La poussée de fièvre inflationniste produit son lot de ménages souffrant d’insécurité alimentaire, parmi lesquels un nombre toujours grandissant provient de ceux qui affichent un revenu supérieur au seuil de pauvreté. Petit portrait d’un appauvrissement progressif.

La semaine dernière, Statistique Canada publiait les résultats de l’Enquête canadienne sur le revenu. On y apprenait que la proportion de familles en situation d’insécurité alimentaire au cours des 12 mois précédant l’enquête avait augmenté pour passer de 16 % en 2021 à 18 % en 2022. Parmi les provinces et territoires, le plus faible taux (14 %) s’observe au Québec.

Dans le portrait d’ensemble, 11 % des familles avaient un revenu inférieur au seuil de la pauvreté, selon la mesure du faible revenu fondée sur un panier de consommation (MPC). Elles sont les plus vulnérables à l’insécurité alimentaire, avec un taux plus de deux fois plus élevé que celles vivant au-dessus de ce seuil (35 % contre 16 %).

Cela vaut davantage pour les plus démunis. Dans son analyse des programmes d’assistance sociale publiée en mai, l’Observatoire québécois des inégalités concluait que les programmes d’assistance sociale en vigueur au Québec ne permettent pas à leurs prestataires de disposer d’un revenu suffisant pour couvrir leurs besoins de base. L’on mesurait que les seuils de la MPC, de la mesure de faible revenu (MFR), et de la mesure de revenu viable (MRV) sont tous supérieurs aux montants annuels des prestations de dernier recours, et ce, tant pour une personne seule que pour une famille monoparentale ou un couple avec enfants.

L’analyse arrive au même constat en additionnant le montant des prestations d’aide de dernier recours aux autres transferts gouvernementaux composant le revenu disponible.

Cette parenthèse étant, il n’empêche qu’au total, environ 8 familles sur 10 se trouvant en situation d’insécurité alimentaire avaient un revenu supérieur au seuil de la pauvreté, souligne Statistique Canada. On parle ici de 2,3 millions des quelque 2,9 millions de familles recensées.

Pire. L’agence fédérale prend soin de préciser que l’enquête a été menée du 16 janvier au 5 juillet 2022. Au cours de cette période, le taux d’inflation d’une année à l’autre est passé de 1 % en janvier 2021 à 4,8 % en décembre 2021, et le taux annuel d’inflation des denrées alimentaires est passé de 1 % à 5,2 %. L’indice des prix à la consommation a continué d’augmenter pour toucher un sommet de 8,1 % en juin 2022. Pour sa part, l’augmentation des prix des aliments vendus en magasin se permettait une hausse supérieure à 10 % d’une année à l’autre en août, en septembre et en octobre 2022, avec un pic à 11,4 % en septembre. Du jamais vu en plus de 40 ans. Sans compter la flambée des coûts du logement.

Cette détérioration n’a pas été sans préparer le terrain à une aggravation « dramatique » de l’insécurité alimentaire au Québec, se traduisant par un achalandage « sans précédent » dans les banques alimentaires, a mis en exergue le p.-d.g. des Banques alimentaires du Québec, Martin Munger, dans une entrevue accordée à La Presse canadienne (PC) publiée le 25 octobre.

En seulement un an, le nombre de personnes qui fréquentent son réseau de 1300 organismes communautaires a bondi de 30 % pour s’établir à 872 000 personnes en mars 2023, selon le Bilan-Faim 2023. Il s’agit d’un bond de 73 % par rapport au bilan de 2019. « Sur la population du Québec, c’est une personne sur dix qui fréquente les banques alimentaires pour se nourrir », constate avec inquiétude M. Munger. Le nombre de paniers de provisions, pour sa part, a doublé en quatre ans, passant de 345 000 à 682 000. Et la situation se serait dégradée depuis la collecte des données faite en mars.

Le portrait canadien serait similaire, avec un bond de 32 % du nombre de visites dans une banque alimentaire en un an et de 78,5 % par rapport à mars 2019.

Et là encore, avoir un emploi ne peut être une garantie. En 2023, 18,5 % des utilisateurs des banques alimentaires tiraient la majorité de leurs revenus d’un emploi, comparativement à 13,5 % en 2019, ajoute la PC.

En guise d’information additionnelle, on peut ajouter que les résultats de l’analyse de l’Observatoire québécois des inégalités mentionnés précédemment se veulent encore plus sombres lorsqu’on compare le revenu disponible des prestataires à la mesure de revenu viable, qui établit le seuil de revenu jugé nécessaire pour se rapprocher d’une sortie réelle de la pauvreté. L’on parle d’un revenu viable faisant la démarcation entre la pauvreté et son absence, qui tient compte notamment de la présence de services publics (principalement un réseau de transport en commun), des transferts et crédits gouvernementaux et du coût de la vie, lequel diffère d’une localité à une autre.

D’autant que la hausse du coût de la vie fait en sorte que « le revenu nécessaire pour atteindre un niveau de vie exempt de pauvreté a augmenté plus rapidement que l’inflation », a déjà souligné l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques. On peut rappeler que les prix des nécessités courantes, plus lourdement ressentis lorsque l’on descend dans l’échelle des revenus, affichent les plus fortes hausses dans ce long épisode inflationniste.

Un ménage est considéré comme souffrant d’insécurité alimentaire s’il appartient à l’une des trois catégories suivantes :

Insécurité alimentaire marginale : avoir peur de manquer de nourriture ou avoir un choix d’aliments restreint en raison d’un manque de ressources financières.

Insécurité alimentaire modérée : diminution de la qualité ou de la quantité des aliments consommés en raison d’un manque de ressources financières.

Insécurité alimentaire grave : sauter des repas, réduire son apport alimentaire et, dans les pires cas, passer un ou plusieurs jours sans manger.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Portrait d'un appauvrissement progressif - Gérard Bérubé
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Portrait d'un appauvrissement progressif

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21.11.2023

La poussée de fièvre inflationniste produit son lot de ménages souffrant d’insécurité alimentaire, parmi lesquels un nombre toujours grandissant provient de ceux qui affichent un revenu supérieur au seuil de pauvreté. Petit portrait d’un appauvrissement progressif.

La semaine dernière, Statistique Canada publiait les résultats de l’Enquête canadienne sur le revenu. On y apprenait que la proportion de familles en situation d’insécurité alimentaire au cours des 12 mois précédant l’enquête avait augmenté pour passer de 16 % en 2021 à 18 % en 2022. Parmi les provinces et territoires, le plus faible taux (14 %) s’observe au Québec.

Dans le portrait d’ensemble, 11 % des familles avaient un revenu inférieur au seuil de la pauvreté, selon la mesure du faible revenu fondée sur un panier de consommation (MPC). Elles sont les plus vulnérables à l’insécurité alimentaire, avec un taux plus de deux fois plus élevé que celles vivant au-dessus de ce seuil (35 % contre 16 %).

Cela vaut davantage pour les plus démunis. Dans son analyse des programmes d’assistance sociale publiée en mai, l’Observatoire québécois des inégalités concluait que les programmes d’assistance sociale en vigueur au Québec ne permettent pas à leurs prestataires de disposer d’un revenu suffisant pour couvrir leurs besoins de base. L’on mesurait que les seuils de la MPC, de la mesure de faible revenu (MFR), et de la mesure de revenu viable (MRV) sont tous supérieurs aux montants annuels des prestations de dernier recours, et ce, tant pour une........

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