La foudre, paraît-il, frappe de plus en plus. Des scientifiques considèrent que les changements climatiques sont susceptibles, au nord, c’est-à-dire aux portes de la forêt boréale, d’accroître les éclairs de 11 % à 31 %. Quand la température moyenne augmente d’un degré, la foudre se trouve démultipliée.

Une étude de la revue Nature Geoscience, rapportée par La Presse, expose ce constat largement partagé par la communauté scientifique. Autrement dit, au-delà de Chibougamau, le feu céleste n’a pas fini de frapper.

Une bonne partie des terribles incendies du printemps et de l’été derniers ont été causés par la foudre. Pour que le feu coure ensuite au sol, les conditions doivent être propices. Les forêts coupées peuvent favoriser les brasiers. Faute de couvert forestier, l’humidité se trouve moins bien préservée. Copeaux et branchages séchés encouragent les flammes à tout avaler.

Vous vous souvenez de ces ciels de fin du monde, de nos difficultés à respirer, de l’atmosphère teintée de jaune et d’orangé ? Sous la frange brumeuse du plafond de fumée, nous avons, des jours entiers, failli étouffer. L’air se faisait rare. Le ciel flamboyait. L’atmosphère semblait s’échapper de nos poumons. Ce ciel chargé de la puissance de la mort mettait en relief les réalités consécutives aux changements climatiques.

À l’aéroport, j’avais croisé des pompiers forestiers en transit. Ils étaient affalés à même le sol, épuisés, plombés par des journées interminables. Ils attendaient d’être mutés vers d’autres foyers d’incendie. D’un coin de pays à l’autre, plus personne ne savait où donner de la tête.

Nous étions presque surpris, quand les nuages se sont dissipés, de retrouver le tiède enchantement du ciel bleu et du doux soleil. Puis, nous avons continué comme avant, la tête baissée, sans prendre trop la peine de lever les yeux de notre ordinaire.

Nous ne craignons guère, comme au village d’Astérix, que le ciel finisse par nous tomber sur la tête. Nos bardes à nous chantent à tue-tête le refrain de la croissance économique. Que la monnaie fédérale soit désormais frappée de la tête du roi Charles ou du roi de la poutine râpée ne change rien au refrain général du capital.

Si le nombre d’éclairs qui déchirent le ciel augmente dans les années à venir, il est loisible de penser que plus d’humains seront foudroyés. Les probabilités demeurent cependant plutôt minces. Lors des gros orages, il suffit de se mettre à l’abri, de s’éloigner des fenêtres, d’éviter de prendre un bain ou de faire la vaisselle pour réduire à presque rien les risques d’être frappé par la foudre.

Reste que vos probabilités d’être foudroyé demeurent plus importantes que de gagner à la loterie. Selon Environnement Canada, les probabilités qu’une décharge du ciel s’abatte sur vous sont d’un peu moins d’une sur un million. En comparaison, au Lotto 6/49, vous avez une chance sur douze millions environ.

À la grande loterie de la vie, face au besoin d’avoir ce que d’autres ont et de faire ce que d’autres font, tout un monde se réunit, semaine après semaine, autour des espoirs offerts à bas prix par les jeux de hasard. Tandis que les infirmières, les enseignantes et les employés des services sociaux se battent pour de meilleures conditions de travail, tandis que le domaine public s’effrite sous nos yeux, les résultats glorieux du hasard continuent de nous être narrés comme des miracles auxquels il est raisonnable d’aspirer.

Il était question, ces jours derniers, de monsieur Larocque et de madame Ennis. Ce sont deux résidents de Coaticook. Monsieur a gagné 55 millions à la loterie. Le jour où il l’a appris, Madame ne le croyait pas plus que lui. Le soir venu, Monsieur s’est couché avec le billet gagnant. Il l’a mis dans la poche de son pyjama. Sa nuit a été mauvaise. Il s’est réveillé plusieurs fois, comme pour s’assurer que le billet était encore là, qu’il ne rêvait pas.

