Depuis 2019, les résidents de la circonscription fédérale de Rosemont–La Petite-Patrie sont les seuls au Québec à être représentés à la Chambre des communes par un député du Nouveau Parti démocratique (NPD). Élu pour la première fois en 2011, Alexandre Boulerice est le dernier de la cohorte de députés néodémocrates de la fameuse « vague orange » à encore siéger à Ottawa. Il incombe ainsi à cet ancien syndicaliste, nommé chef adjoint du NPD en 2019, de défendre les politiques fédérales dont son parti réclame la parenté, mais qui soulèvent la controverse au Québec en raison de l’ingérence dans les sphères de compétence provinciale qu’elles entraînent. Comment fait-il la quadrature du cercle ?

« Des sourires en santé grâce au NPD », lit-on en page couverture du dépliant que M. Boulerice a récemment envoyé aux résidents de Rosemont–La Petite-Patrie pour vanter les mérites du nouveau programme fédéral de soins dentaires, dans lequel Ottawa s’engage à investir 13 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. « Grâce au NPD, plus personne n’aura à faire le choix entre soigner une carie et mettre de la nourriture sur la table », ajoute-t-on, en caractères gras, dans cette missive célébratoire.

M. Boulerice a récemment entrepris une tournée des résidences pour personnes âgées de sa circonscription pour vanter les mérites du nouveau programme. « Si vous vous inscrivez, vous allez pouvoir aller chez le dentiste, et vous n’allez pas avoir à débourser de l’argent et, après, vous faire rembourser, le voit-on expliquer à des résidents dans un reportage de Radio-Canada. La facture va être envoyée directement à Ottawa. Ça peut être une prothèse, des implants ou un dentier. Tout ça est couvert. »

Or, ce nouveau programme risque de ne jamais voir le jour au Québec. Le gouvernement de François Legault réclame de pouvoir exercer son droit de retrait avec pleine compensation du programme fédéral afin de bonifier le régime provincial de soins dentaires existant, dont les critères d’admissibilité diffèrent de ceux du programme fédéral. Il n’empêche que les néodémocrates, qui avaient fait du lancement du nouveau programme une condition du maintien de leur appui au gouvernement libéral minoritaire de Justin Trudeau, parlent déjà de sa réalisation comme d’un fait accompli et d’une grande victoire pour leur parti. Comme le nouveau régime fédéral d’assurance médicaments, qu’ils avaient forcé les libéraux à lancer, il s’agirait d’une autre preuve que le NPD fait naître des changements concrets pour les Canadiens les moins nantis. La pression qu’exerce cette formation sur le gouvernement Trudeau, dont la survie dépend des votes des députés du NPD à la Chambre, porte fruit.

En effet, les conflits de compétences dont se préoccupent les politiciens québécois ne semblent pas beaucoup résonner auprès des électeurs ordinaires. C’est d’ailleurs au Québec que les inscriptions au nouveau programme de soins dentaires sont, de loin, les plus élevées au pays. Le pari du chef néodémocrate, Jagmeet Singh, qui se présente comme celui qui veut « améliorer la vie des gens », alors que les politiciens québécois parlent de champs de compétence, n’est peut-être pas si fou que ça.

Certes, à moins d’un revirement spectaculaire, on n’est pas à la veille d’une nouvelle vague orange au Québec. Le dernier sondage Abacus n’accorde au NPD que 9 % des appuis des électeurs dans la province, ce qui le place loin derrière le Bloc québécois, toujours en tête avec 35 % des intentions de vote. Mais pour M. Singh et ses troupes, les prochaines élections pourraient constituer une occasion en or de supplanter les libéraux en devenant la première formation progressiste à l’extérieur du Québec.

Un effondrement du vote libéral — scénario qui deviendrait de plus en plus plausible au fur et à mesure que l’antipathie des électeurs envers M. Trudeau continuerait d’augmenter — permettrait au NPD de reprendre plusieurs circonscriptions que les libéraux ont gagnées par une courte majorité en 2021, dont Toronto-Danforth, ancien fief du défunt Jack Layton, Parkdale-High Park et Davenport, aussi à Toronto. Les gains néodémocrates dans la métropole aideraient le parti à compenser les pertes probables de sièges dans le nord de l’Ontario et en Colombie-Britannique, où la montée du Parti conservateur de Pierre Poilievre menace la survie de plusieurs députés néodémocrates sortants. Le populaire député de Timmins-Baie James, le néodémocrate Charles Angus, a annoncé cette semaine qu’il ne se représenterait pas, ce qui laissera un vide que M. Singh aura de la difficulté à combler.

Au Québec, le NPD rêve de reprendre Laurier–Sainte-Marie. La circonscription phare est tombée aux mains des libéraux en 2019 avec l’entrée en politique de Steven Guilbeault. Mais l’agrégateur de sondages 338Canada accorde maintenant l’avantage au NPD dans cette circonscription et prévoit une chaude lutte entre les libéraux et le NPD dans Outremont, lieu de la percée symbolique néodémocrate au Québec que représentait la victoire de Thomas Mulcair lors d’une élection complémentaire en 2007.

Quant à M. Boulerice, il semble indélogeable dans Rosemont–La Petite-Patrie. La circonscription est classée comme « NPD solide » par 338Canada. Se retrouvera-t-il toujours seul après le prochain scrutin ? Même un seul gain néodémocrate au Québec aux prochaines élections donnerait raison à la stratégie de M. Singh, n’en déplaise aux défenseurs des prérogatives du gouvernement du Québec.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Grâce au NPD - Konrad Yakabuski
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Grâce au NPD

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06.04.2024

Depuis 2019, les résidents de la circonscription fédérale de Rosemont–La Petite-Patrie sont les seuls au Québec à être représentés à la Chambre des communes par un député du Nouveau Parti démocratique (NPD). Élu pour la première fois en 2011, Alexandre Boulerice est le dernier de la cohorte de députés néodémocrates de la fameuse « vague orange » à encore siéger à Ottawa. Il incombe ainsi à cet ancien syndicaliste, nommé chef adjoint du NPD en 2019, de défendre les politiques fédérales dont son parti réclame la parenté, mais qui soulèvent la controverse au Québec en raison de l’ingérence dans les sphères de compétence provinciale qu’elles entraînent. Comment fait-il la quadrature du cercle ?

« Des sourires en santé grâce au NPD », lit-on en page couverture du dépliant que M. Boulerice a récemment envoyé aux résidents de Rosemont–La Petite-Patrie pour vanter les mérites du nouveau programme fédéral de soins dentaires, dans lequel Ottawa s’engage à investir 13 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. « Grâce au NPD, plus personne n’aura à faire le choix entre soigner une carie et mettre de la nourriture sur la table », ajoute-t-on, en caractères gras, dans cette missive célébratoire.

M. Boulerice a récemment entrepris une tournée des résidences pour personnes âgées de sa circonscription pour vanter les mérites du nouveau programme. « Si vous vous inscrivez, vous allez pouvoir aller chez le........

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