Le champ d’action de la politique tend à se rétracter sur un périmètre de plus en plus réduit confinant dans certains ministères à l’exclusif pouvoir de nomination de hauts fonctionnaires ou de personnalités à la tête d’établissements publics. Pour estimables qu’elles soient, les personnes nommées au gouvernement ne disposent plus que de l’apparat du pouvoir et non plus des leviers d’action. L’exemple le plus frappant est le dépérissement du ministère de la Culture qui n’aura finale ment connu que deux véritables ministres: André Malraux et Jack Lang. L’action de la rue de Valois se résume à peu de choses: les nominations et la distribution de labels, véritable manie d’un ministère qui feint de croire qu’on peut faire une politique d’une telle activité. Le pouvoir s’est évaporé des ministères et les lieux de pouvoir sont devenus des théâtres d’ombres. Le problème récurrent de la vie politique est qu’elle implique d’embrasser le temps long. Or, il est fréquent de voir ses acteurs changer d’affectation tous les ans ou tous les deux ans, ce qui ne contribue ni à l’investissement dans la durée ni à la crédibilité des concernés.

La vie politique d’une nation ne se résume pas aux seules élections, aux sondages d’opinion et aux ambitions affichées des personnes. Il faut prendre en compte le mouvement des forces sociales dans leur ensemble, la concurrence des visions du monde et un régime politique ne se résume pas au seul cadre constitutionnel. Maurice Duverger avait défini tout régime comme le choix des gouvernants, leur structuration et leur limitation. Un régime politique ne se résume pas à son aspect constitutionnel ni au fonctionnement de ses institutions. Il a des fondamentaux qui résonnent fortement dans le champ démocratique et social et il bénéficie le plus souvent d’une vision du monde à laquelle la société acquiesce. Un régime doit faire l’objet du consente ment de l’essentiel des groupes sociaux de son pays. Or, depuis un peu moins d’une décennie, différents groupes ont fait défection. Que l’on songe à la bourgeoisie catholique ou de droite au moment de la Manif pour tous, aux jeunes intellectuels précaires au moment de Nuit debout ou aux Gilets jaunes, nombreux furent ceux à avoir exprimé leur senti ment de défiance. La participation aux élections chutant, les fondamentaux tels que l’intégration européenne et la décentralisation ne faisant plus consensus, c’est le régime qui est atteint. La France de 1913 était probablement beaucoup plus «archipelisée » que celle de 2023 mais elle l’était différemment. Malgré ses défauts, la Troisième République s’était installée et avait fini par être acceptée massivement. À l’inverse, de nos jours, d’un entêtement l’autre, le Président Macron apparaît moins ferme que franchement méprisant. Les Français demandent de l’autorité mais haïssent l’autoritarisme, d’où un évident problème entre le chef de l’État et les citoyens.

La constitution de 1958, maintes fois et parfois abusivement modifiée, porte désormais en elle des fondamentaux auxquels adhèrent ceux que Charles Wright Mills définissait comme «les élites du pouvoir», c’est-à-dire ceux qui ont un accès direct et privilégié aux institutions. Pour sauver provisoirement le régime politique français, il a fallu en passer par la liquidation du système partisan tel que nous l’avons connu depuis plusieurs décennies.

La révolution macronienne a été l’instrument de cette liquidation. « Révolution par en haut», «révolution passive» dans les termes d’Antonio Gramsci, le macronisme a d’abord liquidé un système partisan considéré comme incapable de résoudre les enjeux auxquels la France est confrontée. Lui seul pourrait adapter notre pays aux standards de la globalisation. Et il aura fallu peu de temps avant que cette révolution passive sorte de route. Elle apparaît maintenant comme un autoritarisme impuissant et bavard, sinon pire, prise de poussées logorrhéiques sporadiques à l’instar de son opposition de gauche. Un bavardage continuel et insignifiant s’est emparé du monde politique. Avec, au surplus, la double impasse que représentent l’évolution de l’Union européenne et la politique de décentralisation, il est permis d’affirmer que la crise pointe. C’est encore le septième art qui rend le mieux l’un des aspects du moment que nous vivons. Dans Alice et le maire (2018) de Nicolas Pariser, le maire de Lyon (Fabrice Lucchini) recrute une jeune normalienne (Anaïs Demoustier) à son cabinet pour «travailler sur les idées». Théraneau, le maire de la ville, confie «être en panne sèche» quand Alice lui affirme que tout le monde pense que la politiquene peut plus rien– et lui non plus par incidence. Virevolte autour d’eux une artiste un peu «particulière » qui ne conçoit son œuvre qu’au prisme de la fin du monde. Toutes les scènes du film reflètent la profonde réalité qu’est l’épuisement complet de la vie politique et de ses protagonistes: c’est la panne de la décentralisation, l’échec des grands élus et l’émergence d’une société désabusée par rapport à la politique. Si, depuis la Cité interdite, Xi Jinping lance les Routes de la Soie, nos dirigeants lancent eux des programmes de pistes cyclables. Cela devrait donner à réfléchir. Si l’on passe de la fiction à la réalité électorale, constatons que les propositions des différentes listes dans la plupart des villes de France lors des municipales de 2020 se ressemblent étrangement et virent à l’absurde lorsqu’il s’agit de vouloir créer un «Central Park» dans la capitale, confirmant ce que Régis Debray dit depuis longtemps de notre imaginaire américain. Précisons en passant que les bois de Vincennes et Boulogne représentent à eux seuls 18% de la superficie parisienne...

