La France de 2023 a semblé encore plus étrangère aux réalités du monde actuel., à ses périls et, évidemment, aux rapports de force qui le définissent aujourd’hui. La vie politique fait penser à un grand jeu de rôle, dans lequel les postures supplantent l’analyse, poussant le déni ou les extravagances intellectuelles jusqu’à faire prendre conscience que la réalité s’est dérobé sous les pas de nos élus, représentateurs, polémistes et commentateurs. On parle tellement dans ce pays qu’on ne sait jamais plus de quoi on parle. Le Président de la République use et abuse des prises de paroles : tantôt exalté, tantôt mimant la gravité, le chef de l’Etat laisse avant chaque intervention filtrer la façon dont il se « prépare » à parler aux Français, qui n’en peuvent mais. A chaque fois, le processus est le même… Ses conseillers biberonnés davantage à Franck Underwood qu’à Clemenceau font enfler le verbe mais en sapent la fiabilité. Les réunions organisées par le Président sont symptomatiques d’une mise en scène général oscillant entre le naïf et le pataud : le CNR (acronyme usé jusqu’à la corde) s’est réuni la première fois dans… un gymnase. Par la suite, les réunions ont eu lieu à Saint-Denis, à la Légion d’Honneur, dans un quartier saccagé par quarante années de politiques de la ville ineptes et de gestion communiste locale douteuse.

Remarquons que l’inflation génération de prises de paroles aboutit à la dévaluation massive de la parole publique. En prétendant, au sein de sa majorité – désormais relative – rassembler tous les courants de la vie politique de la Vème République, le Président Macron entendait ainsi constituer un champ politique central autonomisé dans le pays, autonomisé comme le sont les groupes sociaux élitaires. Problème, il s’agissait d’une bulle spéculative politique et électorale. L’aile gauche de la majorité (Clément Beaune, Sacha Houlié etc) ressemblent à s’y méprendre à ceux que Charles Pasqua pointait jadis comme « les belles âmes de gauche des beaux quartiers de droite ». On se demande vraiment en quoi ils sont une « aile gauche »… Le problème de la politique actuelle n’est pas qu’elle soit de droite, c’est qu’elle est erratique, malmenée et que, de fait c’est la politique qui est malmenée.

Il n’est de sujet qui ne soit soumis à une tonitruante légèreté. La profondeur de la réflexion fait défaut en tous sujets. La question de la « fin de vie » est posée avec une troublante inconséquence, en ne posant jamais les bonnes questions, ni celles relatives au développement des soins palliatifs, ni celle du geste létal. Débat lancé par… Line Renaud, femme estimable mais dont la carrière n’a pas eu pour vocation de la préparer à un sujet aussi complexe et qui est concernée au même titre que chacun d’entre nous, il est marqué non par l’effort de discernement du Président mais par l’affirmation selon les interlocuteurs de positions floues ou contradictoires. Dans ce débat tout le monde semble jouer au mistigri et adopte une mine « responsable ». Loin de la réalité des enjeux. Cette inconséquence vient de loin : la question tant de l’hôpital public que de la couverture du pays par la médecine libérale est traitée avec une inconséquence majeure. Nos politiques ne comprennent rien à la santé

L’immigration est bien davantage en France qu’en Europe un sujet de passion et de dérobades : il est l’occasion de l’instauration d’une fiction admise par tous les protagonistes de l’opposition : celui d’une victoire idéologique du FN… Douteux Le spectacle dramatique de l’Est parisien semble indifférer nos représentants de la NUPES : élus de ces quartiers et communes du nord-est de Paris et des communes voisines de Seine-Saint-Denis, on ne trouve guère de trace de leurs visites et de leurs dialogues avec les habitants des campements des bords du périphérique. Didier Leschi a fait un point salutaire dans Le Figaro sur ce projet démontrant qu’il demeurait plus souple que beaucoup de pays européens… L’opposition surjoue donc quant à elle ses réactions. Chacun adopte la position susceptible de lui faire prendre la lumière, la seule chose qui compte désormais dans la vie politique. D’où vitupérations et crises de nerf dans la Salle des Quatre Colonnes…

Chaque camp idéologique est frappé par cette baisse de niveau dramatique. Le niveau de langage des intervenants du débat public a chuté dramatiquement : absence de syntaxe des déclarations, bredouillage etc… La difficulté à employer un autre temps que le présent se fait de plus en plus fréquente. Le 7 octobre a révélé que la gauche radicale s’inventait une histoire qui n’existait pas. Du « communiqué Obono » aux interventions de Soudais, Bompard et Mélenchon ou Panot, l’idéologie la plus fantasmagorique sécrète le verbalisme et aboutit à un verbiage hors sol solidement appuyé sur une abyssale ignorance.

Pour notre démocratie, la facture d’années et d’années de baisse du niveau intellectuel et politique du débat public est salée. En l’état, 2023 marque un effondrement du niveau du débat public qui, hélas, a toutes chances de se poursuivre en 2024. Le débat public français parle d’une fiction : un monde qui n’existe pas et une France qui n’existe pas davantage.

QOSHE - 2023 ou l’année de la rupture entre le monde politique et la réalité - Gaël Brustier
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

2023 ou l’année de la rupture entre le monde politique et la réalité

7 10
30.12.2023

La France de 2023 a semblé encore plus étrangère aux réalités du monde actuel., à ses périls et, évidemment, aux rapports de force qui le définissent aujourd’hui. La vie politique fait penser à un grand jeu de rôle, dans lequel les postures supplantent l’analyse, poussant le déni ou les extravagances intellectuelles jusqu’à faire prendre conscience que la réalité s’est dérobé sous les pas de nos élus, représentateurs, polémistes et commentateurs. On parle tellement dans ce pays qu’on ne sait jamais plus de quoi on parle. Le Président de la République use et abuse des prises de paroles : tantôt exalté, tantôt mimant la gravité, le chef de l’Etat laisse avant chaque intervention filtrer la façon dont il se « prépare » à parler aux Français, qui n’en peuvent mais. A chaque fois, le processus est le même… Ses conseillers biberonnés davantage à Franck Underwood qu’à Clemenceau font enfler le verbe mais en sapent la fiabilité. Les réunions organisées par le Président sont symptomatiques d’une mise en scène général oscillant entre le naïf et le pataud : le CNR (acronyme usé jusqu’à la corde) s’est réuni la première fois dans… un gymnase. Par la suite, les réunions ont eu lieu à Saint-Denis, à la Légion d’Honneur, dans un quartier saccagé par quarante années de politiques de la........

© atlantico


Get it on Google Play