Comment faire parler de son coin de pays pour le mieux ? À en croire les déclarations de Sébastien D’Astous, le maire d’Amos, il suffit de s’imaginer, pour commencer, que sa notoriété toute personnelle trouve à se confondre avec l’intérêt supérieur de sa municipalité.

Monté sur cette illusion individualiste, le maire s’est lancé à grands galops sur les petits chemins de la télévision. Il a informé la neige d’Abitibi-Témiscamingue qu’il ne saurait trouver gloire pour les siens que sous le soleil des Philippines. Voici donc le maire d’Amos en partance pour une île transformée en un théâtre d’opérette, selon la recette mondialisée d’une téléréalité baptisée Survivor Québec.

« Je veux faire parler de ma région. Je veux faire parler de ma ville », a expliqué Sébastien D’Astous dans une vidéo officielle relayée, comme si cela allait de soi, par sa municipalité. Durant deux semaines ou deux mois, selon sa performance à la télévision, il sera remplacé comme maire par un suppléant. À la MRC d’Abitibi, où le maire occupe le siège de préfet, ce sera la même chose. Là aussi, il est remplacé au pied levé, en se voyant offrir des tapes dans le dos, personne apparemment ne voyant là-dedans de profondes contradictions avec la nature des fonctions en cause.

Voici donc le brave maire qui plonge la tête la première dans un de ces shows de voyeurs conçus afin que les téléspectateurs ouvrent si grands leurs yeux qu’ils finissent par s’aveugler sur la nature de leur propre vie en société.

« Vous me connaissez dans mes fonctions de maire. Dans l’émission, vous allez apprendre à me connaître beaucoup plus intimement », poursuit le maire. La belle affaire ! Mais à quoi sert un maire parti faire le singe aussi loin, sachant que la destinée de sa communauté ne dépend d’aucune façon d’une accumulation de pirouettes à l’étranger, mais d’efforts concertés sur le terrain avec les siens ?

Il ne serait pas étonnant que le maire D’Astous doute, en son âme et conscience, que dans tout ce cirque quelque chose ne tourne pas rond au chapitre de la raison. Écoutez-le bien. Il affirme à qui veut l’entendre qu’il s’engage, dès son retour, « à remettre une certaine compensation en don pour ma communauté ». Qui dit compensation affirme d’ordinaire qu’il y a eu perte de quelque chose, non ?

Le maire D’Astous pense en tout cas qu’il va, en allant jouer dans le pré carré d’une simili-aventure télévisée, rapporter les dividendes d’une notoriété nouvellement bricolée. Il confond à l’évidence la notoriété avec la crédibilité, dont il est censé, comme maire, être le digne représentant. L’une n’est pourtant pas l’équivalente de l’autre.

La notoriété donne volontiers la main au populaire. Et le populaire, quand il prend ainsi le mors aux dents, glisse volontiers jusqu’au cou du populisme. Il l’embrasse à bouche que veux-tu, sans pour autant jamais parvenir à enfanter de la crédibilité.

Il existe plusieurs façons de donner de la notoriété à une municipalité. Se retrouver sur une île perdue des Philippines pour un jeu télévisé, dans une formidable dépense d’énergie et de ressources, n’en est pas une. Comment pareille affaire a-t-elle pu paraître à des élus comme une voie d’avenir propre à soulever en l’air la Ville d’Amos ? Qui a bien pu penser que la crédibilité d’une cité se préparait comme du pudding instantané ?

Difficile de s’expliquer pourquoi la ministre des Affaires municipales du Québec ne saisit pas l’occasion pour rappeler publiquement à la ronde, à tous les maires et mairesses pour commencer, qu’il existe une règle de base au sein de l’État. Quelque chose d’ancien qui assure son maintien : le devoir de réserve. Lorsqu’il est question, en particulier, de la fonction de maire, cette règle non écrite invite au minimum à ne pas se commettre dans des engagements personnels qui pourraient miner la crédibilité des entités dont il a la responsabilité.

Sur les quelque mille cent municipalités que compte le Québec, pratiquement la moitié des maires et des mairesses sont élus par acclamation, dans un simulacre de jeu démocratique. Plusieurs apparaissent ainsi attachés pour l’éternité à leur petite barque, comme des moules zébrées, sans que rien ni personne menace de les en décoller. La vie municipale mérite d’être ravivée. Et elle mérite de l’être autrement que par des spectacles.

Jacques Ferron, un de nos plus grands écrivains, avait lu un jour qu’au Brésil, à São Paulo, les électeurs avaient préféré voter pour une grosse bête du zoo local plutôt que pour les candidats qui se présentaient à eux et auxquels ils n’accordaient aucune crédibilité. Pas plus bête, Ferron voulut faire comprendre aux siens, trop souvent bouche bée, la comédie politique qui se jouait sous leur nez. En compagnie de quelques amis, il lança à cette fin le Parti rhinocéros. Peut-être enverrait-il aujourd’hui un troupeau de rhinocéros à Amos pour mieux souligner que la raison s’y trouve gaiement piétinée.

De Jacques Ferron vient de paraître un livre à la fois inattendu et prodigieux. Il s’agit de sa correspondance avec Jean Marcel, un improbable érudit venu du quartier populaire de Saint-Henri. Le pays a toujours raison, premier tome de cette correspondance d’une richesse inouïe, n’est pas pour tout le monde. C’est touffu au possible. Il faut aimer les détours de l’érudition qui jaillissent comme des feux d’artifice. De solides notions de base sur l’histoire politique et culturelle du Québec constituent un préalable à cette lecture. Reste qu’il s’agit sans doute de la correspondance la plus étonnante jamais publiée au Québec. Je pèse mes mots. Et je serais bien bête moi-même de ne pas vous signaler cet extraordinaire pavé.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Des rhinocéros à Amos - Jean-François Nadeau
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Des rhinocéros à Amos

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19.02.2024

Comment faire parler de son coin de pays pour le mieux ? À en croire les déclarations de Sébastien D’Astous, le maire d’Amos, il suffit de s’imaginer, pour commencer, que sa notoriété toute personnelle trouve à se confondre avec l’intérêt supérieur de sa municipalité.

Monté sur cette illusion individualiste, le maire s’est lancé à grands galops sur les petits chemins de la télévision. Il a informé la neige d’Abitibi-Témiscamingue qu’il ne saurait trouver gloire pour les siens que sous le soleil des Philippines. Voici donc le maire d’Amos en partance pour une île transformée en un théâtre d’opérette, selon la recette mondialisée d’une téléréalité baptisée Survivor Québec.

« Je veux faire parler de ma région. Je veux faire parler de ma ville », a expliqué Sébastien D’Astous dans une vidéo officielle relayée, comme si cela allait de soi, par sa municipalité. Durant deux semaines ou deux mois, selon sa performance à la télévision, il sera remplacé comme maire par un suppléant. À la MRC d’Abitibi, où le maire occupe le siège de préfet, ce sera la même chose. Là aussi, il est remplacé au pied levé, en se voyant offrir des tapes dans le dos, personne apparemment ne voyant là-dedans de profondes contradictions avec la nature des fonctions en cause.

Voici donc le brave maire qui plonge la tête la première dans un de ces shows de voyeurs conçus afin que les téléspectateurs ouvrent si grands leurs yeux qu’ils finissent par s’aveugler sur la nature........

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