Le Canada est aujourd’hui le «premier pays postnational», soit une nation sans «identité centrale», comme l’indiquait le premier ministre Justin Trudeau au New York Times en 2015. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. L’année 2023 tire à sa fin et une revue de cette dernière s’impose. Non seulement pour nous permettre de réfléchir et de prendre du recul envers les événements qui ont eu lieu, mais surtout dans l’objectif d’évaluer l’ampleur des grandes tendances qui touchent notre univers socioéconomique et politique pour anticiper quelles seront les conséquences logiques de celles-ci en 2024 et au cours des prochaines années.

Si tenter de prédire l’avenir est toujours un pari risqué, il demeure que ceci est un exercice essentiel pour tout investisseur, salarié ou chef d’entreprise.

À cet effet, j’ai pensé revenir sur différents sujets qui ont inspiré mon blogue à Les Affaires en 2023 et qui me semblent pertinents pour comprendre où se dirige notre monde.

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, 2023 aura donné lieu au retour du conflit israélo-palestinien et de ses conséquences à l’échelle planétaire. Ce conflit attise non seulement les tensions sectaires au Canada et en Occident (j’en discute davantage plus bas), mais il fait également partie intégralement d’une confrontation englobant le Moyen-Orient, soit entre l’Iran et le «croissant chiite» d’un côté ainsi que l’Arabie Saoudite et les pays sunnites de l’autre, et ce, sans oublier le rôle et les intérêts américains dans la région.

Tout comme l’Ukraine, les tensions vives avec la Chine en rapport à Taïwan, la résurgence du conflit israélo-palestinien au sein du jeu de pouvoir au Moyen-Orient représentent différents éléments du même phénomène: la démondialisation et la contestation du monde unipolaire américain.

L’année 2024 et celles qui suivront devraient simplement confirmer ce changement structurel alors qu’on semble se diriger vers un monde multipolaire pour la première fois depuis les années 30.

Un monde multipolaire est aussi probablement porteur d’instabilité politique au sein de l’échiquier global et un incubateur de conflits multiples, sans parler de la démondialisation qui s’y attache.

Aucun investisseur, chef d’entreprise ou gestionnaire d’actifs de notre époque n’a l’expérience d’une telle période, ce qui implique un vide béant d’expertise et de connaissances géopolitiques à tous les niveaux.

Il ne serait pas surprenant que les fonds d’investissement, les entreprises et les autres acteurs économiques qui se sont entourés d’équipes d’analystes en géopolitique soient ceux qui tirent le plus profit des années et des décennies à venir.

Alors que 2024 approche, on apprend, sans trop de surprise, que la natalité affiche une baisse importante en 2023. Au Québec, elle est de 4% et de 9% «chez les couples formés de personnes nées au Canada», ce qui confirme encore une fois cette lourde tendance de dénatalité qu’aucune politique publique n’a pu inverser au courant des 50 dernières années.

Comme je l’indiquais dans l’un de mes textes, le phénomène est mondial. Alors qu’à une certaine époque on craignait une surpopulation à l’échelle de la planète, on commence à entrevoir un monde où les pays devront et doivent déjà gérer une décroissance démographique qui s’accélérera au cours de la prochaine décennie, ce que certains nomment une «japonisation de l’économie».

Structurellement, ceci implique également une inversion probable à terme de la croissance économique mesurée simplement par le PIB mondial, une première depuis plusieurs siècles.

Les pressions fiscales s’amplifient rapidement d’une année à l’autre alors que la proportion de la population qui entre à la retraite et quitte la catégorie de la population «active» représente un poids sur les finances publiques qui se voient limitées à une population imposable qui rétrécit.

C’est l’État providence même qui est en jeu, condamné au déficit permanent et à un endettement toujours croissant au sein d’une telle dynamique fiscale.

Aucun pays occidental ne semble avoir réellement adopté une stratégie autre que l’immigration de masse pour contrer ce phénomène, tout en chiffrant rarement le coût et les problèmes causés par ces politiques sur le pays hôte, ainsi que l’aspect vampirique d’aspirer les individus talentueux et au capital humain élevé provenant de pays qui en auraient bien besoin.

Autant dire qu’une politique comme l’Initiative du siècle, qui cible l’ajout de 60 millions d’immigrants au Canada d’ici la fin du 21e siècle, comporte autant, sinon davantage, de problèmes que de solutions.

Le Canada est aujourd’hui le «premier pays postnational», soit une nation sans «identité centrale», comme l’indiquait le premier ministre Justin Trudeau au New York Times en 2015.

Ce Canada «postnational» terminera l’année 2023 sur le fond d’une guerre au Proche-Orient, qui s’est importée dans les rues de Montréal et au Canada alors que les confrontations entre les communautés musulmanes et juives font craindre le pire quand on pense aux synagogues et aux écoles juives qui ont été la cible de tirs et de cocktails Molotov, ainsi qu’aux confrontations violentes au sein même de nos universités.

Si certains croient que ceci n’est qu’un fait divers, ils se trompent. On pourrait dresser la liste d’exemples qui confirment à quel point le communautarisme s’installe au pays, avec les ravages qu’on peut anticiper en regardant la France, constamment en état d’alerte et aux fractures sociales nombreuses.

Cette année, plusieurs auront constaté que le rêve trudeauiste d’un Canada «postnational» et sans identité commune crée un vide que des liens identitaires ancestraux et souvent conflictuels comblent.

Si la prospérité économique canadienne semble être la colle, l’élément principal d’un intérêt partagé, formant une semblance d’unité, celle-ci est malheureusement en mauvaise posture et décline rapidement.

