Nathalie Sarraute plonge dans ses souvenirs d’enfance. Pendant plus de dix ans, elle oscille entre son père et sa mère, à Moscou, Ivanovo, Saint-Petersbourg, la Suisse et Paris. Elle est tiraillée entre sa mère, française, souvent d’une grande froideur et son père, russe, qui l’aime sans le dire.

Elle se raccroche à ses souvenirs, revoit Vera, sa belle-mère, et Lili, sa petite sœur, ainsi que ses grands-parents, les parents de Vera, avec ses yeux d’enfant et d’adulte. Elle essaie de comprendre des situations familiales compliquées : ses joies et ses chagrins s’éclairent peu à peu quand elle grandit.

Le roman est remarquablement adapté : le jeu du double crée une tension remarquable et correspond bien à la confrontation des souvenirs.

Les deux comédiennes jouent magnifiquement les deux rôles, sans qu’on sache vraiment leur âge respectif. Elles font apparaître les personnages de la famille de Nathalie avec une extraordinaire présence. La valeur des mots, si importante dans le livre, ressort dans le jeu des actrices.

La mise en scène est remarquable : les vêtements presque semblables des deux femmes y contribuent, mais aussi leurs mouvements sur la scène, très dépouillée.

C’est un magnifique spectacle, dépouillé et profond, émouvant face aux souvenirs plus ou moins clairs de la petite fille et de son double : le spectateur y croit, qu’il ait lu ou non le livre.

La fin du texte ainsi qualifiée par Nathalie Sarraute :
« Il me semble que là s’arrête pour moi l’enfance
Quand je regarde ce qui s’offre à moi maintenant,
Je vois comme un énorme espace très encombré, bien éclairé. »

Au cours du texte :
« Quel malheur ! Le mot frappe, c’est le cas de le dire, de plein fouet. »
[…]
« De la rancune, de la réprobation… osons le dire, du mépris. Mais je n’appelle pas cela ainsi. Je ne donne à cela aucun nom. Je sens confusément que c’est là, en lui, enfoui, comprimé. Je ne veux pas que cela se mette à bouger, que cela vienne affleurer. »

Née en 1900 près de Moscou, toujours tiraillée entre les deux cultures, Nathalie Sarraute étudia l’histoire, la sociologie, le droit mais dut arrêter ses études en 1940 à cause des lois antijuives prises par le gouvernement de Vichy au titre du Statut des Juifs.

Son premier ouvrage, Tropismes (1939), fut considéré plus tard comme l’œuvre fondatrice du Nouveau roman. Après la guerre, Nathalie Sarraute continue à publier des romans, tous remarqués : Portrait d’un inconnu (1948) puis Martereau (1953) et L’ère du soupçon, Planetarium, ainsi que Les Fruits d’or (prix international de littérature).

Dramaturge, Nathalie Sarraute écrivit des pièces, dont Pour un oui pour un non, sa pièce la plus jouée. Elle publia enfin un roman autobiographique - Enfance (1983) - avant que l’intégralité de son œuvre ne soit publiée dans La Pléiade, trois ans avant sa mort, en 1999.

La présente adaptation est à mettre sur le compte du metteur en scène, Tristan Le Doze, qui s’est chargé de la réduction de l’œuvre et de sa transcription scénique, pour faire cohabiter le regard adulte et le regard de l’enfant. Sarraute se dédouble alors en “Sarraute-écrivain“ et “Sarraute-enfant“.

QOSHE - "Enfance" de Nathalie Sarraute - Françoise Boursin
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"Enfance" de Nathalie Sarraute

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11.04.2024

Nathalie Sarraute plonge dans ses souvenirs d’enfance. Pendant plus de dix ans, elle oscille entre son père et sa mère, à Moscou, Ivanovo, Saint-Petersbourg, la Suisse et Paris. Elle est tiraillée entre sa mère, française, souvent d’une grande froideur et son père, russe, qui l’aime sans le dire.

Elle se raccroche à ses souvenirs, revoit Vera, sa belle-mère, et Lili, sa petite sœur, ainsi que ses grands-parents, les parents de Vera, avec ses yeux d’enfant et d’adulte. Elle essaie de comprendre des situations familiales compliquées : ses joies et ses chagrins s’éclairent peu à peu quand elle grandit.

Le roman est remarquablement adapté : le jeu du double crée une tension remarquable et correspond bien à la confrontation des souvenirs.

Les deux comédiennes jouent magnifiquement les deux rôles, sans qu’on........

© atlantico


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