Ce sont ces termes grossiers, « son of a bitch », que le président des États-Unis, Joe Biden, a utilisés, lors d’un discours, pour parler du président russe, Vladimir Poutine. Ce langage bien peu diplomatique ne devrait pas avoir sa place dans la bouche d’un chef d’État, encore moins dans celle du président de la première puissance mondiale.

Cette insulte gratuite paraît malheureusement le symbole d’une dérive plus généralisée de la parole publique, notamment de celle de certains responsables politiques. On pense évidemment à Donald Trump, qui n’est avare ni de grossièretés ni de propos outranciers. Mais il est devenu relativement courant, ici comme ailleurs, que des premiers ministres, des ministres et des députés insultent leurs vis-à-vis, ou des maires, ou des manifestants.

Cela n’est même pas forcément vu comme une faiblesse ou quelque chose de mauvais en soi. La retenue, le formalisme, tout comme le langage diplomatique ont plutôt mauvaise presse. On se vante aujourd’hui de son franc-parler et le politicien qui dépasse toutes les bornes de la bienséance sera souvent perçu par une partie de l’opinion publique comme quelqu’un de vrai et d’authentique, qui ne pratique pas la langue de bois. Cette conception d’une vérité et d’une authenticité à fleur de peau amène à préférer le langage de l’émotion à celui de la raison. Mais elle atteint vite ses limites quand cette prétendue franchise irréfléchie ne trouve à s’exprimer que dans un langage ordurier.

Pour revenir à cette expression extrêmement vulgaire dont a usé Joe Biden, si insulter ainsi un particulier ou un adversaire politique n’est jamais malin (surtout pour quelqu’un qui prétend défendre la démocratie), disons qu’injurier de cette façon un autre chef d’État est carrément stupide, et surtout inconséquent. Les relations internationales ne sont pas une cour de récréation ou un champ clos où l’on peut, sans trop de conséquences, s’envoyer mutuellement des mots blessants à la figure.

Les échanges internationaux — y compris la guerre — mettent en relation des pays souverains et donc au moins théoriquement égaux. C’est ce qui justifie un langage de la diplomatie qui cherche à ménager les susceptibilités afin de maintenir les possibilités d’un dialogue présent ou futur. Quand on insulte quelqu’un, on ne le traite pas en égal, on cherche à le rabaisser plus bas que terre, à l’humilier. En agissant de cette manière à l’égard d’un État souverain, on fait comme si on ne lui reconnaissait aucune légitimité. Qu’on le qualifie d’« Empire du Mal » ou « du Malin » ou d’« État voyou », que l’on tienne ses dirigeants pour des terroristes ou des fous, c’est toujours une manière de dire que ces pays et leurs gouvernements se situent en dehors du cercle de la morale ou de la raison, voire en dehors de l’humanité, et que ceux-ci doivent être ou renversés ou détruits.

Quoi qu’on pense de la Russie de Vladimir Poutine, insulter son chef n’a rien de raisonnable ni de constructif. La Russie peut sans doute perdre la guerre qu’elle a elle-même déclenchée en envahissant l’Ukraine, bien qu’il soit également possible qu’elle la gagne ; mais il est dans tous les cas plus qu’improbable qu’elle soit vaincue au point de devoir capituler sans condition… Dans le même ordre d’idées, et même si on n’est jamais en politique à l’abri d’une surprise, il n’est guère plausible que l’on voie, à court terme, l’actuel président russe chassé du pouvoir à Moscou. Sans compter que les États-Unis ne disposent d’aucun moyen pour le destituer contre son gré ou celui des Russes. Autrement dit, quelle que soit l’issue militaire du conflit qui fait rage, il faudra bien un jour en venir à négocier avec Vladimir Poutine pour y mettre fin. Au bout du compte, les canons devront céder la place aux mots de la diplomatie.

Or on ne négocie pas avec quelqu’un en le traitant de « son of a bitch », comme il est difficile d’amener à la table de négociation celui que l’on a cherché à humilier et à déshonorer. L’insulte entre chefs d’État fait partie d’une rhétorique manichéenne et belliqueuse qui ne peut que pousser les guerres à s’éterniser, puisqu’il n’y a plus de solution pour y mettre fin que dans l’anéantissement de cet ennemi à qui l’on nie, par le biais de telles injures, tout caractère moral ou rationnel, et toute légitimité.

À partir du moment où l’on reconnaît qu’il n’y aura pas d’anéantissement de la Russie, et — pire — que celle-ci demeurera après la guerre, quoi qu’il arrive, une grande puissance et un acteur incontournable dans les relations internationales, ces injures lancées à Poutine ne sont que des mots, des rodomontades inutiles, qui n’ont que des effets néfastes. Elles sont le langage de l’impuissance.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

QOSHE - Un langage bien peu diplomatique - Patrick Moreau
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Un langage bien peu diplomatique

3 0
24.02.2024

Ce sont ces termes grossiers, « son of a bitch », que le président des États-Unis, Joe Biden, a utilisés, lors d’un discours, pour parler du président russe, Vladimir Poutine. Ce langage bien peu diplomatique ne devrait pas avoir sa place dans la bouche d’un chef d’État, encore moins dans celle du président de la première puissance mondiale.

Cette insulte gratuite paraît malheureusement le symbole d’une dérive plus généralisée de la parole publique, notamment de celle de certains responsables politiques. On pense évidemment à Donald Trump, qui n’est avare ni de grossièretés ni de propos outranciers. Mais il est devenu relativement courant, ici comme ailleurs, que des premiers ministres, des ministres et des députés insultent leurs vis-à-vis, ou des maires, ou des manifestants.

Cela n’est même pas forcément vu comme une faiblesse ou quelque chose de mauvais en soi. La retenue, le formalisme, tout comme le langage diplomatique ont plutôt mauvaise presse. On se vante aujourd’hui de son franc-parler et le politicien qui dépasse toutes les bornes de la bienséance sera souvent perçu par une partie de l’opinion publique comme quelqu’un de vrai et d’authentique, qui ne pratique pas la langue de bois. Cette conception d’une vérité et d’une........

© Le Devoir


Get it on Google Play