Le billet de M. Larocque a été acheté au Dépanneur JA, rue Saint-Jean-Baptiste à Coaticook. Il s’agit, je crois, de l’ancienne « Accommodation Karine ». L’établissement a changé de nom. En guise de commission, le commerce touche 550 000 $. Notez que l’évaluation municipale de l’immeuble où le Dépanneur JA est logé depuis des années lui attribue une valeur inférieure à cette somme.

Que fera M. Larocque ? Il veut aller à la pêche. À sa retraite, il s’est initié à la pêche à la mouche. Il n’a jamais pris. Rien en trois ans, dit-il. Peut-être que M. Larocque n’est pas doué. Reste que le réchauffement des eaux rend le poisson plus rare et la saison de pêche à la truite plus courte. Ses millions ne lui donneront pas plus de poissons. Pas même en Écosse où il souhaite désormais pêcher. Depuis le mois de mars dernier, les eaux écossaises sont aussi frappées par une vague de chaleur sans précédent, provoquant des mortalités marines massives. La nature est, hélas, partout humiliée, piétinée, violée. Est-ce là, pour tous, notre gros lot ? La loterie constitue en tout cas une toile de fond sur laquelle se projettent avec beaucoup de clarté et de contraste les misères de notre société.

Tandis qu’il reste encore près de 1000 postes à pourvoir dans l’enseignement, tandis que les syndicats du secteur public, en désespoir de cause, font grève, l’appétit pour la loterie continue d’affirmer, à sa façon, un profond désir de changement, d’évasion, de recherche du repos, du bonheur et de l’ailleurs, au nom de la consommation de nos illusions, au mépris des réalités qui nous clouent pourtant au sol en un éclair sans que nous ne protestions.

À Québec, les rois du hockey de Los Angeles viennent de gagner à la loterie publique. Des millions, jetés en l’air en un éclair, pour faire jouer des millionnaires dans un amphithéâtre de hockey encore toujours vide, bien qu’il ait été construit avec 400 millions de dollars arrachés au trésor public. Les Kings, le Lightning de Tampa Bay ou n’importe quelle autre équipe de millionnaires aurait beau gagner à cette loterie, la population n’en serait pas moins prise, encore une fois, pour un gros poisson.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Coup de foudre - Jean-François Nadeau
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Coup de foudre

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20.11.2023

La foudre, paraît-il, frappe de plus en plus. Des scientifiques considèrent que les changements climatiques sont susceptibles, au nord, c’est-à-dire aux portes de la forêt boréale, d’accroître les éclairs de 11 % à 31 %. Quand la température moyenne augmente d’un degré, la foudre se trouve démultipliée.

Une étude de la revue Nature Geoscience, rapportée par La Presse, expose ce constat largement partagé par la communauté scientifique. Autrement dit, au-delà de Chibougamau, le feu céleste n’a pas fini de frapper.

Une bonne partie des terribles incendies du printemps et de l’été derniers ont été causés par la foudre. Pour que le feu coure ensuite au sol, les conditions doivent être propices. Les forêts coupées peuvent favoriser les brasiers. Faute de couvert forestier, l’humidité se trouve moins bien préservée. Copeaux et branchages séchés encouragent les flammes à tout avaler.

Vous vous souvenez de ces ciels de fin du monde, de nos difficultés à respirer, de l’atmosphère teintée de jaune et d’orangé ? Sous la frange brumeuse du plafond de fumée, nous avons, des jours entiers, failli étouffer. L’air se faisait rare. Le ciel flamboyait. L’atmosphère semblait s’échapper de nos poumons. Ce ciel chargé de la puissance de la mort mettait en relief les réalités consécutives aux changements climatiques.

À l’aéroport, j’avais croisé des pompiers forestiers en transit. Ils étaient affalés à même le sol, épuisés, plombés par des journées interminables. Ils attendaient d’être mutés vers d’autres........

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