Le monde politique n’offre que des débats hystérisés, fondés sur des idées reçues répétées jusqu’à satiété. Le processus de la parole et de l’inaction est désormais immuable, ne variant de contenu qu’avec les saisons: une fois les inondations ou les feux de forêt passés, on change de sujet. La forme accusatoire prend de surcroît dans notre vie politique la place du débat éclairé par la raison. Plus les choses lui échappent, plus le dirigeant se fâche et accuse... Une grande partie de notre vie politique consiste d’ailleurs à parler des politiques eux-mêmes. Les séances de l’Assemblée nationale semblent plus dévolues à gérer les incidents qu’à délibérer. Quand un parti refuse de civiliser– au sens de Norbert Elias– la colère de ses électeurs ou des Français et choisit plutôt de l’exciter et de la déchaîner dans les enceintes parlementaires, c’est que quelque chose est cassé dans notre démocratie. De plus en plus souvent, il ne s’agit pas tant de réduire une opinion adverse que de détruire médiatiquement et socialement celui qui la porte.

Nombre de citoyens sont cependant enclins à céder à une expression décousue, hystérisée et vindicative, surtout s’ils se filment ou sont filmés et que la vidéo peut être diffusée sur les réseaux sociaux. La dégradation des codes démocratiques n’a jamais atteint un tel degré, l’émotion et l’indignation servant d’alibis aux excès les plus fantasques.

L’altercation entre un militant écologiste et le Président de la République au Salon de l’Agriculture 2023 est ainsi le signe d’une perte de nerfs et de moyens d’une partie des militants «écologistes». «C’est nos vies qui sont en jeu», «À quoi tu sers ?», «Des gens iront en prison»: le désaccord sur les politiques menées peut être avéré, voire virulent, mais l’absence de rhétorique et les sanglots de rage sont un peu dérangeants. En l’occurrence, le militant en question n’argumente pas, ne débat pas, il le dit. Le ton, le timbre de voix marquent surtout une forme vindicative d’expression.

Pour retrouver l'entretien de Gaël Brustier sur Atlantico à l'occasion de la publication de son livre : cliquez ICI

Extrait du livre de Gaël Brustier, « Les analphabètes au pouvoir », publié aux éditions du Cerf

Liens vers la boutique : cliquez ICI et ICI

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Crise démocratique : une vie politique en panne sèche, une République en cale sèche

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17.03.2024

Le champ d’action de la politique tend à se rétracter sur un périmètre de plus en plus réduit confinant dans certains ministères à l’exclusif pouvoir de nomination de hauts fonctionnaires ou de personnalités à la tête d’établissements publics. Pour estimables qu’elles soient, les personnes nommées au gouvernement ne disposent plus que de l’apparat du pouvoir et non plus des leviers d’action. L’exemple le plus frappant est le dépérissement du ministère de la Culture qui n’aura finale ment connu que deux véritables ministres: André Malraux et Jack Lang. L’action de la rue de Valois se résume à peu de choses: les nominations et la distribution de labels, véritable manie d’un ministère qui feint de croire qu’on peut faire une politique d’une telle activité. Le pouvoir s’est évaporé des ministères et les lieux de pouvoir sont devenus des théâtres d’ombres. Le problème récurrent de la vie politique est qu’elle implique d’embrasser le temps long. Or, il est fréquent de voir ses acteurs changer d’affectation tous les ans ou tous les deux ans, ce qui ne contribue ni à l’investissement dans la durée ni à la crédibilité des concernés.

La vie politique d’une nation ne se résume pas aux seules élections, aux sondages d’opinion et aux ambitions affichées des personnes. Il faut prendre en compte le mouvement des forces sociales dans leur ensemble, la concurrence des visions du monde et un régime politique ne se résume pas au seul cadre constitutionnel. Maurice Duverger avait défini tout régime comme le choix des gouvernants, leur structuration et leur limitation. Un régime politique ne se résume pas à son aspect constitutionnel ni au fonctionnement de ses institutions. Il a des fondamentaux qui résonnent fortement dans le champ démocratique et social et il bénéficie le plus souvent d’une vision du monde à laquelle la société acquiesce. Un régime doit faire l’objet du consente ment de l’essentiel des groupes sociaux de son pays. Or, depuis un peu moins d’une décennie, différents groupes ont fait........

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