Certains voient en ce Canada postnational un accomplissement historique ou le pays de l’avenir. À l’inverse, d’autres pourraient anticiper ce même avenir, mais qui ressemblerait plutôt à celui de l’Argentine, soit un lent déclin économique et une perte de prestige sur la scène internationale, mais avec les tensions communautaires en plus.

Les cas d’études d’entreprises qui ont pris le «virage woke» se sont multipliés depuis quelques années. On peut penser à Bud Light, Disney, Target, Gillette, notamment, et au slogan qui prolifère sur le web concernant les entreprises qui choisissent ce virage: «go woke, go broke» («devenir woke vous ruine»).

Peu importe nos opinions respectives sur le sujet, fondamentalement, le wokisme semble être la forme idéologique la plus à jour de la fusion du capital et de la gauche contemporaine au détriment de la gauche «traditionnelle», qui se basait jadis sur l’idée fondatrice d’une lutte perpétuelle des classes entre prolétaires et bourgeois.

Aujourd’hui, on constate qu’il est possible, même nécessaire, d’être de gauche quand on est «riche» et bourgeois, ou du moins suffisamment ambitieux. Elon Musk est peut-être l’exception qui confirme la règle.

Cette contradiction idéologique d’antan est aujourd’hui la norme et est rendue possible pour une certaine classe carriériste en adoptant les causes wokes, du moins en surface ou par conformisme, alors que les classes moyennes, ouvrières et paupérisées, affichent des préférences idéologiques plus centristes et modérées comparativement aux logiques wokes. Ça confirme l’écart béant et toujours en croissance entre l’élite économique mondialisée et les classes «inférieures».

Quand on ajoute la question de l’immigration massive à celle du wokisme, on comprend la popularité des partis dits populistes en Europe et la popularité constante d’un Donald Trump aux États-Unis comme faisant partie d’une grande fracture entre les classes dirigeantes et ce qu’on appelait autrefois le peuple.

Avec la puissance du grand capital le propulsant, on ne peut que s’attendre à ce que le wokisme poursuive sa progression auprès des entreprises et de différentes institutions en 2024.

La grogne populaire se fait cependant sentir de plus en plus et les bouleversements sociopolitiques et électoraux qui pourraient en résulter sont à prendre en considération pour tout investisseur, chef d’entreprise ou législateur.

Nous sommes aujourd’hui dans une période de transition entre deux époques, une qui se termine et une autre qui prend forme simultanément, conflictuellement on pourrait même dire.

L’année 2024 pourrait être simplement la continuation de ce processus qui peut paraître lent et graduel du point de vue de l’individu. Ces périodes de transitions historiques comportent cependant le risque élevé d’un changement structurel brutal, sans avertissement, chamboulant profondément l’ordre établi et tout ce qu’on croyait immuable.

Après 40 ans de guerre froide, peu d’analystes avaient vu venir la chute du mur de Berlin et l’écroulement de l’Union soviétique. Peu d’analystes avaient également anticipé l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Pourtant, en rétrospective, ces phénomènes étaient inévitables et prévisibles, comme quoi ce qui semble inattendu et improbable n’est souvent qu’une forme de myopie.

La prochaine année impose donc qu’on se prépare à tout… à la transition calme tout comme au choc systémique.

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Quatre grandes tendances socioéconomiques de l'année 2023

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19.12.2023

Le Canada est aujourd’hui le «premier pays postnational», soit une nation sans «identité centrale», comme l’indiquait le premier ministre Justin Trudeau au New York Times en 2015. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. L’année 2023 tire à sa fin et une revue de cette dernière s’impose. Non seulement pour nous permettre de réfléchir et de prendre du recul envers les événements qui ont eu lieu, mais surtout dans l’objectif d’évaluer l’ampleur des grandes tendances qui touchent notre univers socioéconomique et politique pour anticiper quelles seront les conséquences logiques de celles-ci en 2024 et au cours des prochaines années.

Si tenter de prédire l’avenir est toujours un pari risqué, il demeure que ceci est un exercice essentiel pour tout investisseur, salarié ou chef d’entreprise.

À cet effet, j’ai pensé revenir sur différents sujets qui ont inspiré mon blogue à Les Affaires en 2023 et qui me semblent pertinents pour comprendre où se dirige notre monde.

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, 2023 aura donné lieu au retour du conflit israélo-palestinien et de ses conséquences à l’échelle planétaire. Ce conflit attise non seulement les tensions sectaires au Canada et en Occident (j’en discute davantage plus bas), mais il fait également partie intégralement d’une confrontation englobant le Moyen-Orient, soit entre l’Iran et le «croissant chiite» d’un côté ainsi que l’Arabie Saoudite et les pays sunnites de l’autre, et ce, sans oublier le rôle et les intérêts américains dans la région.

Tout comme l’Ukraine, les tensions vives avec la Chine en rapport à Taïwan, la résurgence du conflit israélo-palestinien au sein du jeu de pouvoir au Moyen-Orient représentent différents éléments du même phénomène: la démondialisation et la contestation du monde unipolaire américain.

L’année 2024 et celles qui suivront devraient simplement confirmer ce changement structurel alors qu’on semble se diriger vers un monde multipolaire pour la première fois depuis les années 30.

Un monde multipolaire est aussi probablement porteur d’instabilité politique au sein de l’échiquier global et un incubateur de conflits multiples, sans parler de la démondialisation qui s’y attache.

Aucun investisseur, chef d’entreprise ou gestionnaire d’actifs de notre époque n’a l’expérience d’une telle période, ce qui implique un vide béant d’expertise et de connaissances géopolitiques à tous les niveaux.

Il ne serait pas surprenant que les fonds........

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