Atlantico : Vous venez de publier un ouvrage intitulé « Les analphabètes au pouvoir » aux éditions du Cerf dans lequel vous pointez la nécessité de revenir à une certaine sagesse des anciens. Qu'est-ce que vous entendez par là exactement ? Quelles sont les leçons d'hier que nous avons peut-être oubliées aujourd'hui ?

Gaël Brustier : Il y a d’abord la question du temps long. Le fait de s'oublier lorsque l’on est aux responsabilités, de mettre en avant sa fonction et non pas sa personne, de mettre en avant une cause collective et non pas son intérêt stratégique individuel. Il est important de faire partie, quand on est un homme politique, d'une famille politique et d'une nation, et non pas de faire une carrière internationale comme on le voit trop souvent. Cela suppose qu'il soit nécessaire de se libérer de l'immédiateté pour retrouver le temps long. L'histoire nous précède et détermine beaucoup d'invariants. En fonction de ces invariants, les sociétés évoluent plus ou moins. Il y a des marges de manœuvre, mais elles sont très ténues. On le voit d'ailleurs avec tout ce qu’il se passe dans le monde aujourd'hui. Le retour des invariants est bien confirmé. Il est aussi important de se projeter dans l'avenir, non pas à l’échelle de 150 ans avec des considérations de science-fiction sur ce qui se passera sur Terre, mais plutôt de songer à bâtir un projet à 30 ans, sur une génération. Cela permet de fixer un horizon, à la manière de l’horizon de Charles de Gaulle. Quand vous regardez bien De Gaulle, il y a eu 30 ans de gaullisme. Pour le Parti socialiste, cela a aussi été une trentaine d'années. Donc l'horizon réel pour la politique doit être repensé. Le temps long doit primer pour le politicien. Le temps long de la politique électorale est nécessaire. Il est important de songer à la France que l’on souhaite d’ici 30 ans. Or, cela n’est jamais abordé ou pensé.

Des quantités de promesses sont avancées pour les trois années à venir et elles ne sont jamais tenues d’ailleurs. La question du temps long est donc primordiale.

Il est aussi vital de comprendre les grands rapports de force internationaux sur les mouvements sociaux au sens très large, les mouvements idéologiques, les mouvements de la population. Il est aussi très important de se libérer des pièges technologiques que sont les chaînes d'info et les réseaux sociaux. Ces outils sont très mal utilisés et, en réalité, ils pervertissent l'action publique alors qu'ils étaient faits pour la servir.

En quoi nuisent-ils à l’action publique ?

Les hommes politiques réagissent à tout et n'importe quoi en direct sur Twitter, y compris à la mort, dramatique ou non dramatique, de gens connus ou à l'assassinat d'inconnus. Il y a là quelque chose d'indécent, d'inefficace et de troublant. Cela n’est absolument pas rassurant pour les gouvernés sur la capacité de leurs gouvernants à prendre de la hauteur.

Ces technologies et ces modes d'exercice de l'expression ne participent-ils pas à l'injonction de l'urgence et à la difficulté de s’inscrire dans du temps long justement ?

Il y a effectivement une fausse urgence. L'émotion prime, et en fait ce n’est pas la leur d'ailleurs, et ils définissent ce que l'on doit ressentir. Cela se transforme en un système fou qui n’est plus du tout basé sur l'action politique mais sur la manifestation du ressenti, voire du ressentiment, et l'injonction à ressentir même lorsque l’on ne ressent rien. Cela contribue à une perversion de la politique.

Comment est-ce que l'on explique aujourd'hui, selon vous, que la France ait oublié le temps long ? Qu'est-ce que cela dit aussi de la qualité de nos hommes d'État et de la façon dont ils servent encore le peuple français ?

