Je m’appelle Olivia Cattan, je suis juive et féministe, présidente de l’association Paroles de femmes qui lutte contre toutes les violences faites aux femmes.

Certains me décrivent comme une passionaria, une activiste mais je préfère me voir comme une infatigable militante idéaliste qui pense que rien n’est impossible.

Le 7 octobre, alors que je me trouvais en Israël, j’ai été saisie de douleur, sidérée par le massacre de civils, hommes, femmes, et enfants. Alors que le soleil brillait encore, des sirènes retentissaient et les chaine d’infos nous parlaient d’intrusion et de tueries sans précédent. Certaines personnes avaient été prises en otages, d’autres avaient été tués dans d’ignobles conditions. Plus je découvrais les images filmées par le Hamas, plus je pleurais. Les corps des femmes étaient dénudés, exhibés, couverts de sang, la culotte en bas des pieds. Leurs viols me sautaient au visage comme une déflagration me ramenant à ce que j’avais vécu dans ma chair. Les informations se succédaient sans que la spécificité des meurtres de femmes soient précisée. Les filles les plus jolies étaient emmenées, les plus âgées ou handicapées, tuées. Les femmes semblaient être considérées comme un butin de guerre. Elles étaient traitées comme une de simples marchandises, tirées par le bras ou les cheveux, par des hommes en furie.

Alors, j’ai eu envie d’écrire comme dans un instinct de survie pour adoucir ma peur et évacuer mon angoisse. J’ai écrit un premier texte qui est devenu une pétition publiée dans Libération. Je l’ai envoyée à des amis artistes par crainte que les paroles de ces femmes soient étouffées par le bruit de la guerre. Je leur ai demandé de signer ces mots pour partager ma souffrance. La plupart ont signé. Plus de 19 000 signatures et des noms prestigieux de journalistes comme Laurence Ferrari, Alba Ventura et Anne Sinclair, des comédiennes comme Muriel Robin, Julie Gayet, Charlotte Gainsbourg et Isabelle Carré, des personnalités politiques comme Sandrine Rousseau ou Anne Hidalgo, des députés, des sénatrices. D’autres ont été effrayés par le sujet parce qu’Israël n’est pas un pays comme les autres, et qu’ils craignaient de subir des répercussions sur leurs carrières, voire sur leurs vies. Puis j’ai envoyé mon texte à de nombreux collectifs et associations féministes. Mais aucune d’elles n’a répondu présentes. Pire, certaines d’entre elles ont écrit une tribune sur le conflit sans même parler de ces femmes, les réduisant à une simple ligne dans leur tribune. Alors j’ai expliqué, raconté, transmis des images mais rien. Juste le silence, la solitude et l’effroi. Ces féministes continuaient de se taire ou d’avoir peur pendant que d’autres m’insultaient. Les victimes ne semblaient pas être mortes au bon endroit, et tout simplement niées parce que juives.

Comme la marche du 25 novembre arrivait, je demandais à quelques féministes de nous accueillir dans le cortège. Nous voulions porter des panneaux d’otages et de femmes tuées en Israël dont certaines étaient françaises. Mais leur peur fut la seule réponse qu’elles me donnèrent. Elles voulaient protéger les femmes et les enfants qui allaient défiler. Elles voulaient surtout nous protéger de la haine qui pourrait nous atteindre physiquement et moralement.

« Urgence Palestine » défilait et nous n’étions pas en sécurité comme si parler des féminicides en Israël empêchait d’autres féministes de parler des civiles palestiniennes. La mort des femmes juives, chrétiennes, musulmanes était évacuée par ces collectifs comme si ce n’était qu’un détail dans l’histoire du conflit israélo-palestinien.

Alors je n’avais plus le choix et je décidais pour la première fois de ne pas marcher le 25 novembre, non je ne marcherais pas !

Pourtant, j'avais usé les pavés parisiens par mes cris féministes. "A bas le patriarcat" "Mon corps est à moi" "Mon corps, mon choix". Mais aujourd’hui, la rue féministe n'était désormais plus à moi, ces jeunes collectifs me l'avaient fait comprendre en me traitant de « blanche », de « bourgeoise », de sioniste « d’extrême-droite ! ».

Moi, la brune, fille de forain, qu'on surnommait à l'école « la noiraude » à cause de son teint olive, de juive arabe, et de ses cheveux noirs.

Moi, la mère isolée qui avais élevé sa fille toute seule, prenant le premier métro chaque matin pour partir travailler dans une usine de ciment. Moi qui ne mangeais pas à ma faim et qui vivais sous les toits dans une chambre de bonne sans toilettes ni douche. Moi qui avais toujours voté à gauche et marché pour l’union entre les fils d’Abraham.

En 2006, je distribuais déjà des tracts dans la rue avec des militantes en rêvant de changer le sort des femmes dans mon pays. J'avais subi une tentative de viol, des violences de mon ex-compagnon, et je créée Paroles de femmes dans un besoin de réparation, de la mienne et de celles des autres.

J'ouvrais ma porte à toutes celles qui venaient frapper à mon cœur sans me préoccuper jamais de leur couleur de peau, de leur religion ou de leur genre. Je les accueillais parfois même à dormir chez moi.

