Il importe peu de savoir exactement si l’épisode de jeudi, dans le nord de la ville de Gaza, qui a fait plus de 100 morts autour d’un convoi d’aide humanitaire, était davantage une bousculade meurtrière pour une pitance alimentaire, comme le disent les Israéliens, ou un massacre de sang-froid contre des civils désarmés, comme le disent les Palestiniens.

Cet épisode s’ajoute à un chapelet ininterrompu depuis bientôt cinq mois. Il montre cruellement, une fois de plus, non seulement l’horreur imposée aux Palestiniens, réduits à un choix entre les balles, la faim et l’écrasement sous un camion, mais également l’impasse de la stratégie israélienne. Stratégie dont la logique maximaliste — éliminer l’ennemi, le rayer de la carte, détruire les traces de sa présence — est à la fois inscrite dans le conflit comme velléité… et inapplicable, à moins de se résoudre au crime ultime de génocide.

Éradiquer le Hamas tout en épargnant les civils paraît impossible. L’imbrication de ce mouvement dans la société palestinienne — par la terreur interne ou l’adhésion réelle d’une fraction de la société face à un oppresseur haï — est telle, sous les conditions actuelles, que l’éradication de l’un signifie l’éradication de l’autre.

Cela ne revient pas à absoudre le Hamas, encore moins à célébrer ce parti-milice radical, férocement misogyne, implacable envers l’opposition interne pendant 17 années de règne, auteur tout à fait conscient de l’acte déclencheur de la tragédie actuelle. Yahya Sinouar, chef local des islamistes, savait très bien ce qu’il faisait lorsqu’il a indirectement envoyé au martyre — cette religion adore les martyrs — des dizaines de milliers de compatriotes, espérant ainsi faire avancer la cause.

Mais on doit bien voir que le destin du Hamas et celui du peuple palestinien sont, pour le pire, inextricablement liés. Les Occidentaux qui prétendent in abstracto séparer le bon grain de l’ivraie, et du même souffle ressusciter une Autorité palestinienne discréditée, se racontent des histoires.

* * * * *

Il y a le couple tragique Hamas-Palestiniens. Il y a aussi le couple infernal Hamas-Israël. Malgré leur haine réciproque, l’État hébreu et les islamistes de Gaza, avec le Qatar comme financier de l’ombre, étaient aussi des « frères ennemis ». Pendant des années, ils se sont entendus — dans un pacte tacite, instable (avec explosions ponctuelles) et réversible — pour réduire à l’insignifiance leur adversaire commun : le Fatah et l’Autorité palestinienne du malheureux Mahmoud Abbas.

C’est aujourd’hui chose faite, au point que — peu importent les ritournelles occidentales sur ce thème — il n’y a plus de solution de rechange de ce côté, alors que la guerre est devenue totale et apocalyptique.

Nétanyahou l’a bien compris, refusant tout hypothétique « plan d’après-guerre ». Non seulement il a tactiquement besoin d’une guerre prolongée pour se maintenir, mais il ne veut surtout pas d’un retour de la « solution à deux États », efficacement sabotée depuis qu’il est en politique (années 1990, les « années d’Oslo »), et aujourd’hui réduite à un slogan vide.

Ce flou du chef israélien ne peut cacher la vraie alternative, la vraie solution — finale, inavouable et indicible —, mais elle affleure dans les discours répétés de ses ministres « ultras », Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, et des colons de la rive ouest du Jourdain : « vider » la question palestinienne, mais au sens littéral. En reprenant toute la Cisjordanie, village par village (depuis octobre, une quinzaine ont été littéralement nettoyés par la terreur), et en détruisant Gaza, sa culture, ses monuments, ses habitants.

« Pour Israël, Gaza incarne le “corps” ennemi qu’il faut détruire », estime Peter Harling dans une interview au Monde publiée samedi. Il affirme qu’Israël se livre à un « urbicide » en démolissant Gaza de façon méthodique.

Pendant ce temps, une part importante des médias israéliens ne s’autocensurent plus. Des commentateurs de chaînes grand public appellent ouvertement à l’expulsion (en Méditerranée ou en Égypte), voire à l’extermination des Palestiniens, comme seul moyen de rétablir la sécurité. « Il nous faut un maximum de corps inouïs », selon les mots de l’expert en sécurité Eliahou Yossian, à la Douzième chaîne.

C’est en bonne voie.

Pour rejoindre l’auteur : francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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Tragédie sans solution

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04.03.2024

Il importe peu de savoir exactement si l’épisode de jeudi, dans le nord de la ville de Gaza, qui a fait plus de 100 morts autour d’un convoi d’aide humanitaire, était davantage une bousculade meurtrière pour une pitance alimentaire, comme le disent les Israéliens, ou un massacre de sang-froid contre des civils désarmés, comme le disent les Palestiniens.

Cet épisode s’ajoute à un chapelet ininterrompu depuis bientôt cinq mois. Il montre cruellement, une fois de plus, non seulement l’horreur imposée aux Palestiniens, réduits à un choix entre les balles, la faim et l’écrasement sous un camion, mais également l’impasse de la stratégie israélienne. Stratégie dont la logique maximaliste — éliminer l’ennemi, le rayer de la carte, détruire les traces de sa présence — est à la fois inscrite dans le conflit comme velléité… et inapplicable, à moins de se résoudre au crime ultime de génocide.

Éradiquer le Hamas tout en épargnant les civils paraît impossible. L’imbrication de ce mouvement dans la société palestinienne — par la terreur interne ou l’adhésion réelle d’une fraction de la société face à un oppresseur haï — est telle, sous les conditions........

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