À huit mois de la présidentielle américaine, Joe Biden est dans une situation difficile, mais pas désespérée. Son bilan économique suffirait en temps normal à assurer une réélection. Mais les temps ne sont pas normaux.

Le fait qu’un homme inculpé de 91 chefs d’accusation dans quatre affaires pénales, reconnu responsable de fraude financière et d’abus sexuels, l’homme qui a dit « lorsque vous êtes une star, vous pouvez tout faire ; leur mettre la main sur la chatte ; n’importe quoi » ; un homme qui a inspiré et apporté un soutien tacite à une attaque contre le parlement pour inverser le résultat des élections…

… qu’un tel homme soit sérieusement en lice avec une chance de gagner, voilà qui en dit long sur ce qu’est devenue la politique aux États-Unis. Sur le « monde parallèle » dans lequel vit une minorité importante, et sur la furieuse envie qu’elle a de « casser la baraque ».

Les fanatiques de Trump croient que leur pays vit dans une insécurité et une violence épouvantables (le « carnage américain »), alors que le taux d’homicide (quelque 6 meurtres par 100 000 et par an) n’a cessé de baisser depuis les années 1990 (lorsqu’il était presque le double), sauf pour une courte remontée… sous Donald Trump, 2016-2020 !

Les fanatiques de Trump croient que l’économie est dans le 36e dessous, alors que les indicateurs (croissance, investissements, chômage, consommation, même l’inflation qui s’estompe après 18 mois) font pâlir d’envie bien des dirigeants européens et asiatiques.

Les fanatiques de Trump répètent que leur ennemi est un sénile fini. Mais on pourrait aisément aligner, sur un montage vidéo, autant sinon plus d’incohérences, d’erreurs de noms et de dates, de phrases incomplètes, d’extrapolations absurdes — sans parler des outrances hargneuses ou narcissiques — dans les propos de Trump que dans ceux de Biden.

Deux hommes à peu près du même âge, où le plus cognitivement handicapé, le plus imperméable à la réalité, n’est pas celui qu’on dit. On aurait aimé en 2024 un peu plus de jeunesse… mais de rebattre cet argument et de mitrailler systématiquement un côté 0 celui de Biden — en l’invoquant, est injuste.

Le « papy » qui lisait jeudi son discours sur l’état de l’Union ne donnait pas l’impression d’un sénile fini. Mais pour des manifestations d’infantilisme, il suffisait de regarder dix secondes du côté de l’auditoire d’élus républicains.

* * * * *

Mais alors, pourquoi les sondages placent-ils les deux candidats à égalité ? Avec avantage Trump dans une poignée d’« États pivots » ? Parce qu’une minorité importante a adhéré, à la vie à la mort, à l’univers alternatif « MAGA ». Elle représentait 46 % des suffrages exprimés en 2016, et 47 % en 2020. Le « noyau dur » est certes inférieur à ces chiffres (40 % ?)… mais reste considérable.

Le défi pour les démocrates, dont l’électorat potentiel total, dans les 55 %, est supérieur (mais plus fragile et fractionné), est d’attirer l’attention non seulement sur les réussites économiques palpables de la présidence Biden, mais sur les dangers de chaos en cas de retour de Trump, ou sur l’abrogation du droit à l’avortement

Biden va se battre à mort pour aller chercher l’appui des républicains et des indépendants de tendance Nikki Haley : 20 %, 30 %, 40 % des voix aux primaires dans plusieurs États. Juste d’aller chercher un quart de ces gens pourrait tout changer. Par exemple, en leur disant que sur l’Ukraine, Joe Biden est aujourd’hui l’héritier de Ronald Reagan (« Monsieur Gorbatchev, abattez ce mur »)… alors que Trump dit en substance : « Monsieur Poutine, faites ce que vous voulez avec les récalcitrants et avec l’Europe. »

Quant à la gauche démocrate, furieuse sur Gaza et Israël, on lui rappellera que la solution de rechange serait encore pire : Trump est un ami et un soutien à 110 % des politiques les plus meurtrières de Nétanyahou. Alors que les démocrates, lentement mais sûrement, s’éloignent de leur position traditionnelle envers Israël : une révision déchirante est en cours sur ce thème.

Trump peut encore être battu cet automne.

Pour rejoindre l’auteur : francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Biden peut-il être réélu? - François Brousseau
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Biden peut-il être réélu?

9 1
11.03.2024

À huit mois de la présidentielle américaine, Joe Biden est dans une situation difficile, mais pas désespérée. Son bilan économique suffirait en temps normal à assurer une réélection. Mais les temps ne sont pas normaux.

Le fait qu’un homme inculpé de 91 chefs d’accusation dans quatre affaires pénales, reconnu responsable de fraude financière et d’abus sexuels, l’homme qui a dit « lorsque vous êtes une star, vous pouvez tout faire ; leur mettre la main sur la chatte ; n’importe quoi » ; un homme qui a inspiré et apporté un soutien tacite à une attaque contre le parlement pour inverser le résultat des élections…

… qu’un tel homme soit sérieusement en lice avec une chance de gagner, voilà qui en dit long sur ce qu’est devenue la politique aux États-Unis. Sur le « monde parallèle » dans lequel vit une minorité importante, et sur la furieuse envie qu’elle a de « casser la baraque ».

Les fanatiques de Trump croient que leur pays vit dans une insécurité et une violence épouvantables (le « carnage américain »), alors que le taux d’homicide (quelque 6 meurtres par 100 000 et par an) n’a........

© Le Devoir


Get it on Google Play