Être ou devenir une femme était un parcours long et douloureux. Je ne le savais que trop bien. Ne pas se faire agresser, ne pas se faire abuser, ne pas se faire exploiter, chercher à tout prix à montrer qu'on est l'égale de l’homme. Travailler d’arrache-pied pour un moindre salaire tout en mettant au monde les futures générations. Des vies en une seule toujours à courir après le temps, après la reconnaissance de son mari ou de son patron.

Je les trouvais belles et courageuses les femmes, dignes et parfois si résilientes avec une force peu commune qui leur donnait un air de Résistantes. Je les aimais et voulais défendre leurs droits, en faisant entendre leurs paroles brisées que l’on tentait d’étouffer. J’essayais de révolutionner le monde en leur offrant un meilleur avenir, en obtenant toujours plus d'équité et de justice pour elles. Je pensais que nous étions toutes là, les unes pour les autres, damnées de la terre d'être nées avec un vagin et une paire de seins.

Le féminisme n'a jamais été pour moi un concept politique, intellectuel et philosophique, un fonds de commerce, un tremplin pour monter les échelons, le féminisme a toujours été une question de survie.

Mais aujourd'hui je suis orpheline de mes sœurs de combat.

« Intersectionnalité », « racisée ». Quels autres mots allez-vous donc encore inventer pour continuer à nous diviser, entre noires et blanches, juives-chrétiennes et musulmanes, riches et pauvres, gauche et droite. Pourquoi créer des catégories de femmes en vous persuadant que vous avez souffert plus que moi ?

Allons-nous être triées en début de cortège, le 25 novembre, pour savoir qui est digne d'être une femme ? Digne de manifester à vous côtés, selon vos critères ? C'est ce que vous semblez faire comme au temps de l’apartheid lorsque toutes les couleurs et tous les êtres ne se valaient pas.

Vous dénoncez les discriminations, mais vous discriminez à votre tour, nous empêchant de venir à la manifestation, sous prétexte que nous n’aurions pas le droit de porter les panneaux des femmes françaises et israéliennes mortes le 7 octobre ou en otages ?

Je n’avais qu’un seul espoir, que d'autres voix féministes s’émancipent et s'élèvent enfin pour affirmer, haut et fort, qu'elles soutenaient notre lutte. Mais ces associations, qui nous soutiennent sans le dire publiquement, se censurent d’elles-mêmes, dominées par le terrorisme intellectuel que ces collectifs exercent sur elles, dominées par la violence et la haine de leurs diatribes.

Finalement ces collectifs n’ont rien à envier aux hommes. Leur volonté de domination est la même.

Je renonce donc avec tristesse mais avec détermination et conviction à cette marche de lutte contre les violences faites aux femmes parce que je ne marcherais jamais avec des intégristes de la pensée, des femmes qui agissent comme des mâles dominants, des femmes qui discriminent d’autres femmes.

Toute ma vie je fus assignée à mon genre et à ma condition sociale, je ne pensais pas l'être un jour à mon identité.

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Marche contre les violences faites aux femmes… sauf juives : « Nous ne marcherons pas le 25 novembre »

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23.11.2023

Je m’appelle Olivia Cattan, je suis juive et féministe, présidente de l’association Paroles de femmes qui lutte contre toutes les violences faites aux femmes.

Certains me décrivent comme une passionaria, une activiste mais je préfère me voir comme une infatigable militante idéaliste qui pense que rien n’est impossible.

Le 7 octobre, alors que je me trouvais en Israël, j’ai été saisie de douleur, sidérée par le massacre de civils, hommes, femmes, et enfants. Alors que le soleil brillait encore, des sirènes retentissaient et les chaine d’infos nous parlaient d’intrusion et de tueries sans précédent. Certaines personnes avaient été prises en otages, d’autres avaient été tués dans d’ignobles conditions. Plus je découvrais les images filmées par le Hamas, plus je pleurais. Les corps des femmes étaient dénudés, exhibés, couverts de sang, la culotte en bas des pieds. Leurs viols me sautaient au visage comme une déflagration me ramenant à ce que j’avais vécu dans ma chair. Les informations se succédaient sans que la spécificité des meurtres de femmes soient précisée. Les filles les plus jolies étaient emmenées, les plus âgées ou handicapées, tuées. Les femmes semblaient être considérées comme un butin de guerre. Elles étaient traitées comme une de simples marchandises, tirées par le bras ou les cheveux, par des hommes en furie.

Alors, j’ai eu envie d’écrire comme dans un instinct de survie pour adoucir ma peur et évacuer mon angoisse. J’ai écrit un premier texte qui est devenu une pétition publiée dans Libération. Je l’ai envoyée à des amis artistes par crainte que les paroles de ces femmes soient étouffées par le bruit de la guerre. Je leur ai demandé de signer ces mots pour partager ma souffrance. La plupart ont signé. Plus de 19 000 signatures et des noms prestigieux de journalistes comme Laurence Ferrari, Alba Ventura et Anne Sinclair, des comédiennes comme Muriel Robin, Julie Gayet, Charlotte Gainsbourg et Isabelle Carré, des personnalités politiques comme Sandrine Rousseau ou Anne Hidalgo, des........

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