Laïcité et victimisation : l’enquête choc qui révèle à quel point se creuse le fossé entre les musulmans et les autres Français

Atlantico : D'après les résultats de l'enquête IFOP, une très large majorité de français musulmans (78%) partagent le sentiment que la laïcité telle qu'elle est appliquée aujourd'hui par les pouvoirs publics est discriminatoire envers les musulmans. Faut-il s'en inquiéter ? Comment expliquer que la laïcité des institutions et de l'Etat leur paraisse discriminante ?

Guylain Chevrier : Il faut certainement s’en inquiéter, car cette enquête confirme des points saillants qui mettent en évidence un niveau du problème que l’on pressentait de longue date. Près de 20 ans après la loi du 15 mars 2004 interdisant les signes religieux ostensibles à l’école, une large majorité de nos concitoyens de confession musulmane souhaitent l’abroger. On aura à l’esprit ce flottement qu’a connu la laïcité pendant 15 ans, entre les premiers voiles dans l’école en juin 1989, à quoi le gouvernement de l’époque n’a pas su ou voulu répondre, et la loi de 2004 venant rappeler la laïcité de l’école. Ce qui a sans doute fait beaucoup de mal.

Dans ce prolongement, les deux tiers d’entre eux (65%) se disent favorables au port de couvre-chefs à caractère religieux (ex : voile, kippa…) dans l'enceinte des collèges et lycées publics, l’ensemble des Français y sont favorables à seulement 18%. On notera que 52% des sympathisants LFI les soutiennent. Le fait que la laïcité soit ressentie comme étant appliquée de façon discriminatoire, est une idée particulièrement présente parmi les plus jeunes musulmans (80% des moins de 25 ans) et les plus progressistes (89% des musulmans se situant politiquement très à gauche).

L’introduction de menus à caractère confessionnel (ex : viande halal, viande casher…) à la cantine (à 83%), revendiquent le droit des jeunes filles « à ne pas assister aux cours de natation pour des raisons religieuses » (à 54%), mettant ainsi en cause la mixité filles/garçons. Plus problématique encore, si on peut dire, le fait pour des élèves de « ne pas assister aux cours dont le contenu heurterait leurs convictions religieuses » (à 50%). Allant ainsi à l’encontre du sens même du rôle de transmission de l’école, de l’objectivité du savoir, le service public laïque étant devant la loi, indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique. Un savoir à replacer dans le cadre d’un apprentissage du citoyen qui ici s’éloigne. Alors que l’interdiction des abayas annoncée à la rentrée de septembre fait l’objet d’un quasi-consensus dans la population générale - 81% des Français approuvent cette interdiction, c'est tout le contraire chez les Français de confession musulmane qui sont à peine 28% à la soutenir. 81% des étudiants dans le supérieur, des plus diplômés, ou des plus aisés socialement, 80% chez les cadres et professions intellectuelles supérieures.

On remarquera que ce constat est fait dans un contexte marqué par un renforcement de la pédagogie de la laïcité au sein de l’institution scolaire – via des initiatives comme la Charte de la laïcité (2013) ou le Vade-mecum pour la laïcité (2018). Indiquant combien on s’est illusionné en pensant qu’il pouvait n’en aller que de pédagogie et de compromis. Sans compter encore avec les incohérences, comme cela est le cas des parents accompagnants les sorties scolaires auxquels on laisse manifester de façon ostensible leur religiosité. Ils sont 75 % des musulmans à le défendre, alors que dans les murs de l’école ou hors des murs, lorsqu’il y a encadrement d’une activité, d’un groupe d’élèves en sortie, c’est toujours du service public laïque dont il s’agit, dont la règle de neutralité devrait s’appliquer à tous. Comment les élèves qui revendiquent de porter leurs signes religieux dans l’école peuvent y comprendre quelque chose ? Seul le respect intransigeant des principes permet d’en comprendre la valeur, par la force de conviction qui leur est donné, par la cohérence, comme repère fondamentaux, sur lesquels repose un contrat social qui ne se négocie pas mais s’enseigne.

Une victimisation hors de la réalité, qui est le symptôme d’une incompréhension qui monte avec les affirmations identitaires et communautaires qui marquent l’islam en France depuis les années........

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