Récemment, l’un des principaux défis auxquels les milieux ruraux font face faisait la une du Devoir. Force est de reconnaître qu’à moins d’événements exceptionnels, il est plutôt rare que ceux-ci se retrouvent au centre de l’actualité médiatique. Pour des motifs difficiles à cerner, les chercheurs qui s’intéressent à ce segment de l’espace semblent aussi se faire de moins en moins nombreux.

Il s’agissait d’un dossier portant sur l’effritement des services, un phénomène structurel que l’on observe depuis les années 1990 et qui tend à s’amplifier notamment en raison du changement des habitudes des consommateurs, du vieillissement démographique, du déclin de la pratique religieuse et de la vie communautaire, de l’émergence des nouvelles technologies d’information et de communication ou de la situation des localités rurales dans l’espace.

En effet, l’érosion des services de proximité a débuté par les fermetures des bureaux de poste. Puis, ce fut au tour de la dernière école du village. L’organisme Solidarité rurale du Québec a particulièrement été proactif dans ce dernier dossier en tirant la sonnette d’alarme et en proposant diverses avenues de solutions mises en avant par les acteurs locaux et régionaux. Quelques actions innovantes (écoles environnementales, de cirque, regroupement de cycles) ont vu le jour, comme à Sainte-Paule ou au JAL, dans le Bas-Saint-Laurent, une région touchée par l’érosion de ses services de proximité comme l’évoquaient les données de l’Institut de la statistique du Québec.

Dans les années 2000, les fermetures de caisses, de guichets automatiques, de stations-service, de dépanneurs et d’églises se sont succédé au point tel que l’infrastructure de services, au sein des petites localités rurales, s’est effritée comme peau de chagrin. À certains endroits, cette infrastructure ne se réduit même plus au strict minimum.

Une partie de notre thèse doctorale a été consacrée à cet enjeu en 2003. En fait, le phénomène est devenu si inquiétant qu’il a fait l’objet d’une Action concertée de recherche mise en place par le Fonds québécois de recherche sur la société et culture. Nous avons contribué à ce vaste chantier alors que nous étions employés par la Chaire de recherche du Canada en développement rural sous la direction de Bruno Jean. Nous avons, entre autres choses, recensé diverses initiatives issues de différents pays afin d’atténuer les effets d’une telle érosion qui handicape le développement des milieux ruraux.

Plusieurs de ces innovations sociales se sont matérialisées par le regroupement de services sous un même toit (« One stop shop »), le transport à la demande, la livraison de différents services offerts par le biais de La Poste, en France, les ententes intermunicipales ou intercommunales, etc. Malgré les multiples initiatives qui ont vu le jour au Québec comme ailleurs, l’infrastructure de services de proximité en milieu rural a continué de s’étioler. Dans un tel contexte, n’est-il pas légitime de se demander s’il s’avère pertinent de stopper cette hémorragie ou doit-on plutôt privilégier la concentration des services dans les localités rurales plus populeuses, voire en milieu urbain ?

En raison des nombreuses fonctions qu’exercent les services de proximité en milieu rural, la première option nous apparaît la plus réaliste. Dans l’un de ses articles, le géographe Clermont Dugas rappelait que les services de proximité remplissent, en premier lieu, le rôle pour lequel ils furent créés, c’est-à-dire une fonction utilitaire qui contribue à façonner la structure sociale, économique et même physique du village.

En raison de la place qu’ils occupent dans la vie socio-économique, les services ont également un effet structurant. Ils contribuent au maintien, à la consolidation et au renouvellement du tissu de peuplement. Une localité rurale sans services n’est sûrement pas de nature à attirer de jeunes familles. Les services prennent aussi figure de symbole reflétant à la fois l’appartenance, la vie relationnelle, l’intégration à la communauté et le dynamisme du milieu. L’église paroissiale, qui dessert aujourd’hui plusieurs villages, continue à exercer ce rôle dans certains moments forts de la vie humaine (naissances, mariages, décès) ou de l’année liturgique (Noël, Pâques), en plus d’animer une certaine vie communautaire, notamment en matière d’entraide.

Sur le plan social, les services ont à la fois une fonction de resserrement, de construction et d’intégration des liens au sein même de la communauté, mais aussi à l’extérieur de celle-ci. On assiste à certaines expériences où l’on étend le concept des distributrices automatiques à certains produits essentiels alimentaires de base. En aucun moment, un service automatisé ou offert sur le Net ne pourra remplacer la chaleur du contact humain qui contribue au bien-être des personnes âgées et freine leur isolement. Nous préférons de loin les initiatives tels les salons de coiffure ou les marchés mobiles ou itinérants qui visitent les milieux éloignés ou les résidences de personnes âgées avec un véhicule spécialement aménagé.

