de France ».
« Monsieur, c’est pour quoi faire cet impôt national ? Dites-moi, il y a combien de fonctionnaires en France ? Quel est le rendement des fonctionnaires ? » Devant sa villa cossue de Néchin, Jean Mulliez (1932-2018) s’emporte alors qu’il est invité à discourir de sa délocalisation fiscale. Nous sommes en 2007, je guide une équipe de France 2 menée par le journaliste Jacques Cotta. Nous avons sonné aux portes de tous les Mulliez de la rue mais n’avons fait mouche qu’ici.
C’est initialement l’épouse du capitaliste français, Christine Gourlet, qui vient à nous. Jurant de prime abord n’être pas une Mulliez – assertion formellement exacte –, elle nous force à reculer jusqu’en bordure de chaussée en pointant un doigt autoritaire. Tandis que son mari arrive en renfort, le cameraman et le preneur de son feignent de se conformer aux vigoureuses sommations de s’abstenir d’enregistrer l’échange… qui sera malgré tout diffusé sur la chaîne publique subsidiée par l’impôt des résidents de l’Hexagone.
Petit à petit, le couple passe de la méfiance nerveuse à la confidence rieuse. « Ça fait 22 ans que je suis parti », raconte l’exilé fiscal, assurant que « tous mes coupons qu’on m’a pas piqués en étant en France, ils ont toujours été réinvestis dans des entreprises françaises ». Jacques Cotta lui demande s’il en possède encore, des titres. « Ben oui, j’en ai gardé plus en étant parti qu’avant », s’esclaffe-t-il. Moins enjouée, son épouse marmonne une complainte un peu confuse : « Il parait qu’on a tout. » « Ce n’est pas vrai ? », interroge le journaliste. « Vous savez bien… Il n’y a pas que l’argent… »
L’argent, certes, ne fait pas le bonheur. Et en jaugeant le malheur de ces altruistes exilés, nous pouvons corroborer les propos de Jean Mulliez quant à l’évolution de ses titres. L’économiste Benoît Boussemart, infatigable analyste de l’empire Mulliez, relève qu’en 2002, la société belge SAIG, contrôlée par notre allergique aux fonctionnaires et sa petite famille, détient un portefeuille de titres pour 13,3 millions d’euros. Chacune des années suivantes, le nombre et la valeur de ces titres s’accroît, pour atteindre 807 millions d’euros fin 2009.
En poursuivant l’exercice sur les années postérieures à la publication de l’ouvrage de Boussemart, nous constatons que lorsque SAIG est absorbée en 2015 par Ganemede Belgium, société anonyme des mêmes actionnaires, le portefeuille atteint 897 millions d’euros. Et dans sa nouvelle coquille, le paquet de titres poursuit son ascension pour atteindre 1,4 milliard d’euros dans les comptes annuels 2021. Soit 106........