Du simple théâtre ? Les quelque 300 missiles, obus et drones lancés samedi soir par l’armée iranienne contre différentes cibles en Israël, essentiellement militaires, étaient bien réels.

N’eussent été les centaines de millions de dollars — et même plus d’un milliard de dollars, selon Yedioth Aharonot — dépensés en quelques heures en missiles antiaériens (« Dôme de fer » et compagnie) par Israël pour se protéger, ils auraient sans doute fait de graves dégâts matériels et humains.

Mais voilà : ce bouclier antimissile, déployé à grands frais au-dessus d’un tout petit territoire, est d’une efficacité extraordinaire, qui a atteint presque 100 % hier matin. Bilan humain total de la salve iranienne : une personne blessée. Et encore, elle a été touchée par les retombées d’un tir de défense antimissile, pas par une frappe de l’ennemi.

Tout cela, le régime de Téhéran le savait pertinemment. Sa réponse à l’attaque — vraiment meurtrière, celle-là — menée le 1er avril contre son édifice consulaire à Damas se devait d’être visible, à grand renfort de tambours : c’était même le but principal de toute l’opération.

Elle devait montrer à la face du monde — et à son propre public iranien — une « démonstration de force » de l’armée des ayatollahs. « Attaquer notre consulat, c’est attaquer notre territoire. Cela doit être puni, et cela sera puni », avait promis le « guide suprême » Ali Khamenei.

Afin de ne pas perdre la face, de ne pas « laisser passer sans rien faire » des frappes comme celle du 1er avril… et de tant d’autres qui, régulièrement, humilient les ennemis d’Israël par leur précision, leur effronterie et leur efficacité diaboliques.

C’est tellement vrai que, dans la communication officielle iranienne, l’opération a été présentée comme un succès et a donné lieu à des scènes de réjouissance… malgré son efficacité de facto voisine de 0 %.

Zéro pointé, échec militaire total. Mais peu importe. L’attaque a été annoncée d’avance ; elle a été revendiquée et spécifiquement liée par Téhéran à la frappe du 1er avril. C’était l’essentiel.

Ali Ferzat, célèbre caricaturiste syrien en exil, torturé par le régime de Bachar al-Assad au début de la révolte démocratique de 2011 (les moukhabarats lui avaient cassé les doigts et abîmé un oeil, lui disant « ceci n’est qu’un avertissement »), a mis hier en ligne un dessin qui résume bien la situation.

On y voit un Khamenei qui téléphone à Nétanyahou — l’autre guide suprême — lui indiquant à l’avance… le type de missiles, l’heure et les cibles choisies !

Une caricature, mais à peine : on sait que Téhéran a effectivement informé plusieurs voisins d’Israël de ses intentions afin qu’ils puissent l’avertir. Il a même été possible de suivre en direct les projectiles sur une bonne partie de leur trajectoire — notamment les drones « lambins » qui ont mis des heures à parcourir le territoire entre l’Iran et Israël.

Donc Téhéran, à sa manière, peut claironner que « réponse a été donnée » à l’affront du 1er avril, que « l’affaire peut être considérée comme close »… tout en permettant — de façon consciente et délibérée — à Israël de revendiquer une défense quasi parfaite.

Du théâtre, donc, et Téhéran, qui ne veut surtout pas d’une guerre totale, espère maintenant que son ennemi préféré voudra bien jouer le jeu… et trouver une manière de désescalade.

Ce qui est loin d’être sûr.

En effet, il y a en même temps, dans cet épisode — même soigneusement calibré pour « échouer » — de réels éléments d’escalade. Après des années de « guerre par procuration », c’est quand même la première fois depuis la révolution islamique de 1979 que l’Iran attaque directement Israël.

(À l’inverse, l’État d’Israël ne se prive pas de frapper lui-même des cibles iraniennes. Mais le 1er avril 2024 représentait un nouveau franchissement de « ligne rouge », puisqu’on a visé directement un « territoire diplomatique » iranien, détruisant complètement un gros immeuble — les services consulaires iraniens de Damas — et y tuant 16 personnes, dont deux généraux des Gardiens de la révolution.)

Nétanyahou a dit : « L’État d’Israël est fort, les forces armées sont fortes, vous êtes forts. Nous répondrons. » Cette promesse de répliquer fait peser une grande incertitude ; une menace d’escalade et d’extension régionale de la guerre.

Entre les « faucons » suprémacistes qui entourent Nétanyahou et le poussent à une guerre totale contre l’Iran, et Washington qui, tout en montrant sa fidélité et son assistance matérielle (très remarquée dans cet épisode), encourage Israël à la retenue — qui l’emportera ?

Selon le magazine en ligne Axios, généralement bien informé sur ce dossier, la Maison-Blanche a dit aux Israéliens : retenez-vous, ne répliquez pas. Des officiels ont fait valoir que la défense réussie à presque 100 % par le bouclier israélien « est en soi une réponse et une victoire ».

Il n’est pas sûr que cet appel soit entendu.

Cet épisode à haute intensité dramatique porte en lui le potentiel d’une désescalade, si la « grosse » perche de Téhéran était saisie à Jérusalem… Mais aussi, celui d’une guerre élargie, aux perspectives terrifiantes, entre une puissance nucléaire avérée et un ennemi qui veut le devenir.

En effet, Israël pourrait vouloir détruire cet autre impudent qui, à son tour, a osé l’attaquer.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Théâtre iranien - François Brousseau
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Théâtre iranien

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15.04.2024

Du simple théâtre ? Les quelque 300 missiles, obus et drones lancés samedi soir par l’armée iranienne contre différentes cibles en Israël, essentiellement militaires, étaient bien réels.

N’eussent été les centaines de millions de dollars — et même plus d’un milliard de dollars, selon Yedioth Aharonot — dépensés en quelques heures en missiles antiaériens (« Dôme de fer » et compagnie) par Israël pour se protéger, ils auraient sans doute fait de graves dégâts matériels et humains.

Mais voilà : ce bouclier antimissile, déployé à grands frais au-dessus d’un tout petit territoire, est d’une efficacité extraordinaire, qui a atteint presque 100 % hier matin. Bilan humain total de la salve iranienne : une personne blessée. Et encore, elle a été touchée par les retombées d’un tir de défense antimissile, pas par une frappe de l’ennemi.

Tout cela, le régime de Téhéran le savait pertinemment. Sa réponse à l’attaque — vraiment meurtrière, celle-là — menée le 1er avril contre son édifice consulaire à Damas se devait d’être visible, à grand renfort de tambours : c’était même le but principal de toute l’opération.

Elle devait montrer à la face du monde — et à son propre public iranien — une « démonstration de force » de l’armée des ayatollahs. « Attaquer notre consulat, c’est attaquer notre territoire. Cela doit être puni, et cela sera puni », avait promis le « guide suprême »........

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