Pascal Bruckner, dans son dernier ouvrage Je souffre donc je suis (Grasset) dresse le constat d’une idéologie victimaire à laquelle s’identifient féministes, colonisés, racisés, opprimés, ségrégués de toute sorte et de tous pays, dans une surenchère préoccupante. La Shoah signe, pour le philosophe, le début d’un culte moderne porté aux victimes, que le tribunal médiatique ne cesse de mettre en scène et que les politiques exploitent sans vergogne.
A LIRE AUSSI : Pascal Bruckner, enfin clair
À ce jeu, chacun rivalise d’audace et de stratégie pour capter à son profit les avantages liés à ce statut de martyr, qui donne tous les droits. Cette nouvelle pathologie sociale, qui classe les individus selon leur degré de victimisation, qui inocule de la méfiance entre les sexes, nous entraîne dans une société inégalitaire dans laquelle l’écrivain se pose la question de savoir si les jeunes générations vulnérables et inquiètes seront capables d’agir, de résister face aux fracas du monde.
Marianne : En quoi le fait de souffrir est-il devenu constitutif de notre identité ?
Pascal Bruckner : Nous proclamons aujourd’hui un hédonisme de façade, qui va de pair avec une peur panique du malheur, de l’adversité, des contrariétés que nous ne sommes plus capables d’endurer ; voilà le paradoxe de notre société. On aime à se décrire comme victime, accablée par les coups du sort, éprouvée par les infortunes qui font l’ordinaire de nos vies. Ce statut est valorisé, voire héroïsé, comme faisant partie de notre identité.
Vous pointez le rôle de la religion chrétienne dans cette tendance à la victimisation…