Connaissez-vous Rob Greenfield? J’avais croisé il y a trois ans cet écologiste de l’extrême, qui vit avec 3000 dollars en poche et qui a pratiquement renoncé à tout au nom de la planète. Il était de passage à Morges. C’était un bel après-midi d’été dans un jardin aux allures d’Eden, et il m’avait raconté sa vie, complètement folle, à mille lieues de la mienne.
Rob Greenfield s’est lavé une année uniquement dans les rivières. Il a plongé dans les poubelles des supermarchés pour en récupérer les invendus encore consommables qu’il a redistribués aux étudiants en galère. Il s’est trimbalé à Manhattan durant un mois avec sur lui tous les déchets quotidiens d’un New-Yorkais. Les images du bibendum en plastique ont fait le tour de la toile et Greenfield est aujourd’hui le héros des petits Américains qui l’invitent dans leurs classes. La dernière trouvaille de «Trash man» comme on l’appelle affectueusement, c’est de distribuer des plantes à larges feuilles dans les rues de Floride pour inciter les gens à renoncer au papier toilettes…
«Qu’est-ce que je mettrais, moi, dans mon sac à dos? Mes livres? Ma penderie? Les bricolages de mes enfants?»
Rob Greenfield est un ovni, un Jack Kerouac complètement givré. En discutant avec lui, je me suis demandé si moi aussi, je pouvais vivre ainsi. Mais surtout, si je le voulais. Parce que faire ses ablutions dans la nature est une chose. Renoncer à tout ce qui fait le sel de la vie en est une autre. Certes, le militant a des amis dont il squatte le jardin, une fondation qui récolte de l’argent pour sa cause et qui serait sans doute là en cas de gros pépin. Mais le reste de son existence tient dans un sac à dos.
Alors, pendant qu’il me faisait l’éloge de la simplicité, je triais mentalement ce que j’y mettrais, moi, dans mon sac: ma bibliothèque de livres? Ma penderie? Les bricolages de mes enfants? Serais-je prête à renoncer au bagage de mes souvenirs pour une sérénité spirituelle, mâtinée d’écologisme? Non. J’aime me doucher à l’eau chaude et voyager autrement que par la force des mollets. Et même si je trie mon PET, je suis esclave de la société matérialiste. Greenfield a troqué son ancienne vie d’entrepreneur pour de nouvelles richesses qui, j’avoue, me dépassent un peu.
Mais ce qu’il y a de bien avec cet éternel optimiste, c’est qu’il ne nous demande pas de devenir comme lui. Il fait son petit bout de chemin, tout en espérant éveiller suffisamment nos consciences de nantis pour nous atteler un jour à une planète plus propre. Cette semaine, un énième round pour aboutir à un traité international contre la pollution plastique s’est tenu à Paris. Les océans en débordent, les déchetteries à ciel ouvert dans les pays du Sud aussi. Je me souviens d’une phrase de Greenfield: «C’est difficile de sauver la planète lorsqu’on cumule les petits boulots. C’est à nous, les riches, de le faire.» En l’accompagnant à son train ce jour-là à Morges, pieds nus et sac à dos, si vulnérable et pourtant si décidé, j’ai reçu une grosse leçon d’humilité.
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