Cela explique la mutation complète du personnel politique. Les représentants de la classe politique n’ont pas vécu la guerre d'Algérie, la guerre d'Indochine, ni la Seconde Guerre mondiale. Par le passé, au sein de l’Assemblée et des dirigeants politiques, il y avait des quantités de résistants ou de gens qui avaient vécu cette époque. Tout le monde savait alors ce qu’était le temps long et quelle était l'urgence de l'action.

Les politiques ne croient pas à leur destin mais à leur carrière. Ils n’ont entrepris aucun travail idéologique et un très faible travail sur les rapports de force mondiaux.

Ils sont en permanence en train de se saisir du sujet du moment pour essayer d'intervenir. Les champions sont notamment Sandrine Rousseau qui s'est emmêlée les pinceaux pour sur la question de Missak Manouchian. Les masques tombent pour peu qu'ils ne soient pas déjà tombés avant. Aurore Bergé a aussi pleuré à l'Assemblée en évoquant la mort d'un de ses proches. Mais les membres de la classe politique aujourd’hui sont incapables de transcender leur condition. Ce sont des gens qui peuvent faire partie d'un groupe de parole mais absolument pas d'un Parlement.

Y a-t-il d’autres exemples au-delà des députés, peut-être au niveau du gouvernement ou du président de la République ?

Le chef de l’Etat n'est pas un homme inintelligent mais en réalité, chaque matin, une nouvelle histoire commence. La fin de l'histoire aujourd'hui, c'est le cas avec les agriculteurs, est que l’on ne sait jamais sur quel pied danser avec Emmanuel Macron. Comme il a une ligne politique qui consiste à plébisciter le « et en même temps », sa ligne politique est illisible et ressemble à tout et n'importe quoi. Il se projette dans un univers au sein duquel il doit être le centre et où il a une peine folle à ne pas intervenir. A titre de comparaison, le général de Gaulle ne passait pas sa vie à tout commenter. Il écrivait des lettres et il y avait de grandes plages de silence dans son bureau lorsqu’il travaillait. Il y avait moins de dix personnes ou conseillers. Ce n’était pas une fourmilière où arrivaient des communicants. L’horizon du président est fixé à une journée actuellement et pas du tout sur le temps long.

Un événement va en effacer un autre. Une déclaration ou un projet va en effacer un autre. Les dirigeants sont donc dans une amnésie antérograde. Ils ont tendance à oublier ce qui s'était passé.

Ce problème remonte-t-il à Emmanuel Macron ou est-il possible de le dater à une période antérieure ?

Il y a un problème occidental. On le voit avec Trump. Il y a une difficulté spécifique en France qui est liée au quinquennat. Le choix d'avoir fait cinq ou six chaînes d'info, qui se livrent à une concurrence acharnée et qui conduit à baisser les coûts, contribue au fait qu’il y ait de moins en moins de reportages mais les débats eux sont de plus en plus virulents. Il y a également le problème d'une dépolitisation totale de la France.

La France a perdu, au profit de l'Europe et à travers la globalisation, énormément de leviers d'influence. La dépolitisation est contrebalancée par l'hyper idéologisation de tout ce qui est un drame. C'est de là que vient la demande de radicalité exprimée par une partie de la population. Le problème de la radicalité n'est jamais que l'appel à une action politique décidée.

Or, on voit très bien aujourd'hui qu’il y a des demandes de remise en liberté qui sont satisfaites en dépit du bon sens. Des expulsions sont annulées. La loi immigration est censurée.

La loi immigration n’était pas contre nos principes républicains. Cela est faux. Sauf que cela permet à une bande d’olibrius de faire croire qu'ils sont les héritiers de Manouchian.

La radicalité n'est que la réponse en fait à l'inaction et à une dilution permanente de l'action publique.

Qu'est-ce qui vous a poussé aujourd'hui à écrire cet ouvrage à ce moment-là précis ?

