La pierre blanche de sa mine, mon grand-père la prenait pour du lait, pour du miel, pour de l’or. Ce n’était pas exactement sa mine. Il avait obtenu, tout au plus, le droit de creuser la terre avec ses dents au milieu des bois. Entre ses mains, il tenait ce qui s’obtient encore facilement : un claim minier. Ce faisant, le gouvernement l’avait autorisé à travailler jour et nuit. Jusqu’à s’enterrer vivant.

Trouver de l’or jaune est un rêve. Le sien était un rêve blanc. C’était celui de faux diamants. Du simple quartz. Même s’il avait continué de creuser toute sa vie, la veine qu’il avait repérée était trop pauvre pour le rendre riche.

De cette pierre dure et translucide vient l’expression « faux comme des diamants du Canada ». Jacques Cartier s’était cru béni de Dieu après avoir mis la main sur du quartz. Cela nous a laissé le nom d’un lieu : le cap Diamant. C’est de là que Québec se mire encore dans les eaux du Saint-Laurent, en se prenant pour un joyau de la couronne.

Mon grand-père parlait de la mine. Sa mine. Il en parlait avec du soleil au fond des yeux. Son propre système solaire s’était mis en place autour de ce trou à ciel ouvert qui s’était pourtant effondré sur lui avant de se remplir d’eau. Il y avait perdu sa chemise, après y avoir consacré son temps, son sang, ses enfants, son peu d’argent.

Pourtant, même une fois sorti de ce trou du malheur, il continuait de le creuser avec sa bouche, sa langue, ses dents. En parlant de cette mine, il pelletait des nuages tant qu’il pouvait. Il avalait l’air par grandes lampées avant de finir par se résoudre, devant les faits accablants, à recracher par terre les os rongés de ses vieux rêves dépités de chercheur de trésor.

Le silicium, qu’on parvient à tirer des mines de quartz, est aussi le minerai qui intéressait un improbable trio d’investisseurs chinois repérés l’été dernier sur la Côte-Nord, au petit village de Baie-Johan-Beetz. Les pourparlers de cette délégation avec les autorités locales ont été brefs. Le Devoir vous en a parlé ces jours derniers.

Des Chinois, attachés à une puissante compagnie minière, ont débarqué là-bas. Ils ont frappé à la porte de cette municipalité qui compte tout au plus une centaine de citoyens. Aimables, affables, ils avaient apporté quelques cadeaux. Ils ont dit en substance ceci : en échange de nos bons procédés, pourriez-vous avoir l’obligeance de nous faire visiter la mine située à côté, tout en nous expliquant comment nous pouvons l’acheter sans tarder et en tirer tout ce qui peut l’être pour l’exporter ?

Ces Chinois, bien polis, se sont tout de même fait montrer la porte. Ce qui ne les découragera sans doute pas d’aller cogner à d’autres portes, ici ou ailleurs.

En fait, ces émissaires chinois qui se sont rendus au village de Baie-Johan-Beetz faisaient un peu la même chose que Johan Beetz lui-même…

Né en Belgique en 1874, ce fils d’une riche famille d’aristocrates porte une moustache retroussée qui sied bien à ses airs guindés. Il a grandi dans un château. Son beau-père, un Britannique, est l’ancien aide de camp du futur roi Édouard VII.

Johan Beetz parcourt le Maroc, l’Algérie et, surtout, le Congo. Le Congo belge était un large morceau de gâteau découpé à même l’Afrique pour être mangé. Ce royaume, possession personnelle du roi Léopold II, fait à peu près quatre-vingts fois la taille de la Belgique.

Au Québec, Beetz pose le pied à Piashti-Baie, un territoire innu situé en aval de Havre-Saint-Pierre. Les habitants du lieu, sans le sou, surnomment l’endroit Piastre Baie. Et des piastres, Johan Beetz va en faire.

Beetz a racheté là-bas les avoirs d’un de ses compatriotes. Au bord de la rivière, il fait construire sa maison. Les locaux l’appellent « le château ». Après avoir pris la mesure des ressources locales tout en étant fort de son capital, Beetz décide de se lancer dans l’élevage de renards argentés. Il va les écorcher en série. Les peaux sont vendues à fort prix. La fourrure, en ce temps-là au Canada, c’est de l’or et du diamant.

Le roi Albert Ier se réjouit de voir un de ses sujets prospérer gaiement de la sorte. Les deux hommes se connaissent. Ils ont joué ensemble étant enfants. Le bon roi sacre donc Beetz chevalier de l’Ordre de Léopold II.

L’État québécois va en venir à acheter à Beetz son imposante collection de bêtes naturalisées. Puis, sa maison sera « classée ». Lui, à l’heure où ses enfants fréquentent de bonnes écoles, va couler des jours heureux à Montréal et à Québec.

Nous ne sommes plus au temps de Jacques Cartier, où le pillage des ressources se drapait des récits fabulés de grandes épopées. La course effrénée au profit à tout prix ne prend pas toujours les allures d’une tyrannie. Il suffit de connaître les lois et les règlements, de savoir jongler avec, pour pouvoir mettre un pied dans la porte de quasi n’importe quel pays et s’y trouver béni.

Cependant, ceux qui accumulent du crédit et des richesses font encore miroiter, à ceux qu’ils dominent, des promesses de faux diamants. Les simulacres de la richesse, les parodies du luxe des riches, destinées à nourrir avec cynisme les appétits de ceux à qui l’on fixe les salaires, sont toujours produits au profit des nouvelles aristocraties de l’argent. Les Chinois comme d’autres l’ont bien compris. Si bien que, sous le grand chapiteau de l’exploitation universelle des uns par les autres, l’ancienne baie de la Piastre, rebaptisée Baie-Johan-Beetz, pourrait fort bien, un jour, prendre le nom de Baie-de-Beijing sans que personne y trouve rien à redire.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - La chasse au trésor - Jean-François Nadeau
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La chasse au trésor

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18.12.2023

La pierre blanche de sa mine, mon grand-père la prenait pour du lait, pour du miel, pour de l’or. Ce n’était pas exactement sa mine. Il avait obtenu, tout au plus, le droit de creuser la terre avec ses dents au milieu des bois. Entre ses mains, il tenait ce qui s’obtient encore facilement : un claim minier. Ce faisant, le gouvernement l’avait autorisé à travailler jour et nuit. Jusqu’à s’enterrer vivant.

Trouver de l’or jaune est un rêve. Le sien était un rêve blanc. C’était celui de faux diamants. Du simple quartz. Même s’il avait continué de creuser toute sa vie, la veine qu’il avait repérée était trop pauvre pour le rendre riche.

De cette pierre dure et translucide vient l’expression « faux comme des diamants du Canada ». Jacques Cartier s’était cru béni de Dieu après avoir mis la main sur du quartz. Cela nous a laissé le nom d’un lieu : le cap Diamant. C’est de là que Québec se mire encore dans les eaux du Saint-Laurent, en se prenant pour un joyau de la couronne.

Mon grand-père parlait de la mine. Sa mine. Il en parlait avec du soleil au fond des yeux. Son propre système solaire s’était mis en place autour de ce trou à ciel ouvert qui s’était pourtant effondré sur lui avant de se remplir d’eau. Il y avait perdu sa chemise, après y avoir consacré son temps, son sang, ses enfants, son peu d’argent.

Pourtant, même une fois sorti de ce trou du malheur, il continuait de le creuser avec sa bouche, sa langue, ses dents.........

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