Si les célibataires n’existaient pas, nous nous priverions de bluettes sentimentales pour traverser cette période si chargée en attentes, en sourires obligés et en guirlandes de promesses clignotant dans la nuit. Le film Love Actually, ce classique noëllesque, en est l’étoile lumineuse. Le titre vient d’une phrase de Hugh Grant au générique : « love actually is all around » l’amour en fait est partout. Il n’a pas dit : « dans une seule personne impossible à trouver sur Tinder. »

Comme une vieille fille satisfaite, je viens de terminer la seconde saison de Noël en bonne compagnie, une série norvégienne fidèle au genre. Le genre qui cherche et finit par trouver (ceci n’est pas un divulgâcheur, c’est la nature d’une comédie romantique).

La mouture italienne s’intitule Je déteste Noël. La version québécoise pourrait y aller d’un « Je me câlisse de Noël » si j’en juge par le nombre de célibataires qui ont décidé de ne plus chercher l’Amour et d’assumer leur célibat sans avoir les boules. Pas comme un handicap ou une pièce manquante en attendant que le mémo de défectuosité soit envoyé à la compagnie ou au père Noël, non, comme un état tout à fait confortable (et enviable), l’inverse d’une pause ou d’une parenthèse temporaire.

Surtout, il ne faut pas l’ébruiter, c’est la civilisation entière qui en serait menacée

Le célibat conscient est une avenue prisée par certains, de même que le monomariage ou la sologamie à laquelle le journal Le Monde consacrait un reportage rigolo récemment, y voyant une forme de romantisme radical (ou de narcissisme total, c’est selon). C’est qu’on y va hardiment pour une cérémonie classique, la chapelle, la mariée au bras de son père, les colombes et tout le bataclan comme si on était deux ! Pour le meilleur et pour le pire.

La devise du site « Ma vie amoureuse de marde », lancé par l’humoriste et autrice Anne-Marie Dupras, résume bien l’idylle : « En couple avec le célibat jusqu’à ce que l’amour nous sépare. »

J’ai réuni Anne-Marie Dupras et Pattie O’Green, une historienne de l’art, horticultrice-arboricultrice forestière-sorcière, également autrice du Manifeste céleste. Aventures spirituelles en bottes à cap pour jaser de célibat conscient avant le cauchemar anticipé des Fêtes.

La page Facebook d’Anne-Marie est suivie par plus de 100 000 personnes, en général célibataires. La jeune quinqua est devenue une véritable coach de l’amour même si elle-même a trouvé son bonheur il y a dix ans au bras de son « fabuleux » : « Moi, je dis au monde : faites des jachères amoureuses. Parce que les relations toxiques vous marquent pour toujours. Essayer du monde, c’est pas comme essayer des souliers, ça magane… »

Pattie, 43 ans, adepte du célibat conscient plusieurs fois durant son parcours amoureux, en parle avec sagesse : « L’élan vers le célibat doit être aussi conscient que l’élan vers l’autre. C’est un retour à soi, dans la joie, le contraire de l’amertume. » D’ailleurs, Pattie renommerait le « célibat »… la grâce. La grâce dans une forme de plénitude qui occupe toute la place dans le lit Queen.

Et les petites phrases qui tentent de démolir cette grâce, comme : « C’est pas avec une attitude comme celle-là que tu vas rencontrer quelqu’un ! », les font rire. « C’est un gaslighting social de notre intuition, pense Pattie. On tente de nous raisonner. Mais la raison, je m’en fous ! Ce n’est pas un état transitoire ; il n’y a pas de : ça va finir un jour. »

Un espace est libre ? Occupons-le ! Une femme est libre ? Occupons-la ! Avant qu’elle ne devienne sauvage, indomptable, dangereuse pour l’humain, pour la bonne marche des choses.

