Temps de lecture: 3 min

Il y eut une époque dans ma vie où je buvais. Buvais-je beaucoup? Je ne saurais le dire. Malgré tout, il me semble que oui. Selon les critères d'aujourd'hui, sans être complètement alcoolique, je devais boire plus que de raison. Je buvais des alcools forts. Je buvais de la bière. Je buvais du vin. Était-ce tous les jours? Là aussi, je ne saurais être affirmatif, mais il se peut fort bien que oui même si, en certaines circonstances, j'ai probablement passé des journées entières sans toucher une goutte d'alcool.

Pourquoi buvais-je? Pourquoi boit-on? Chacun trouvera dans son expérience personnelle une réponse appropriée à cette question, mais en ce qui me concerne, je buvais d'abord parce que, dans la naïveté de ma jeunesse, j'associais la littérature avec l'alcool, et ayant fait vœu de marcher dans les pas de Fitzgerald, de Faulkner, de Malcolm Lowry, de tant d'autres encore, si je voulais être à la hauteur de cette espérance, il me fallait boire.

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C'était un devoir moral, une sorte d'obligation qui accréditerait l'idée de devenir écrivain. Je buvais donc par sorte de snobisme, dans un désir d'imiter ceux qui m'avaient tant inspiré. Comme une dette contractée à leur égard. Probablement auraient-ils tous monté à cheval que j'en aurais fait de même. Et si, pour eux, la pratique de l'équitation allait de pair avec le métier de boire, j'aurais moi aussi associé les deux, alcools et chevaux!

Reste à savoir pourquoi ces écrivains buvaient tant. Il y a là aussi un milliard de raisons, toutes personnelles, toutes liées à une histoire bien particulière, mais disons, pour faire court, que si l'alcool occupait une place si importante dans leur vie, c'était avant tout comme un manque qu'il fallait combler, une blessure à attendrir: ils buvaient pour échapper à l'enfer de vivre, ils buvaient par nécessité, ils buvaient pour s'oublier, ils buvaient pour trouver le courage d'écrire, ils buvaient pour tenir tête à un monde qui, fondamentalement, les rebutait.

Ainsi buvais-je. Furieusement. Fougueusement. Stupidement. Mais je buvais aussi parce que la vie me semblait plus douce, après un ou deux verres. Plus acceptable. Plus facile surtout. Quand la timidité rend l'accomplissement de toute chose compliqué au possible, recourir à l'alcool devient un acte de survie, une manière de s'affranchir de ses limites pour nouer un lien plus harmonieux avec l'existence. Avec l'alcool à ses côtés, ce qui hier encore semblait impossible ne l'était plus. C'était un enchantement, une féerie, un songe, l'entrée triomphale dans le monde.

Ce rêve s'est arrêté un jour de juillet 2008. Je fus hospitalisé pour une pancréatite alcoolique. Trois semaines durant, je restai cloué à mon lit, perclus de douleurs aiguës, calmées à grand-peine par la morphine. Ce fut à la fois un enterrement et une rédemption. Un au revoir à ma jeunesse et mon entrée dans l'âge adulte. Il était temps! L'année précédente, j'avais eu 40 ans.

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Depuis ce jour, je n'ai jamais plus touché à une seule goutte d'alcool sans que ce changement ne me coutât le moindre effort. J'avais bu, je ne buvais plus, ce fut aussi simple que cela. Du jour au lendemain, l'alcool disparut complètement de ma vie. Il existe probablement un enseignement à tirer de cette facilité déconcertante à stopper ainsi ma consommation mais j'ignore lequel. Dois-je en conclure que je m'étais inventé un besoin d'alcool qui en fait existait seulement par la seule force de mon imaginaire littéraire? C'est une possibilité. Une parmi d'autres.

L'alcool ne me manque pas; les gueules de bois, non plus. Si demain, un médecin m'autorisait à en consommer, ne serait-ce que d'une manière très sporadique, cette perspective ne provoquerait en moi aucune excitation particulière. Ou, autrement dit, on vit très bien sans alcool. Ou plus exactement, on vit aussi bien qu'on peut. Ou aussi mal. Ce que la vie a perdu en légèreté –cette douce ivresse de l'alcool qui grise l'esprit–, elle l'a gagné en maturité, en une acceptation plus profonde de soi et de ses limites.

Si le «Dry January» existait à l'époque où je buvais encore, je doute fort que je l'aurais suivi: j'ai une sainte horreur de ces décisions collectives qui, décrétées par un certain nombre d'individus, doivent s'appliquer au monde entier. Par pur esprit de contradiction, comme le merveilleux petit con que j'étais, j'aurais bu deux fois plus pour tout arrêter en février et recommencer en mars…!

L'abstinence est tout sauf une mode passagère.

C'est un choix qui engage la personne tout entière. Et son entourage avec.

Ceci dit, un bon conseil: buvez, buvez tant que vous le pouvez!*

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*L'alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.

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Moi, le «Dry January» c'est toute l'année et depuis quinze ans!

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05.01.2024

Temps de lecture: 3 min

Il y eut une époque dans ma vie où je buvais. Buvais-je beaucoup? Je ne saurais le dire. Malgré tout, il me semble que oui. Selon les critères d'aujourd'hui, sans être complètement alcoolique, je devais boire plus que de raison. Je buvais des alcools forts. Je buvais de la bière. Je buvais du vin. Était-ce tous les jours? Là aussi, je ne saurais être affirmatif, mais il se peut fort bien que oui même si, en certaines circonstances, j'ai probablement passé des journées entières sans toucher une goutte d'alcool.

Pourquoi buvais-je? Pourquoi boit-on? Chacun trouvera dans son expérience personnelle une réponse appropriée à cette question, mais en ce qui me concerne, je buvais d'abord parce que, dans la naïveté de ma jeunesse, j'associais la littérature avec l'alcool, et ayant fait vœu de marcher dans les pas de Fitzgerald, de Faulkner, de Malcolm Lowry, de tant d'autres encore, si je voulais être à la hauteur de cette espérance, il me fallait boire.

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