L’une des caractéristiques de plusieurs dispositifs fonctionnant à l’intelligence artificielle (IA) est de s’alimenter à d’importants répertoires de textes et d’images. Les systèmes d’IA générative font usage de modèles d’apprentissage profond capables de générer des contenus en se basant sur des oeuvres à partir desquelles les systèmes ont été entraînés. De tels systèmes effectuent de la fouille de textes et de données, c’est-à-dire la reproduction et l’analyse de grandes quantités de données et d’informations. Cette extraction massive permet aux systèmes d’IA générative de déterminer des tendances et de faire des prédictions, voire de générer des textes et des images à partir de ce qu’ils analysent.

Parmi ces masses d’informations, il y en a qui sont extraites de contenus protégés par le droit d’auteur. Ces textes, sons et images qui existent dans l’espace public sont généralement le fruit du travail des créateurs.

Au Canada, selon la Loi sur le droit d’auteur, les entreprises qui développent des systèmes d’IA doivent demander l’autorisation explicite des ayants droit avant de se servir de leurs oeuvres. Ceux qui produisent de nouveaux contenus grâce à l’IA ne peuvent tenir pour acquis que les détenteurs de droits ont consenti à l’utilisation de leurs oeuvres afin d’alimenter des systèmes qui génèrent d’autres contenus.

Avec le développement de l’IA générative se multiplient les pressions de la part d’intervenants du secteur des technologies. On fait valoir que l’utilisation d’oeuvres dans le cadre des activités de fouille de textes et de données ne devrait pas nécessiter la permission des titulaires de droits. D’où les revendications de modifier la loi afin d’exonérer les opérations de fouilles de données de l’obligation de rechercher la permission des titulaires de droits d’auteur.

Les détenteurs de droits d’auteur ont une autre perspective. Dans un mémoire déposé dans le cadre d’une consultation menée par le gouvernement canadien, la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, qui représente plus de 360 000 créateurs et créatrices et près de 3000 entreprises culturelles au pays, appelle à résister aux demandes des entreprises qui souhaitent écarter les exigences de la loi pour alimenter leurs systèmes d’IA.

La Coalition s’oppose à l’ajout de nouvelles exceptions à la Loi sur le droit d’auteur qui permettraient d’utiliser les oeuvres protégées pour entraîner les systèmes d’IA générative afin notamment d’effectuer de la fouille de textes et de données. De plus, la Coalition revendique que des obligations de transparence soient imposées aux entreprises qui développent des systèmes d’IA générative quant aux oeuvres protégées par le droit d’auteur utilisées pour entraîner leurs systèmes.

Stéphanie Hénault, directrice des affaires juridiques de l’Association nationale des éditeurs de livres, expliquait au journaliste Étienne Paré qu’il faut obliger ces entreprises à divulguer le registre des oeuvres qu’elles ont utilisées à des fins de création de contenus. « C’est le meilleur moyen de s’assurer que l’IA générative continuera d’évoluer dans un cadre légal. En plus, les utilisateurs pourraient connaître les sources des systèmes qu’ils utilisent. Ça permettrait de voir si l’intelligence artificielle est biaisée. »

Des GAFAM de l’IA

Quant aux produits résultant de processus mécaniques de génération d’IA, ils n’impliquent pas d’expression humaine originale. Pour cette raison, ils ne doivent pas devenir des « oeuvres » protégées par le droit d’auteur. Permettre que les mégaentreprises qui ont la maîtrise de systèmes d’IA puissent revendiquer un droit exclusif sur les contenus générés par de tels dispositifs ouvre la porte à un accroissement de la mainmise des grandes multinationales du numérique non plus seulement sur Internet, mais aussi sur l’information qui y circule.

Au Parlement européen, une députée ayant étudié les questions de concurrence et de monopolisation que recèle le développement débridé de l’IA met en garde contre le risque de reconstituer des « GAFAM de l’intelligence artificielle ». Elle déplore que les discussions sur la réglementation de l’IA aient accordé jusqu’ici trop peu d’attention à la menace de concentration de ce marché aux mains des géants du numérique, Google, Amazon, Facebook (Meta), Apple ou Microsoft.

Les autorités publiques doivent éviter de répéter les erreurs commises lors de la mise en place des réseaux sociaux. À cette époque, au nom d’un souci de « favoriser l’innovation », les États ont considérablement limité les responsabilités des moteurs de recherche et des réseaux sociaux en les délestant des obligations d’anticiper et de limiter les risques auxquels sont exposés leurs usagers. Nous vivons quotidiennement les conséquences néfastes de ces politiques malavisées. On ne peut sérieusement prétendre « favoriser l’innovation » en accordant des passe-droits aux géants du Web si cela se fait aux dépens des créateurs.

L’ADISQ expliquait dans son mémoire sur l’IA générative que la Loi sur le droit d’auteur actuelle est suffisamment claire pour fournir un cadre dans lequel l’IA peut se développer tout en assurant que les droits des créateurs sont respectés. Un rappel que l’innovation peut et doit se déployer dans le respect des règles du jeu.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - L’IA et les droits d’auteur - Pierre Trudel
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L’IA et les droits d’auteur

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23.01.2024

L’une des caractéristiques de plusieurs dispositifs fonctionnant à l’intelligence artificielle (IA) est de s’alimenter à d’importants répertoires de textes et d’images. Les systèmes d’IA générative font usage de modèles d’apprentissage profond capables de générer des contenus en se basant sur des oeuvres à partir desquelles les systèmes ont été entraînés. De tels systèmes effectuent de la fouille de textes et de données, c’est-à-dire la reproduction et l’analyse de grandes quantités de données et d’informations. Cette extraction massive permet aux systèmes d’IA générative de déterminer des tendances et de faire des prédictions, voire de générer des textes et des images à partir de ce qu’ils analysent.

Parmi ces masses d’informations, il y en a qui sont extraites de contenus protégés par le droit d’auteur. Ces textes, sons et images qui existent dans l’espace public sont généralement le fruit du travail des créateurs.

Au Canada, selon la Loi sur le droit d’auteur, les entreprises qui développent des systèmes d’IA doivent demander l’autorisation explicite des ayants droit avant de se servir de leurs oeuvres. Ceux qui produisent de nouveaux contenus grâce à l’IA ne peuvent tenir pour acquis que les détenteurs de droits ont consenti à l’utilisation de leurs oeuvres afin d’alimenter des systèmes qui génèrent d’autres contenus.

Avec le........

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