Il est naturellement impossible de tenir pour acquise l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Les sondages démontrent qu’il fait face à un fort taux d’impopularité dans la population et doit également faire face aux tribunaux de son pays, dont certains risquent de le juger avant les élections. Le rôle de victime a porté ses fruits jusqu’à ce jour, mais le personnage du condamné sera-t-il aussi bénéfique ?

Si d’aventure M. Trump devenait à nouveau président des États-Unis, sans pour autant affirmer qu’il serait antipathique au Canada, il demeure qu’on ne peut croire qu’il sera un ami du Canada. On se souviendra que, lors de son premier passage à la Maison-Blanche, M. Trump avait quitté une réunion du G7 tenue à Charlevoix en qualifiant le premier ministre Trudeau de malhonnête et de faible. Il n’y a certainement pas lieu de considérer qu’il a changé d’opinion depuis qu’il n’est plus à la tête de l’exécutif américain.

Il y aura certainement plusieurs chefs de tension entre les deux pays. Nul doute que le faible financement de l’équipement du NORAD (Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord) par le Canada, et plus généralement de son armée, sera de nature à créer des tensions et le courroux du président. On peut aussi ajouter que le Canada tente depuis plusieurs mois d’attirer des entreprises de ce côté de la frontière que les États-Unis aimeraient attirer aussi. Quant au bois d’oeuvre, il n’y a pas lieu de penser que les deux pays vont finalement trouver un accord.

Peut-on espérer que, dans le domaine commercial, le Canada puisse attendre de l’aide du troisième membre de l’ACEUM (Accord Canada–États-Unis–Mexique) pour tenir tête aux États-Unis dirigés par un président imprévisible. Après tout, le Mexique a également intérêt à faire en sorte que les accords commerciaux de libre-échange soient maintenus et respectés. N’oublions pas qu’à la suite de l’arrivée de M. Trump à la présidence, il a été nécessaire de renégocier l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain).

Les diplomates canadiens ont certainement effectué un travail de grande qualité au cours des négociations, mais l’actuel président du Mexique a déjà déclaré avoir fait pression sur M. Trump pour maintenir le Canada dans l’accord de libre-échange. La prochaine personne qui dirigera le Mexique soutiendra-t-elle le Canada de la même manière ? Rien de moins certain.

Le Canada a eu récemment l’occasion de soutenir le Mexique et de faire valoir son soutien indéfectible lorsque l’ambassade du Mexique à Quito a été envahie par les forces équatoriennes. Normalement, le Canada devait dénoncer cette violation du droit international. S’il eût été normal que le Canada le fasse pour n’importe quelle ambassade, a fortiori devait-il le faire pour un pays allié. C’eût été approprié selon le droit international, mais aussi en matière de relations internationales. Le Canada n’aurait pas été seul puisque les pays de l’Amérique et l’OEA (Organisation des États américains) ont dénoncé cette attaque.

Or, les sites Web du premier ministre et de sa ministre des Affaires étrangères ne contiennent aucune déclaration à ce sujet. Il y a toutefois eu une discrète déclaration sur « X » par laquelle Affaires mondiales Canada déclarait être « profondément préoccupé par la violation apparente par l’Équateur de la Convention de Vienne » sans condamnation officielle. L’utilisation du mot « apparente » a eu l’heur de choquer le président du Mexique, qui n’y a pas vu un grand soutien d’un pays que l’on penserait ami.

Le 9 avril, lors de sa conférence quotidienne, le président du Mexique a souligné le caractère ambigu de la position canadienne et a demandé qu’elle soit éclaircie. Il serait certainement approprié pour le premier ministre du Canada de faire une déclaration claire dans laquelle il établirait que le Canada s’oppose fermement à cette violation des locaux diplomatiques. Il serait aussi possible pour le Canada d’intervenir lors de la procédure devant la Cour internationale de justice pour soutenir son allié et le droit international. En l’état actuel des choses toutefois, cette intervention semble plus que douteuse.

