Atlantico : Depuis le déclenchement de la guerre entre le Hamas et Israël, on voit de nombreuses organisations étudiantes prendre position dans le conflit. Des étudiants de Sciences Po ont même dénoncé sur les réseaux sociaux la responsabilité d'Israël dans l'attaque du 7 octobre. Comment expliquer ces positions idéologiques ? La gauche radicale a-t-elle gangrené les universités françaises ?

Gaël Brustier : Le problème de l’enseignement supérieur est celui de la France : une chute cataclysmique de la culture générale et, en l’espèce, de la culture historique. Combien de ces étudiants savent situer les frontières d’Israël, connaissent même de façon sommaire l’Histoire de la Palestine, connaissent l’Histoire de la Shoah et enfin sont capables d’empathie ? Les IEP, qui ont emprunté le chemin de la massification depuis deux décennies, rejoignent en encore plus ahurissant les standards des pires amphis de socio d’il y a trente ans. Mais dans ces derniers cas, au moins l’extrême gauche avait une culture et un art oratoire partagés qui conféraient du charisme au leaders des coordinations étudiantes, aux syndicats étudiants et mobilisait. Le militantisme actuel est impuissant et vociférant, mais propice aux dérives.

Le PS porte une part de responsabilité : dans la lutte de ses factions pour l’accès à la « cassette », ils ont sacrifié les mouvements de jeunesse, libérant l’espace pour d’autres entreprises militantes. L’UNEF est une organisation fantôme qui ne transmets plus. Elle conjugue les défauts épouvantables de l’ancienne UNEF-ID, dont des règles de vie collectives pour le moins extravagantes avec les extravagances idéologiques… Bref, la nouvelle génération vit en apesanteur historique et dans une bulle spéculative sur sa propre qualité. Le manque d’empathie, le fait de considérer l’autre comme un suspect et l’aîné comme un coupable, cette façon de s’exprimer en logorrhée virulente et aiguë.

Islamisme ou encore wokisme... les universités françaises ont-elles un problème avec ces deux idéologies ? Ont-elles été capturées par leurs militants ?

L’heure est à l’enthousiasme pour ce qui est simpliste et excessif, mais surtout qui permet de faire croire qu’on « sait », qui permet d’exposer son existence plutôt que de démontrer son point de vue. Entre une extrême-gauche qui n’a lu ni Trotsky ni Paul Levi ni Rosa Luxemburg et un ardent désir de faire parler de soi, d’être connu plus que reconnu, évidemment, le chaos idéologique ne pouvait que se saisir

Connaissant bien un candidat de LFI à Paris, je dois dire que je n’ai jamais su s’il avait réussi un seul partiel dans sa vie tant ses courriels étaient illisibles et maculés de fautes de syntaxe, d’orthographe. Je devais les lire à voix haute pour comprendre, c’était plus dur que l’écriture phonétique. Le concernant, comme tant d’autres, ce n’était plus un parrainage militant : c’était de l’aide à la personne. Notre pays sombre intellectuellement, il est logique qu’il embarque avec lui sa jeunesse.

Qui pourrait sauver les universités de la gauche radicale ?

La question est plutôt : « Qui pourrait sauver les universités ? ». Même dans sa chanson à la critique acerbe, Philippe Clay, grand chanteur aujourd’hui décédé n’aurait pas imaginé le degré de dégradation de la vie de nos universités. Il faut un puissant mouvement intellectuel, qui englobe tout le monde. Il s’agit moins de la « gauche radicale », qui est salie par ce qui se passe, que d’un mouvement ambitieux intellectuellement qui refasse des amphis un lieu de transmission, qui ait de la curiosité, de l’empathie.

Le problème n'est pas que français puisqu'aux Etats-Unis, la philosophe star des études de genre applaudit le progressisme du Hamas et du Hezbollah. Qu'est-ce que ça vous inspire ?

D’abord, Judith Butler est une intellectuelle intéressante mais elle est plus intéressante dans sa réflexion théorique que dans les débouchés pratiques, qui oscillent en l’occurrence entre un militantisme ésotérique pour le commun des mortels et la mise en scène de soi. Mais dans une Amérique profondément déséquilibrée dans sa conscience collective, elle opère des sauts de puce idéologiques qui lui sont coutumiers. Il y a vingt-cinq ans, ce genre d’élucubrations existait déjà aux Etats-Unis mais le 11 septembre 2001 avait mis un point d’arrêt. Il est vrai qu’aujourd’hui la machine à élucubrations étant repartie de l’avant, la jeunesse étudiante trouve dans l’Amérique sa planche de salut. Une partie de cette gauche anglo saxone est à la dérive : Susan Watkins, l’épouse par ailleurs de Tariq Ali, manifeste depuis vingt ans des coups de cœurs pour différents régimes corrompus et hostiles de la planète. Ses comparaisons, un brin consternantes, sur l’occupation de l’Irak desservaient ce qui avait été le camp de la paix.

La question centrale de tout cela n’est pas tant comment on s’oppose à ces micro-groupes très bruyants que de savoir quelle révolution intellectuelle on opère en France et en Europe.

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Qui sauvera les universités de la gauche radicale ?

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06.11.2023

Atlantico : Depuis le déclenchement de la guerre entre le Hamas et Israël, on voit de nombreuses organisations étudiantes prendre position dans le conflit. Des étudiants de Sciences Po ont même dénoncé sur les réseaux sociaux la responsabilité d'Israël dans l'attaque du 7 octobre. Comment expliquer ces positions idéologiques ? La gauche radicale a-t-elle gangrené les universités françaises ?

Gaël Brustier : Le problème de l’enseignement supérieur est celui de la France : une chute cataclysmique de la culture générale et, en l’espèce, de la culture historique. Combien de ces étudiants savent situer les frontières d’Israël, connaissent même de façon sommaire l’Histoire de la Palestine, connaissent l’Histoire de la Shoah et enfin sont capables d’empathie ? Les IEP, qui ont emprunté le chemin de la massification depuis deux décennies, rejoignent en encore plus ahurissant les standards des pires amphis de socio d’il y a trente ans. Mais dans ces derniers cas, au moins l’extrême gauche avait une culture et un art oratoire partagés qui conféraient du charisme au leaders des coordinations étudiantes, aux syndicats étudiants et mobilisait. Le militantisme actuel est impuissant et vociférant, mais propice aux dérives.

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