Enfin, depuis les années 1970, ce sont les services qui constituent le principal pourvoyeur d’emplois en milieu rural. Ils ont aussi des effets d’entraînement sur d’autres secteurs de l’activité économique. La présence d’une caisse, par exemple, représente un facteur de rétention pour les entreprises.

En dépit de leur bonne volonté, il est peu probable que les acteurs locaux puissent inverser cette tendance lourde qu’est l’effritement de l’infrastructure de services en milieu rural. Sauf en de rares exceptions, cette problématique ne soulève plus les passions, la solidarité territoriale ayant fait place à un individualisme sociétal ou alors au syndrome du TLM (Toujours les mêmes qui s’impliquent) qui alimente le processus de démobilisation.

Pourtant, on admet généralement que la majorité des ruraux souhaitent toujours conserver leur école, leur église, leur caisse, l’accessibilité à des services de santé, ainsi que les infrastructures qui forment l’identité du milieu. Il en revient donc à l’État de déployer, dans le cadre de sa stratégie de « vitalisation », un volet spécifiquement consacré au maintien des services de proximité en milieu rural.

Trois paramètres devraient être pris en considération à savoir : l’évolution du vieillissement, la distance par rapport à la ville et la taille démographique des localités, les plus petites devant recevoir une attention particulière. L’indice de « vitalité » de l’Institut de la statistique du Québec pourrait également servir de repère afin d’appuyer et de moduler le soutien financier de cette même stratégie aux milieux les plus fragiles. On ne vise pas à ce que toutes les localités rurales du Québec disposent de sa caisse, de son école, de son dépanneur ou de sa pharmacie. Mais que ces services se retrouvent à une distance raisonnable des principaux centres urbains et que des moyens soient déployés pour offrir un minimum de services sur place, d’où l’appellation de « proximité », dans un souci d’équité territoriale, un principe fédérateur du développement régional, et d’égalité des chances en particulier pour les personnes les plus vulnérables de notre société.

Le Québec a valeur d’exemplarité à l’échelle mondiale en ce qui concerne l’adhésion de ses municipalités à la démarche MADA. Mais à quoi bon faire partie de ce réseau en l’absence de services de proximité permettant de combler les besoins des aînés ? L’offre de service de proximité en milieu rural représente un défi de taille qui peut être relevé avec succès dans l’optique de favoriser une occupation dynamique du territoire, en plus de constituer un excellent outil de lutte contre les disparités.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

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Doit-on sauver les services de proximité en milieu rural?

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04.05.2024

Récemment, l’un des principaux défis auxquels les milieux ruraux font face faisait la une du Devoir. Force est de reconnaître qu’à moins d’événements exceptionnels, il est plutôt rare que ceux-ci se retrouvent au centre de l’actualité médiatique. Pour des motifs difficiles à cerner, les chercheurs qui s’intéressent à ce segment de l’espace semblent aussi se faire de moins en moins nombreux.

Il s’agissait d’un dossier portant sur l’effritement des services, un phénomène structurel que l’on observe depuis les années 1990 et qui tend à s’amplifier notamment en raison du changement des habitudes des consommateurs, du vieillissement démographique, du déclin de la pratique religieuse et de la vie communautaire, de l’émergence des nouvelles technologies d’information et de communication ou de la situation des localités rurales dans l’espace.

En effet, l’érosion des services de proximité a débuté par les fermetures des bureaux de poste. Puis, ce fut au tour de la dernière école du village. L’organisme Solidarité rurale du Québec a particulièrement été proactif dans ce dernier dossier en tirant la sonnette d’alarme et en proposant diverses avenues de solutions mises en avant par les acteurs locaux et régionaux. Quelques actions innovantes (écoles environnementales, de cirque, regroupement de cycles) ont vu le jour, comme à Sainte-Paule ou au JAL, dans le Bas-Saint-Laurent, une région touchée par l’érosion de ses services de proximité comme l’évoquaient les données de l’Institut de la statistique du Québec.

Dans les années 2000, les fermetures de caisses, de guichets automatiques, de stations-service, de dépanneurs et d’églises se sont succédé au point tel que l’infrastructure de services, au sein des petites localités rurales, s’est effritée comme peau de chagrin. À certains endroits, cette infrastructure ne se réduit même plus au strict minimum.

Une partie de notre thèse doctorale a été consacrée à cet enjeu en 2003. En fait, le........

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