Si vis pacem, para bellum. La phrase d’un auteur romain du cinquième siècle est l’une des idées fondamentales à l’origine du concept de dissuasion. Si tu sais te défendre, que tu en prends les moyens et en fais la démonstration préventive, l’ennemi potentiel ne t’attaquera pas, et tu resteras en paix.

Les États d’Europe sont actuellement en train de se réarmer, avec une détermination et à des degrés divers, devant une guerre d’Ukraine qui entre dans sa troisième année et risque de « déborder ».

La perception d’une Russie belliqueuse, nostalgique de sa grandeur, inspire une peur compréhensible, bien que la mobilisation en Ukraine épuise ce pays, à un degré que l’on sous-estime généralement.

On parle beaucoup de la résilience de l’économie russe face aux sanctions, et des circuits de contournement — par la Chine et l’Iran, mais aussi la Turquie, le Kazakhstan et les Émirats (Foreign Policy, 22 février), sans oublier les munitions nord-coréennes — qui permettent de limiter leurs effets.

C’est en partie vrai, mais la Russie souffre de son passage à une économie de guerre qui engloutit désormais un tiers de toutes ses dépenses publiques… Pour ne prendre qu’un exemple, les histoires d’immeubles non chauffés par grand froid se multiplient cet hiver, à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Pour élargir l’empire, on grelotte (et on réprime) en son coeur : vieille recette russe.

De ce fait, malgré l’humeur inquiète et méfiante des Finlandais, des Baltes et des Polonais qui réarment à marche forcée, face à une Russie prête à ouvrir de nouveaux fronts, cette menace n’existe pas à court terme. Pourquoi ? Du fait de la fatigue et du déploiement intensif des troupes de Moscou, entièrement mobilisées pour arracher quelques kilomètres carrés supplémentaires dans l’est et dans le sud de l’Ukraine.

Petite nouvelle typiquement russe, mercredi dernier : la mort suspecte du célèbre blogueur proguerre Andreï Morozov, après qu’il eut écrit que, pour prendre la petite ville d’Adiïvka, champ de ruines d’environ un kilomètre par trois, l’armée de Moscou avait perdu… 16 000 soldats et 300 véhicules blindés !

(Ces blogueurs de terrain, tolérés durant la première année pour leur ardeur ultranationaliste et guerrière, ont commencé à taper sur les nerfs du Kremlin en 2023, à cause de leur franc-parler excessif et de la cruelle justesse de leurs informations sur les pertes russes — à la manière d’un Evgueni Prigojine qui l’a payé de sa vie.)

* * * * *

Dans ces conditions, on comprend la Pologne, la Finlande et les pays baltes de passer en « mode dissuasion forte », car, s’il n’y a pas de menace directe à court terme sur leurs territoires, il y en a peut-être une à moyen terme. À Riga ou à Tallinn, on est convaincu que le souffle chaud de l’ours russe va bientôt se reporter sur les micro-États baltes.

À Varsovie, capitale d’un pays de près de 40 millions d’habitants, on réarme à hauteur de 4 % du PIB : la Pologne, naguère piétinée par les impérialismes nazi et stalinien coalisés, se voit désormais comme véritable puissance militaire européenne. À Berlin, le ministre de la Défense parle d’une période de cinq à huit ans après laquelle une attaque russe contre l’Europe deviendrait plausible.

Comment prévenir la guerre ? Faut-il reconnaître, de façon réaliste, l’existence d’adversaires (ennemis ?), aux valeurs diamétralement opposées… et prendre le parti de la dissuasion armée comme seule façon d’éviter le pire ?

Que conseilleraient aujourd’hui les pacifistes aux Estoniens et aux Lituaniens ? De désarmer et de se rendre… comme certains le disaient hier aux Ukrainiens, au moment de l’invasion russe ?

Pour finir, petite pirouette moyen-orientale : le Hamas, par son attaque du 7 octobre, n’a-t-il pas rompu de façon criminelle un équilibre de « dissuasion mutuelle » qui — à sa façon et à son échelle limitée — fonctionnait depuis des années ?

Dans son cas, ce fut plutôt : « Si tu veux la guerre, prépare la guerre… et tu l’auras au centuple, pour le plus grand malheur du peuple que tu prétends protéger et représenter. »

Pour rejoindre l’auteur : francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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«Si vis pacem…»

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26.02.2024

Si vis pacem, para bellum. La phrase d’un auteur romain du cinquième siècle est l’une des idées fondamentales à l’origine du concept de dissuasion. Si tu sais te défendre, que tu en prends les moyens et en fais la démonstration préventive, l’ennemi potentiel ne t’attaquera pas, et tu resteras en paix.

Les États d’Europe sont actuellement en train de se réarmer, avec une détermination et à des degrés divers, devant une guerre d’Ukraine qui entre dans sa troisième année et risque de « déborder ».

La perception d’une Russie belliqueuse, nostalgique de sa grandeur, inspire une peur compréhensible, bien que la mobilisation en Ukraine épuise ce pays, à un degré que l’on sous-estime généralement.

On parle beaucoup de la résilience de l’économie russe face aux sanctions, et des circuits de contournement — par la Chine et l’Iran, mais aussi la Turquie, le Kazakhstan et les Émirats (Foreign Policy, 22 février), sans oublier les munitions nord-coréennes — qui permettent de limiter leurs effets.

C’est en partie vrai, mais la Russie souffre de son passage à une économie de guerre........

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