Le discours oiseux du Canada tombe à un mauvais moment puisqu’aux yeux des Mexicains, il s’agissait d’un second camouflet en quelques mois.

Il est de notoriété publique que le Canada a réintroduit l’obligation de visas pour les ressortissants mexicains. Même si cette obligation peut être désagréable pour ces personnes, il demeure que cette décision relève entièrement des prérogatives d’un pays souverain. D’ailleurs, les États-Unis aussi imposent un visa aux Mexicains. Ce qui a posé problème pour les autorités mexicaines a été le moment où ce visa a été imposé, soit en période d’élection présidentielle. L’actuel président du Mexique a jugé que l’imposition d’un visa par le Canada pouvait être perçue par les électeurs comme un échec de son administration de nature à guider les votes vers la candidate de l’opposition. Il est vrai que l’instauration de ce visa n’est pas passée inaperçue dans ce pays.

Le président aurait souhaité que le Canada attende que l’exercice électoral soit terminé. D’aucuns au Canada pourraient répondre qu’il y avait urgence et qu’il n’était pas possible d’attendre plus. On pourrait toutefois rétorquer que, si urgence il y avait, ce nouveau visa aurait dû être imposé bien avant. Quoi qu’il en soit, l’imposition du visa n’a pas été appréciée par notre partenaire et a porté ombrage à nos relations. Ne pas soutenir le Mexique dans ce contexte ne fait qu’aggraver la situation.

L’amitié mexicano-canadienne ayant été mise à mal, il reste à espérer que le Canada n’aura pas besoin du soutien du Mexique pour faire face à un président des États-Unis incontrôlable. Il n’y aurait aucune raison pour un président du Mexique d’exposer son pays, alors qu’il sait ne pas pouvoir compter sur le Canada.

Un autre effet collatéral du silence canadien est possible. Le Canada a déjà essuyé deux échecs lors de procédures d’élection pour devenir membre non permanent du Conseil de sécurité. Or, lorsque le Canada présentera sa candidature lors d’une prochaine occasion, il est à craindre que les pays du continent américain se souviennent que le Canada n’est pas un ardent défenseur du droit international.

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Le Canada, un pays qui sera bien seul face à Donald Trump

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15.04.2024

Il est naturellement impossible de tenir pour acquise l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Les sondages démontrent qu’il fait face à un fort taux d’impopularité dans la population et doit également faire face aux tribunaux de son pays, dont certains risquent de le juger avant les élections. Le rôle de victime a porté ses fruits jusqu’à ce jour, mais le personnage du condamné sera-t-il aussi bénéfique ?

Si d’aventure M. Trump devenait à nouveau président des États-Unis, sans pour autant affirmer qu’il serait antipathique au Canada, il demeure qu’on ne peut croire qu’il sera un ami du Canada. On se souviendra que, lors de son premier passage à la Maison-Blanche, M. Trump avait quitté une réunion du G7 tenue à Charlevoix en qualifiant le premier ministre Trudeau de malhonnête et de faible. Il n’y a certainement pas lieu de considérer qu’il a changé d’opinion depuis qu’il n’est plus à la tête de l’exécutif américain.

Il y aura certainement plusieurs chefs de tension entre les deux pays. Nul doute que le faible financement de l’équipement du NORAD (Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord) par le Canada, et plus généralement de son armée, sera de nature à créer des tensions et le courroux du président. On peut aussi ajouter que le Canada tente depuis plusieurs mois d’attirer des entreprises de ce côté de la frontière que les États-Unis aimeraient attirer aussi. Quant au bois d’oeuvre, il n’y a pas lieu de penser que les deux pays vont finalement trouver un accord.

Peut-on espérer que, dans le domaine commercial, le Canada puisse attendre de l’aide du troisième membre de l’ACEUM (Accord........

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