Emmanuel Macron reçoit aujourd’hui et demain son homologue Xi Jinping à Paris. Une visite en grande pompe qui répond à l’accueil exceptionnel réservé, il y a 13 mois, au président français en Chine. Mais la pompe et la chaleur superficielle des réceptions ne peuvent faire oublier que les contentieux entre la Chine et la France — et plus largement, entre la Chine et l’Europe — sont réels et profonds.

Aux graves enjeux de politique internationale (Gaza, mais surtout l’Ukraine) viennent ici se greffer des tensions économiques, sur fond de guerre commerciale. La Chine, au mépris des règles et de l’esprit de l’Organisation mondiale du commerce, à laquelle elle a adhéré il y 22 ans, subventionne à fond ses secteurs en surproduction. Lesquels envahissent les marchés mondiaux — et tout particulièrement, européens — en vendant à prix cassés voitures électriques, ordinateurs, équipements de télécommunications…

Mais l’importance d’un anniversaire symbolique (le 60e des relations bilatérales, établies par Charles de Gaulle en 1964 – la même année où la Chine, alors nain économique, devenait puissance nucléaire) et le besoin de maintenir le dialogue l’ont emporté.

Emmanuel Macron, un peu comme avec Vladimir Poutine en 2022, a l’espoir, face à Xi Jinping, de mettre au service de sa diplomatie le « prestige de la France » et sa capacité personnelle de séduction pour amadouer l’interlocuteur. Il faut dire que sa visite d’État en Chine, presque une semaine complète, en avril 2023, avait donné à voir moult sourires et effusions.

Mais c’est le même homme qui, dans une interview à The Economist parue jeudi dernier, parle d’une Europe « en danger de mort », face à « trois défis simultanés » : le défi technologique devant la Chine et la nécessité d’une réindustrialisation de l’Europe. Le défi démocratique : maintenir le système libéral pluraliste devant les coups de boutoir « du populisme, du nationalisme et de la désinformation ».

Et puis le défi stratégique et militaire. Macron croit toujours, non seulement à la nécessité, mais à la possibilité d’une défense proprement européenne, à l’émergence d’un vrai bloc stratégique en Europe, entre, d’un côté, des États-Unis plus isolationnistes et moins fiables… et de l’autre, une alliance russo-chinoise qui prend forme.

Selon Macron, « la Russie aujourd’hui est dans une posture de guerre totale ». Elle « joue la déstabilisation régionale partout où elle le peut. […] Par son comportement, elle est devenue une menace pour la sécurité des Européens ».

Des sujets qui ne prêtent pas à sourire, d’autant que Paris veut mettre sur la table la question du soutien de Pékin à la Russie en guerre. Communiqué de l’Élysée : « Le président évoquera les inquiétudes […] sur l’activité de certaines entreprises chinoises qui pourraient participer directement ou contribuer de manière significative à l’effort de guerre russe. »

Certes, la Chine — au contraire des États-Unis et de nombreux États européens avec l’Ukraine, pays agressé – ne fournit pas directement d’armes à la Russie. Pékin semble vouloir, pour l’instant, maintenir cette « ligne rouge » des apparences. Davantage que la fourniture directe d’armes, ce sont les livraisons de machines-outils et de composants pour la production de ces armes qui sont en question. Et là, derrière les apparences, l’aide indirecte coule à flots. Grâce aux transactions commerciales de ses entreprises, aux fournitures de drones « civils », aux pièces électroniques pour les systèmes de guidage, etc., Pékin permet à Moscou de faire tourner à plein son industrie militaire.

On doit s’arrêter sur les propos de Xi Jinping, publiés dimanche dans Le Figaro au moment de son arrivée à Paris. Il affirme l’amour de la Chine pour « le respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, la non-agression mutuelle, la non-ingérence mutuelle, l’égalité et le bénéfice mutuel, la coexistence pacifique ». Pure langue de bois communiste… et autant de principes bafoués par la Russie face à l’Ukraine. Mais Pékin, rhétoriquement aligné sur Moscou, préfère blâmer l’OTAN.