Anne-Marie ajoute : « Ta petite voix, si tu ne l’écoutes pas, elle ne te reparlera pas. » Dans un groupe privé de femmes célibataires auquel elle participe, Anne-Marie voit beaucoup de quinquas sexas abandonner le projet du couple hétéro : « Moi, si je n’étais pas avec mon chum, je serais avec une fille. Je n’ai pas le goût d’éduquer un adulte. Les filles finissent par materner dans le couple. Et je n’ai pas envie de me faire résumer à : à quel point je suis baisable. »

Dans son manifeste d’autonomisation féminine, Pattie aborde ce célibat choisi et souligne l’arrogance du couple, une posture confortable en société « comme un mode de défense, une manière d’être au monde », née d’un « inconfort devant l’informe ». Et malheureusement, peu de couples — parfois soudés par la peur de la solitude — nous font réellement envie. En fait, ce serait plutôt l’inverse qui se produit.

Anne-Marie enchaîne : « La célibataire qui s’assume, ça remet en question les bases de notre société : “Tu fuckes mon plan de vie, t’as l’air bien !” Imagine si on disait aux gens : “J’imagine que t’es encore en couple ? !” Et puis les phrases clichées du genre : “C’est quand on ne cherche pas qu’on trouve”… Essaie donc d’expliquer ça au bureau de chômage ! »

Pattie abonde : « Il y a encore quelque chose de révolutionnaire dans ce concept. Le couple n’est pas un gage d’amour ; il manque d’expansion. L’amour est partout. » (Hugh Grant, où es-tu ?)

Et l’amour n’est surtout pas dans la phrase réductrice et éteignoir : « As-tu rencontré quelqu’un ? » Prenez des notes pour le party du 24…

Les deux femmes constatent combien les biais capitalistes se sont insinués dans la sphère romantique, une femme seule étant perçue comme du « gaspillage », une belle femme qui ne profiterait à aucun comme « quelque chose à rentabiliser, quelque chose qui pourrait satisfaire un humain, je veux dire, encore plus important : un homme. Tout est ramené à son utilité, à sa fonction ou à sa valeur monétaire », écrit Pattie dans son manifeste.

Anne-Marie a déjà servi de blonde de courtoisie à un homme qui voulait se pavaner aux côtés d’une femme trophée pour l’inauguration d’un commerce, moyennant grasse rétribution. « J’ai joué la blonde idiote. Je me suis beaucoup amusée. »

Les femmes seraient sans doute plus riches si elles connaissaient leur véritable valeur. À quand la grève du couple ? Tant qu’à négocier sur la place publique…

cherejoblo@ledevoir.com

Dégusté Noël en bonne compagnie en mangeant des clémentines et des biscuits Pépito. C’est l’histoire d’une jeune infirmière trentenaire qui cherche l’amour 24 jours avant Noël pour ne plus se faire harceler par sa famille nataliste. Alerte au hygge coupable épicé à la cannelle des phéromones ! Avec une bonne dose de féminisme, de wokisme, d’humour et d’amours non conventionnelles. Au pays des rennes, en plus (la bande-son en français est insupportable, je préfère le norvégien) ! Sur Netflix.

Profité d’Orgasmes à la carte 2 d’Anne-Marie Dupras. Cette fois, le livre à ne lire que d’une main campe l’héroïne (on s’adresse aux lectrices intrépides) sur une île des Caraïbes, en vacances. Un livre autosuffisant et sans GES. Les Éditions de l’Homme (!).

Et si vous avez envie de lire les confidences de ces dames, je vous suggère Caresses magiques (revue Zinc), 26 témoignages de femmes sur le sexe, la masturbation, l’orgasme, les fantasmes, repris d’une précédente édition épuisée. Le sexe peut être épuisant…

Adoré Manifeste céleste écrit par Pattie O’Green, un parcours spirituel et intellectuel de femme qui désire s’appartenir, de femme deboutte, mi-sorcière, mi-déesse, mais toujours dans ses bottes à cap. Elle est drôle, vulnérable, intelligente et féministe (oui, oui !). Pattie vient de publier Les prophéties de la montagne chez Marchand de feuilles. Mon projet de vacances…

On l’a surnommée la princesse de Clèves moderne en France. Ovidie, 43 ans, cette ex-réalisatrice et actrice porno est devenue écrivaine et documentariste. Son essai La chair est triste hélas relate quatre années de « grève du sexe » où elle dissèque les rapports hommes-femmes, nous parle de féminisme, du mouvement #MeToo et de son peu d’envie de continuer à faire semblant. « Nous vivons dans un mensonge généralisé, un simulacre d’hédonisme où chacun prétend copuler à tire-larigot. »

Son livre est un coup de gueule bien senti sur toutes ces femmes qui ont décidé de faire une grève générale de la séduction. Terminé le tintouin qui coûte une fortune pour plaire et en retirer peu de satisfaction en retour. Elle parle également de reprogrammer ses fantasmes et de notre valeur sur le marché de l’amour.