Je l'ai écrit en fait il y a exactement un an. Ce livre traduit le ressenti du politiste et du politologue que j'ai été dans beaucoup de soirées électorales. Au bout d'un moment cela n’était plus amusant car ce n’était plus du tout intéressant. Vous ne pouvez pas commenter une vie politique où il n'y a plus d'idéologie et où il n'y a qu'une compétition entre des écuries avec des inconnus, des gens très faibles sur le fond. Cela correspond à un affaiblissement culturel terrible. Comme Virginie Martin, j’ai beaucoup écrit ou commenté la vie politique ou le Rassemblement national mais au bout d'un moment, quand un certain nombre de vos collègues journalistes nous contactent pour que l’on s’exprime sur le Front national, quand tout a déjà été écrit sur le sujet, l'ennui nous gagne.

Comment est-il possible de réintroduire la notion de bien commun dans le champ politique aujourd'hui ? Comment est-il possible de se soustraire aussi aux prophètes du malheur ?

Il est vital de se saisir des vrais sujets de la société française comme l'hôpital. Il y a des sujets urgents. La société française souffre terriblement. D'autant plus qu'elle avait des standards de vie et des standards de cohésion sociale qui étaient très forts. La question de la santé, de la sécurité sont majeures. Il n’est plus possible de jouer au bonneteau avec les citoyens sur ces questions-là. Les politiques ne peuvent plus fuir leurs responsabilités et vouloir uniquement des débats sur la panthéonisation de Gisèle Halimi ou sur des sujets symboliques. Réintroduire du bien commun consiste à dire la vérité aux Français, notamment en assumant le fait que la guerre en Ukraine est un échec et qu’il y aura des conséquences pour nous.

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Gaël Brustier : « La radicalité n'est que la réponse à l'inaction et à une dilution permanente de l'action publique »

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27.02.2024

Atlantico : Vous venez de publier un ouvrage intitulé « Les analphabètes au pouvoir » aux éditions du Cerf dans lequel vous pointez la nécessité de revenir à une certaine sagesse des anciens. Qu'est-ce que vous entendez par là exactement ? Quelles sont les leçons d'hier que nous avons peut-être oubliées aujourd'hui ?

Gaël Brustier : Il y a d’abord la question du temps long. Le fait de s'oublier lorsque l’on est aux responsabilités, de mettre en avant sa fonction et non pas sa personne, de mettre en avant une cause collective et non pas son intérêt stratégique individuel. Il est important de faire partie, quand on est un homme politique, d'une famille politique et d'une nation, et non pas de faire une carrière internationale comme on le voit trop souvent. Cela suppose qu'il soit nécessaire de se libérer de l'immédiateté pour retrouver le temps long. L'histoire nous précède et détermine beaucoup d'invariants. En fonction de ces invariants, les sociétés évoluent plus ou moins. Il y a des marges de manœuvre, mais elles sont très ténues. On le voit d'ailleurs avec tout ce qu’il se passe dans le monde aujourd'hui. Le retour des invariants est bien confirmé. Il est aussi important de se projeter dans l'avenir, non pas à l’échelle de 150 ans avec des considérations de science-fiction sur ce qui se passera sur Terre, mais plutôt de songer à bâtir un projet à 30 ans, sur une génération. Cela permet de fixer un horizon, à la manière de l’horizon de Charles de Gaulle. Quand vous regardez bien De Gaulle, il y a eu 30 ans de gaullisme. Pour le Parti socialiste, cela a aussi été une trentaine d'années. Donc l'horizon réel pour la politique doit être repensé. Le temps long doit primer pour le politicien. Le temps long de la politique électorale est nécessaire. Il est important de songer à la France que l’on souhaite d’ici 30 ans. Or, cela n’est jamais abordé ou pensé.

Des quantités de promesses sont avancées pour les trois années à venir et elles ne sont jamais tenues d’ailleurs. La question du temps long est donc primordiale.

Il est aussi vital de comprendre les grands rapports de force internationaux sur les mouvements sociaux au sens très large, les mouvements idéologiques, les mouvements de la population. Il est aussi très important de se libérer des pièges technologiques que sont les chaînes d'info et les........

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