Xi ajoute que « depuis la fondation de la Chine nouvelle il y a plus de 70 ans, elle n’a jamais déclenché de guerre ni occupé un seul pouce de terre d’autrui ». Pour mémoire : la Chine a envahi le Tibet en 1950, puis réprimé les résistants (écrasement sanglant de la révolte de 1959) et méthodiquement colonisé ce territoire, jusqu’à y mettre en minorité les Tibétains chez eux, peuple aujourd’hui en voie d’assimilation et de folklorisation. La politique menée au Xinjiang contre les Ouïghours, avec de gigantesques « camps de rééducation », est encore plus radicale.

En février 1979, l’armée chinoise a envahi le Vietnam, déclenchant une guerre d’un mois qui fera plusieurs dizaines de milliers de morts. Après la fin des combats, le retrait de la Chine ne sera jamais total. On peut aussi rappeler que, dans le bref affrontement frontalier avec l’URSS en 1969, c’est bien la Chine qui avait attaqué en premier. Idem pour plusieurs incidents avec l’Inde. En mer de Chine méridionale, la Chine pratique — en eaux internationales, malgré le nom du territoire — un impérialisme régional fondé sur l’occupation militaire et la « politique du fait accompli »… face à des voisins vietnamien et philippin catastrophés. Le jugement de la Cour internationale d’arbitrage de La Haye en 2016 — favorable à Manille — a été traité avec un mépris total par Pékin.

Et on n’a pas parlé de Taïwan. Alors, pour la « virginité impérialiste » d’une Chine pacifiste qui fait la leçon… il y a à redire : Emmanuel Macron saura-t-il résister à la rhétorique de son interlocuteur ?

La position de « Macron l’Européen » est d’autant plus délicate que, de l’autre côté de l’Atlantique, point aujourd’hui à l’horizon la possibilité d’un retour de l’hostilité trumpienne face au Vieux Continent. Avec une Allemagne voisine qui tend davantage à temporiser, en voilà beaucoup sur les épaules du président de la vieille France qui veut jouer les sauveurs de l’Europe.

Pour joindre l’auteur : francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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Macron face au géant chinois

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06.05.2024

Emmanuel Macron reçoit aujourd’hui et demain son homologue Xi Jinping à Paris. Une visite en grande pompe qui répond à l’accueil exceptionnel réservé, il y a 13 mois, au président français en Chine. Mais la pompe et la chaleur superficielle des réceptions ne peuvent faire oublier que les contentieux entre la Chine et la France — et plus largement, entre la Chine et l’Europe — sont réels et profonds.

Aux graves enjeux de politique internationale (Gaza, mais surtout l’Ukraine) viennent ici se greffer des tensions économiques, sur fond de guerre commerciale. La Chine, au mépris des règles et de l’esprit de l’Organisation mondiale du commerce, à laquelle elle a adhéré il y 22 ans, subventionne à fond ses secteurs en surproduction. Lesquels envahissent les marchés mondiaux — et tout particulièrement, européens — en vendant à prix cassés voitures électriques, ordinateurs, équipements de télécommunications…

Mais l’importance d’un anniversaire symbolique (le 60e des relations bilatérales, établies par Charles de Gaulle en 1964 – la même année où la Chine, alors nain économique, devenait puissance nucléaire) et le besoin de maintenir le dialogue l’ont emporté.

Emmanuel Macron, un peu comme avec Vladimir Poutine en 2022, a l’espoir, face à Xi Jinping, de mettre au service de sa diplomatie le « prestige de la France » et sa capacité personnelle de séduction pour amadouer l’interlocuteur. Il faut dire que sa visite d’État en Chine, presque une semaine complète, en avril 2023, avait donné à voir moult sourires et effusions.

Mais c’est le même homme qui, dans une interview à........

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