Compte tenu de la conjoncture favorable dont il jouit, le Parti québécois (PQ) devra maintenant faire face à un enjeu particulièrement sensible : celui des politiques publiques d’immigration, d’aménagement de la diversité ethnoculturelle et de la citoyenneté. Car si certains souhaitent aujourd’hui un recyclage de l’ancienne politique de la convergence culturelle, ou encore de l’interculturalisme, la perspective de la citoyenneté me semble la plus rassembleuse à défendre.

En 1978, Camille Laurin, Guy Rocher, Fernand Dumont et Jacques-Yvan Morin proposaient une politique d’intégration axée sur la notion de convergence culturelle. Dans Autant de façons d’être Québécois. Plan d’action à l’intention des communautés culturelles (1981), le ministre Gérald Godin arguait que la culture d’expression française de la nation québécoise constituait le foyer de convergence des autres cultures. Une politique qui, écrivait-il, tient à ce que « notre cadre de référence est le Québec », ce qui « a amené les deux gouvernements qui se sont succédé au Québec depuis 1971 à s’opposer radicalement, et avec une remarquable constance, à la politique fédérale du multiculturalisme », et non à l’idée du pluralisme. Or, cette politique innovait en matière de « dialogue interculturel ».

De retour au pouvoir en 2003, les gouvernements successifs du Parti libéral renforceront l’interculturalisme. Associé à un « contrat moral » entre majorité et minorités, inséparable du cadre fédéral, on qualifiera d’abord le Québec de société distincte et enfin de nation. Au fédéral, le philosophe politique Will Kymlicka allait même plaider que « les citoyens pouvaient être interculturels », mais que l’État devait promouvoir le multiculturalisme.

Au coeur de ces considérations culturelles de l’époque récente, il me semble qu’un biais réducteur, d’ordre culturaliste, sous-tend la perspective de la convergence. Elle institutionnalise littéralement les « communautés culturelles » au sein de l’État et dans l’espace public. Les effets pervers ont été considérables. Car cette catégorisation sous-tend une assignation ad vitam aeternam à une identité collective et plus ou moins figée, peu importe les générations.

Sans compter que ce culturalisme a favorisé la perception de communautés monolithiques, indépendamment de leur diversité, de leur complexité et de leur conflictualité internes. D’autres critiques ont voulu cibler à l’époque le discours néo-assimilationniste et nationaliste sous-jacent.

L’interculturalisme souffre de la dépolitisation de la question nationale. Ainsi, la conceptualisation de la nation québécoise dans le rapport de la Commission Bouchard-Taylor présenté à un gouvernement libéral « réunit d’abord tous les citoyens du Québec dans la nation québécoise, et les redistribue par la suite dans une multiplicité de groupes ethniques nettement différenciés » (Gilles Bourque). Dans la même veine, Guy Rocher a reproché à la Commission d’avoir présenté une majorité francophone tantôt comme une minorité inquiète au sein de la fédération canadienne, tantôt comme une majorité flageolante, incertaine d’elle-même, sur le territoire du Québec.

Interprétée différemment selon les sociétés, la citoyenneté est, au Canada et au Québec, un exemple type de champ de lutte historique. Au cours de la décennie 1990, le gouvernement fédéral n’avait pas ménagé ses efforts pour forger et promouvoir une citoyenneté canadienne. Ces injonctions visaient, entre autres, à contrer les revendications nationalistes du peuple québécois et des Premières Nations.

Or, voilà qu’une vision nouvelle de la citoyenneté québécoise émerge au sein du mouvement indépendantiste, avant et après le référendum de 1995. Le Bloc québécois crée un chantier sur la citoyenneté. Le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration organise un Forum national sur la citoyenneté et l’intégration (2000). La citoyenneté y est ainsi définie : « 1) ancrée dans l’expérience historique originale du peuple québécois ; 2) issue de luttes politiques, de combats et de débats sociaux pour la conquête de droits et libertés ; 3) enrichie d’apports diversifiés ». Un saut qualitatif se produit : on se situe sur le terrain politique et civique.

Ici encore, la politique publique du PQ s’en est trouvée vilipendée. La référence à une « citoyenneté québécoise » allait à l’encontre de la multiplicité des identités dans une citoyenneté dite postnationale, a-t-on prétendu. Un point de vue étonnant alors que le fédéral menait la charge de son côté. Encore une fois, cette politique était décriée comme visant l’autodétermination du Québec.

Le PQ est devant un enjeu d’orientation majeure. D’autant plus qu’on l’accuse de racisme et de ne pas tenir compte des enjeux de l’immigration et des minorités démographiques. Le PQ est en train de se saisir de ces enjeux.

L’orientation de la citoyenneté apparaît la plus valable pour un parti indépendantiste. Car la citoyenneté vise la participation à la régulation de la cité — res publica — et permet de mieux s’attaquer aux iniquités sociales et aux discriminations. Elle concerne le dialogue politique et culturel complexe, voire conflictuel, la critique du relativisme culturel et la légitimité des valeurs fondamentales d’une société démocratique (Seyla Benhabib) et la déracialisation des citoyens. Enfin, si la citoyenneté renvoie à l’appartenance à un État-nation, cela n’exclut en rien la préservation des citoyennetés des pays d’origine (en fait, ce sont eux qui en décident) ni les pratiques transnationales de solidarité.

Sur ces axes, le PQ sera inévitablement suspecté de minoriser la diversité ethnoculturelle et la lutte antiraciste. On niera la pertinence d’une telle approche, au nom des théories de la « blanchité » et de la décolonialité selon lesquelles la nation serait constituée des seuls descendants de la Nouvelle-France, que certains qualifient de nouveaux « colons blancs » de surcroît.

En conclusion, je souhaite vivement que la réflexion et le débat public s’engagent sur ces enjeux majeurs pour l’avenir du Québec.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

QOSHE - Le Parti québécois et le pari de la citoyenneté - Micheline Labelle
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Le Parti québécois et le pari de la citoyenneté

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23.01.2024

Compte tenu de la conjoncture favorable dont il jouit, le Parti québécois (PQ) devra maintenant faire face à un enjeu particulièrement sensible : celui des politiques publiques d’immigration, d’aménagement de la diversité ethnoculturelle et de la citoyenneté. Car si certains souhaitent aujourd’hui un recyclage de l’ancienne politique de la convergence culturelle, ou encore de l’interculturalisme, la perspective de la citoyenneté me semble la plus rassembleuse à défendre.

En 1978, Camille Laurin, Guy Rocher, Fernand Dumont et Jacques-Yvan Morin proposaient une politique d’intégration axée sur la notion de convergence culturelle. Dans Autant de façons d’être Québécois. Plan d’action à l’intention des communautés culturelles (1981), le ministre Gérald Godin arguait que la culture d’expression française de la nation québécoise constituait le foyer de convergence des autres cultures. Une politique qui, écrivait-il, tient à ce que « notre cadre de référence est le Québec », ce qui « a amené les deux gouvernements qui se sont succédé au Québec depuis 1971 à s’opposer radicalement, et avec une remarquable constance, à la politique fédérale du multiculturalisme », et non à l’idée du pluralisme. Or, cette politique innovait en matière de « dialogue interculturel ».

De retour au pouvoir en 2003, les gouvernements successifs du Parti libéral renforceront l’interculturalisme. Associé à un « contrat moral » entre majorité et minorités, inséparable du cadre fédéral, on qualifiera d’abord le Québec de société distincte et enfin de nation. Au fédéral, le philosophe politique Will Kymlicka allait même........

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