À l’heure où le président de la République souhaite réarmer partout l’action du gouvernement, un secteur primordial semble avoir été oublié de la réflexion stratégique. Il s’agit de la protection de l’enfance. Elle souffre en effet de graves dysfonctionnements systémiques depuis de nombreuses années. Dysfonctionnements qui ne cessent par ailleurs de s'aggraver. Les lieux d’accueil qui sont saturés génèrent des listes d’attente avant que puisse être exécuté le moindre placement.

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Pendant ce temps, les enfants sont maintenus dans un environnement violent ou très carencé. Du fait de cette saturation, des adolescents se retrouvent orientés dans des hôtels sans réel accompagnement, voire dans certains cas complètement livrés à eux-mêmes. Les mesures éducatives sont retardées de plusieurs mois, ce qui maintient les enfants dans des situations de danger, voire aggrave leur situation. Le turn-over des professionnels génère une instabilité dans les suivis et il n’est pas rare de voir des enfants changer trois à quatre fois de lieu d’accueil ou d’éducateur en une année. Bien que la loi du 7 février 2022 ait interdit de telles pratiques, elles continuent faute de moyens…

Le rapport de l'Assemblée nationale sur l'Aide sociale à l'enfance du 3 juillet 2019 dressait déjà un constat sévère des défaillances des politiques mises en place par les départements, pratiquant une politique de l'entre-soi sans aucun regard extérieur ni contrôle. Pourtant, de nombreux acteurs interviennent à tous les niveaux, mais la gouvernance, à la fois nationale et départementale, est devenue si complexe que cela a fini par nuire à son efficacité. Un mal tristement français ! La décentralisation engendre autant de politiques d'aide sociale à l'enfance qu'il existe de départements, ce qui occasionne des différences de traitement majeures suivant les territoires. Ces dysfonctionnements sont bien connus, et malgré la création au fil des lois de nouvelles structures nationales veillant à ce que tous les services de l’État se coordonnent, rien n’a permis de réduire de manière probante ces défaillances, aggravées depuis le Covid-19 par une augmentation moyenne de 20 % des besoins de protection ou d’accompagnement des enfants.

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Ce constat doit nous amener sérieusement à nous interroger à la fois sur le bien-fondé de la décentralisation de l'Aide sociale à l'enfance au regard de l’ensemble des dysfonctionnements plus ou moins graves constatés dans la quasi-totalité des départements, mais aussi sur le rôle exact et la responsabilité de l’État face à cette situation d’urgence. Les dysfonctionnements sont liés sans doute à des pratiques critiquables au niveau local, mais aussi au manque crucial de moyens financiers et organisationnels. Les collectivités locales ne pourront plus assumer seules le coût humain et matériel de l’augmentation constante des besoins de protection et d’accompagnement sans l’engagement fort de l’État en contrepartie.

Or, depuis 2019, la situation ne cesse de se dégrader, au point que l’institution de la protection de l’enfance devient presque maltraitante pour des enfants censés être protégés. Les lois qui se sont succédé, ainsi que le plan d’action actuel contre les violences faites aux enfants, ont pour objectif d’améliorer la situation des enfants pris en charge en prévoyant diverses mesures, mais sans se soucier de leur efficience sur le terrain ni de la qualité des mesures de protection et d’accompagnement. Comment protéger un enfant ? Comment soutenir des parents carencés avec des listes et des délais d'attente de 6 à 18 mois pour mettre en œuvre un placement ou une mesure éducative ? Ces questions interrogent la qualité du recrutement et de la formation des professionnels, trop souvent recrutés dans l’urgence, qui devient l’enjeu majeur pour la sécurité et la protection des enfants.

Le 20 novembre 2023, le gouvernement a dévoilé son plan 2023-2027 de lutte contre les violences faites aux enfants, dont il a fait une priorité nationale. Mais comment améliorer le dispositif sans se pencher sérieusement sur l’état des services de la protection de l’enfance ? Si l'État souhaite renforcer son action en faveur des enfants, il doit s’attaquer, non aux symptômes, mais aux causes structurelles des dysfonctionnements, en mettant en place des contrôles dans les départements et les lieux d’accueil afin d’améliorer les moyens permettant de repérer les violences faites aux mineurs ou de prévenir ces violences. De plus, ces dysfonctionnements ou retards sont sources de conflits avec l’autorité judiciaire, car les juges des enfants prennent des décisions qui n’ont parfois plus de sens, faute d’avoir été exécutées dans les délais.

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Il est devenu urgent de mettre en place des État généraux de la protection de l’enfance et de dresser un bilan complet de la décentralisation de l’Aide sociale à l’enfance. Il faut aussi interroger la pertinence de l’action de l’État au regard de son échec patent à enrayer la poursuite de la dégradation de la protection de l’enfance. Est-ce une question d’acteurs, de lois, d’organisation, les trois peut-être… ? Au cours du dernier remaniement ministériel, le gouvernement ne devrait-il pas adopter une vision stratégique sur cette mission cardinale de protection des plus fragiles qui fait la grandeur des grandes nations ?

Ne plus promettre mais agir ! La création d’un secrétariat de la protection de l’enfance rattaché au ministère de la Justice, disposant d’un rôle moteur, tant au niveau interministériel que départemental, sur les politiques publiques de protection de l'enfance, pourrait être une piste pour fluidifier et pérenniser une politique ambitieuse. Cette politique aurait pour mission de contrôler efficacement l’application des normes sur le terrain et les politiques publiques menées au niveau territorial. Envisager de rattacher la protection de l’enfance au ministère de la Justice semble s’imposer aujourd’hui comme une piste cohérente pour coordonner les différents acteurs et impulser l’indispensable changement. Il y va de notre crédibilité et de la protection des plus faibles.

QOSHE - "Nous devons créer un secrétariat de la protection de l’enfance rattaché au ministère de la Justice" - Béatrice Brugère
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"Nous devons créer un secrétariat de la protection de l’enfance rattaché au ministère de la Justice"

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25.01.2024

À l’heure où le président de la République souhaite réarmer partout l’action du gouvernement, un secteur primordial semble avoir été oublié de la réflexion stratégique. Il s’agit de la protection de l’enfance. Elle souffre en effet de graves dysfonctionnements systémiques depuis de nombreuses années. Dysfonctionnements qui ne cessent par ailleurs de s'aggraver. Les lieux d’accueil qui sont saturés génèrent des listes d’attente avant que puisse être exécuté le moindre placement.

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Pendant ce temps, les enfants sont maintenus dans un environnement violent ou très carencé. Du fait de cette saturation, des adolescents se retrouvent orientés dans des hôtels sans réel accompagnement, voire dans certains cas complètement livrés à eux-mêmes. Les mesures éducatives sont retardées de plusieurs mois, ce qui maintient les enfants dans des situations de danger, voire aggrave leur situation. Le turn-over des professionnels génère une instabilité dans les suivis et il n’est pas rare de voir des enfants changer trois à quatre fois de lieu d’accueil ou d’éducateur en une année. Bien que la loi du 7 février 2022 ait interdit de telles pratiques, elles continuent faute de moyens…

Le rapport de l'Assemblée nationale sur l'Aide sociale à l'enfance du 3 juillet 2019 dressait déjà un constat sévère des défaillances des politiques mises en place par les départements, pratiquant une politique de l'entre-soi sans aucun regard extérieur ni contrôle. Pourtant,........

© Marianne


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