«Le pape de la diplomatie est mort», titrait jeudi Le Point. La mémoire étant sélective, certain·es commentateur·trices font principalement d’Henry Kissinger, décédé paisiblement mercredi, un «artisan de la détente» entre les Etats-Unis, l’URSS et la Chine durant la guerre froide. Presqu’un «homme de paix», lui qui avait même obtenu le Prix Nobel du même nom en 1973, pour un cessez-le feu signé avec le Vietnam.

C’est presque oublier qu’au même moment le secrétaire d’Etat étasunien fomentait dans l’ombre le putsch d’Augusto Pinochet au Chili, dictateur sanguinaire qu’il défendra encore longtemps après sa chute. Avant cela, comme l’a montré le livre de Christopher Hitchens Les crimes de Monsieur Kissinger (2001), le diplomate avait participé à prolonger inutilement la guerre au Vietnam et à l’étendre au Cambodge et au Laos. Sa contribution aux campagnes d’assassinats et de subversion contre la démocratie au Chili, à Chypre et au Cambodge, et sa complicité dans les massacres du Timor oriental (entre un et trois millions de morts) ne font guère de doute, notamment grâce à l’enregistrement de ses conversations téléphoniques. Une liste loin d’être exhaustive.

Malgré cela, le champion de la Realpolitik appliquée est resté l’un des conseillers de plusieurs gouvernements étasuniens jusqu’à ce jour, et parcourait encore récemment le monde pour distiller sa bonne parole dans les milieux diplomatiques et dans divers forums. Tout juste évitait-il par moments certaines destinations pour ne pas risquer d’être inquiété par la justice, comme la France, où il avait été convoqué pour témoigner en 2001.

Un homme politique «controversé» – pour reprendre l’euphémisme de la grande presse – dont les crimes contre l’humanité présumés n’ont jamais conduit à son exclusion de la scène internationale. Cela en dit long sur la proximité de vues entre un grand nombre des responsables politiques, d’élites intellectuelles et M. Kissinger. Les idéologies qu’il portait, tout autant le «réalisme» que l’impérialisme en réalité – quelles que soient les guerres à mener et les crimes à commettre –, ne sont pas prêtes de s’éteindre.

En cela, l’esprit de Kissinger est bien vivant. Vladimir Poutine a salué hier un homme d’Etat «sage et clairvoyant», Benjamin Netanyahou a déploré la perte d’un «ami», et Antony Blinken, actuel secrétaire d’Etat étasunien, a déclaré avoir été «privilégié de pouvoir compter sur ses conseils à de nombreuses reprises, la dernière fois il y a environ un mois». Joli et révélateur consensus.

QOSHE - L’impunité. Et les honneurs? - Christophe Koessler
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L’impunité. Et les honneurs?

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01.12.2023

«Le pape de la diplomatie est mort», titrait jeudi Le Point. La mémoire étant sélective, certain·es commentateur·trices font principalement d’Henry Kissinger, décédé paisiblement mercredi, un «artisan de la détente» entre les Etats-Unis, l’URSS et la Chine durant la guerre froide. Presqu’un «homme de paix», lui qui avait même obtenu le Prix Nobel du même nom en 1973, pour un cessez-le feu signé avec le Vietnam.

C’est presque oublier qu’au même moment le secrétaire d’Etat étasunien fomentait dans l’ombre le putsch d’Augusto Pinochet au Chili, dictateur sanguinaire qu’il défendra encore longtemps après sa chute. Avant........

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