« Car ce qui détermine la cote d’une femme dans notre société, c’est sa baisabilité, effective ou symbolique. »

À l’heure des applications de rencontres, de la porno, des étiquettes LGBTQ , de Depardieu et de #MeToo, il y a désordre au royaume du désir. Ovidie y jette des mots crus, de ceux qu’on ne lit jamais. « En réalité, je connais davantage de femmes mal baisées que d’hommes bien. » Elle craint que cette grève ne fasse d’elle une anomalie sociale. Collection Fauteuse de trouble (Julliard) dirigée par Vanessa Springora.

Pour aller plus avant dans le sujet, quatre épisodes d’une heure passionnants pilotés par Ovidie et Tancrède Ramonet : Vivre sans sexualité sur France Culture. Bien documenté et très cru avec plusieurs confidences. Des métaphores économiques sur le libéralisme sexuel et le capitalisme, dont les femmes constituent encore la monnaie d’échange.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Noël en bonne compagnie - Josée Blanchette
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Noël en bonne compagnie

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15.12.2023

Si les célibataires n’existaient pas, nous nous priverions de bluettes sentimentales pour traverser cette période si chargée en attentes, en sourires obligés et en guirlandes de promesses clignotant dans la nuit. Le film Love Actually, ce classique noëllesque, en est l’étoile lumineuse. Le titre vient d’une phrase de Hugh Grant au générique : « love actually is all around » l’amour en fait est partout. Il n’a pas dit : « dans une seule personne impossible à trouver sur Tinder. »

Comme une vieille fille satisfaite, je viens de terminer la seconde saison de Noël en bonne compagnie, une série norvégienne fidèle au genre. Le genre qui cherche et finit par trouver (ceci n’est pas un divulgâcheur, c’est la nature d’une comédie romantique).

La mouture italienne s’intitule Je déteste Noël. La version québécoise pourrait y aller d’un « Je me câlisse de Noël » si j’en juge par le nombre de célibataires qui ont décidé de ne plus chercher l’Amour et d’assumer leur célibat sans avoir les boules. Pas comme un handicap ou une pièce manquante en attendant que le mémo de défectuosité soit envoyé à la compagnie ou au père Noël, non, comme un état tout à fait confortable (et enviable), l’inverse d’une pause ou d’une parenthèse temporaire.

Surtout, il ne faut pas l’ébruiter, c’est la civilisation entière qui en serait menacée

Le célibat conscient est une avenue prisée par certains, de même que le monomariage ou la sologamie à laquelle le journal Le Monde consacrait un reportage rigolo récemment, y voyant une forme de romantisme radical (ou de narcissisme total, c’est selon). C’est qu’on y va hardiment pour une cérémonie classique, la chapelle, la mariée au bras de son père, les colombes et tout le bataclan comme si on était deux ! Pour le meilleur et pour le pire.

La devise du site « Ma vie amoureuse de marde », lancé par l’humoriste et autrice Anne-Marie Dupras, résume bien l’idylle : « En couple avec le célibat jusqu’à ce que l’amour nous sépare. »

J’ai réuni Anne-Marie Dupras et Pattie O’Green, une historienne de l’art, horticultrice-arboricultrice forestière-sorcière, également autrice du Manifeste céleste. Aventures spirituelles en bottes à cap pour jaser de célibat conscient avant le cauchemar anticipé des Fêtes.

La page Facebook d’Anne-Marie est suivie par plus de 100 000 personnes, en général célibataires. La jeune quinqua est devenue........

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