Atlantico : La sénatrice écologiste Mélanie Vogel vient de déposer une proposition de loi visant à faciliter le changement de la mention du sexe à l’état civil. Cette mesure, pensée pour les personnes trans, a déjà été prise en Espagne. Que peut-on apprendre de nos voisins, où certains transgenres alertent maintenant sur les dérives ?

Eric Deschavanne : Le changement d’état civil sur simple demande de la personne concernée revient ipso facto à transformer l’identification en auto-identification. Il en résulte mécaniquement, comme le voit en Espagne, une explosion du nombre des demandes. On a observé en Espagne des demandes émanant de soldats et de policiers souhaitant devenir des femmes afin de pouvoir bénéficier des mesures de discrimination positive dont celles-ci bénéficient dans l’avancement de leurs carrières. Ce que certains activistes Trans dénoncent comme une fraude est en réalité une contradiction assez amusante de la politique de discrimination positive.

En Espagne, le taux de transition, sur l’état civil, a augmenté de 400%. Pourquoi est-ce un problème ? Quels sont les dangers qui accompagnent, mécaniquement, une telle législation ?

La logique d’une telle loi est d’éliminer tout élément objectif dans l’identification pour ne laisser subsister que l’expression subjective de l’identité personnelle, que celle-ci soit sincère ou mensongère (dès lors que l’on admet le principe de l’auto-identification, une telle distinction n’a du reste plus de sens). Les éléments objectifs constatés par un juge peuvent être de deux sortes : ou bien le constat médical de la dysphorie de genre et de la mise en œuvre de la transition comme traitement adapté, ou bien, comme c’est le cas en France, le constat du fait que l’identité sociale (l’identification par les autres dans la vie sociale) ne correspond pas à celle de l’état civil. Dans les deux cas le constat du fait objectif (médical ou social) requiert la médiation d’un juge. Les lois de « facilitation » de la demande de changement d’état civil procèdent à une dénaturation de l’état civil, lequel est en principe indisponible à l’individu. On fait de l’état civil un moyen d’expression de l’individu (ou un instrument au service de ses intérêts, comme dans le cas des soldats et policiers espagnols), alors qu’il est en principe l’outil qui permet à l’État d’assigner à l’individu une identité objective au regard de l’administration et de la société.

Abstraction faite des dérives possibles, la possibilité du changement de sexe dans l’état civil pose des problèmes de principe :

L’état civil doit-il trahir la vérité ? Le sexe est constaté à la naissance. La mention du sexe dans l’état civil est donc fondée sur une prétention à la vérité qui fait abstraction de la subjectivité (laquelle, à la naissance, n’a pas son mot à dire) : ce qui est mentionné correspond à une réalité biologique. Même au regard de la théorie du genre, si on la tient pour vraie, le changement de sexe est une erreur, une confusion abusive entre le sexe et le genre. On peut admettre que le genre puisse être choisi, renié, construit, déconstruit, mais le sexe biologique est une donnée objective, indisponible et invariable.

Donner satisfaction aux exigences des activistes Trans, n’est-ce pas trahir l’exigence de neutralité idéologique de l’État et du droit ? De deux choses l’une : ou bien le changement d’identité se justifie par une donnée scientifique (le fait, médicalement constaté, de la dysphorie de genre) que l’administration doit prendre en compte, ou bien la prise en compte de la revendication Trans ne repose que sur une idéologie douteuse, la théorie non démontrée selon laquelle il serait possible de distinguer en soi le sexe et le genre. Si on écarte la justification par la science médicale de la loi qui autorise le changement de sexe, on fait le choix d’instituer une idéologie officielle, une idéologie d’État.

L’initiative de Mélanie Vogel part d’une louable intention : celle de lutter contre toutes les formes de discrimination. Dans quelle mesure, néanmoins, faut-il craindre l’apparition d’effets secondaires dus à des réformes mal maîtrisées ? Ce sujet se limite-t-il à la seule question trans ?

L’argument évoqué par Mélanie Vogel et le groupe écologiste au Sénat, « mettre fin aux discriminations subies par les personnes transgenres », est en réalité fallacieux. Pour tout un chacun, l’identification par le sexe biologique est assignée à la naissance, l’identité étant constatée et établie par autrui. Il n’y a donc pas de discrimination. Donner satisfaction aux activistes Trans revient en revanche à pratiquer une forme de discrimination positive, une discrimination destinée à augmenter le bien-être des individus qui demandent un tel traitement de faveur.

Il est trop tôt pour observer les « effets secondaires » de ce type de réforme. Il y en a un cependant qui est tout à fait prévisible. Il s’agit de l’effet secondaire politique : les partis qui font des propositions de ce type travaillent activement, en se coupant ainsi du sens commun, à leur propre marginalisation politique.

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Faciliter les changements de sexe à l’état civil ? Le contre-exemple espagnol devrait nous inciter à prudence

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05.04.2024

Atlantico : La sénatrice écologiste Mélanie Vogel vient de déposer une proposition de loi visant à faciliter le changement de la mention du sexe à l’état civil. Cette mesure, pensée pour les personnes trans, a déjà été prise en Espagne. Que peut-on apprendre de nos voisins, où certains transgenres alertent maintenant sur les dérives ?

Eric Deschavanne : Le changement d’état civil sur simple demande de la personne concernée revient ipso facto à transformer l’identification en auto-identification. Il en résulte mécaniquement, comme le voit en Espagne, une explosion du nombre des demandes. On a observé en Espagne des demandes émanant de soldats et de policiers souhaitant devenir des femmes afin de pouvoir bénéficier des mesures de discrimination positive dont celles-ci bénéficient dans l’avancement de leurs carrières. Ce que certains activistes Trans dénoncent comme une fraude est en réalité une contradiction assez amusante de la politique de discrimination positive.

En Espagne, le taux de transition, sur l’état civil, a augmenté de 400%. Pourquoi est-ce un problème ? Quels sont les dangers qui accompagnent, mécaniquement, une telle législation ?

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