Atlantico : Xi Jinping était au centre de la scène lors de l'ouverture du récent Congrès national des femmes, qui était organisé du 23 au 26 octobre à Pékin. A cette occasion, les dirigeants chinois ont signalé aux femmes que leur place est au foyer… Comment expliquer un tel choix ?

Emmanuel Lincot : C'est lié à l'évolution du régime et plus généralement, la conjoncture. Xi Jinping a balayé du revers de la main les principes qui avaient été défendus depuis la génération du 4 Mai 1919. Savoir l'égalité entre les hommes et les femmes, soit une véritable démocratisation des structures sociales. Avec la fascisation du régime, comme en Russie et hier en Allemagne nazie, c'est le principe des "trois K" (Kinder, Küche, Kirche - littéralement: Enfant, Cuisine, Église) que Xi Jinping défend; le Parti exerçant le rôle de l'Eglise. Cette évolution, pour ne pas dire cette involution, va de pair avec une virilisation et une brutalisation de la société chinoise sur un mode qui s'inscrit dans la continuité d'une certaine tradition maoïste. La conjoncture économique est nettement défavorable par ailleurs. Avec plus de 20 % de chômeurs dans les villes, les femmes sont beaucoup moins incitées à se présenter sur le marché du travail. Xi Jinping y voit une double possibilité de relancer les croissances démographique et économique. A tort car de telles mesures contraignantes n'ont que peu d'impact dans une société marquée désormais par une très grande défiance vis-à-vis des autorités.


L’égalité des sexes et des individus n’est-elle pas sensée être un principe clé du Parti communiste chinois ?

La société chinoise vieillit et elle est prise au piège de sa politique qui pendant plusieurs décennies a été anti-nataliste. Se pose donc non seulement le problème du non-renouvellement des générations à venir mais un problème auquel des sociétés post-industrielles comme la nôtre sont confrontées : qui va payer les retraites ? De ce point de vue, la Chine cumule des problématiques d'un pays de plus en plus riche mais qui n'a pas su mettre en œuvre à temps une réforme de structure qui est celle à la fois des retraites et de la sécurité sociale. D'où cette politique volontariste en matière démographique et cet objectif de remettre au coeur du dispositif la femme dans son rôle patriote de génitrice.


Le fait que Xi Jinping ne fasse pas référence aux femmes au travail est-il un mauvais signal pour l’avenir des jeunes chinoises, sur la place de la femme au sein de la société chinoise et sur le modèle de société encouragé par le parti communiste chinois ?

C'est assurément une trahison de la culture communiste dans ce qu'elle avait de plus égalitaire en termes de revendications. Plus d'un siècle de luttes pour les femmes en Chine est ainsi balayé du revers de la main. A quand le retour à la polygamie ? Car ce qui se dessine ici c'est ni plus ni moins un retour à la subordination de la femme vis-à-vis de l'homme que le régime justifiera en convoquant la tradition confucéenne. Avec Xi Jinping, la Chine se lance dans un Grand Bond en arrière. Se creuse chaque année davantage l'écart entre une société illibérale comme la Chine d'un côté, l'Occident de l'autre et sa modernité. Car le projet de la modernité consistait à reconnaître aux individus la possibilité de s'émanciper (des traditions, de leur famille...). La Chine et son régime font désormais le choix inverse.


Pourquoi la Chine fait-elle le choix officiellement de cantonner les femmes dans des rôles traditionnels ? Le pouvoir chinois redoute-t-il un vent de liberté au sein de la jeunesse chinoise féminine ou au sein d’une partie des femmes adultes ?

Pour les raisons décrites plus haut et puis parce que l'image de la société chinoise et de ses représentants a considérablement changé. Désormais, les hommes sont à l'honneur. C'est le cadre dirigeant, c'est le soldat défendant la patrie que l'on met en avant. La femme leur est soumise. Elle est au mieux chosifiée, dans tous les supports publicitaires notamment, et elle n'est jamais montrée comme un être pensant. Il y aura des résistances certes mais dans les faits, la société civile n'a qu'une marge de manœuvre des plus limitées de contestation face à la technostructure et les moyens de coercition déployés par le régime.


Les dirigeants chinois mènent-ils le pays droit dans le mur avec un tel choix ? Les femmes chinoises ont-elles la possibilité d’aller à l’encontre de ce projet basé sur des rôles plus traditionnels et l’objectif des naissances ?

Cette mesure s'inscrit dans un grand tout, une machine à broyer les individus, à stéréotyper les rapports hommes / femmes et à s'opposer aussi à l'Occident. Le paternalisme et le machisme vont être le lot de la société chinoise pour les années à venir. Les plus traditionalistes s'en réjouiront mais une société libre ne se construit ni par décret ni sur des rapports de force. Et les femmes vont être les premières victimes des mesures rétrogrades prises par Xi Jinping.

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Xi Jinping et les hommes qui dirigent le Parti communiste signalent aux Chinoises que leur place est... à la maison

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05.11.2023

Atlantico : Xi Jinping était au centre de la scène lors de l'ouverture du récent Congrès national des femmes, qui était organisé du 23 au 26 octobre à Pékin. A cette occasion, les dirigeants chinois ont signalé aux femmes que leur place est au foyer… Comment expliquer un tel choix ?

Emmanuel Lincot : C'est lié à l'évolution du régime et plus généralement, la conjoncture. Xi Jinping a balayé du revers de la main les principes qui avaient été défendus depuis la génération du 4 Mai 1919. Savoir l'égalité entre les hommes et les femmes, soit une véritable démocratisation des structures sociales. Avec la fascisation du régime, comme en Russie et hier en Allemagne nazie, c'est le principe des "trois K" (Kinder, Küche, Kirche - littéralement: Enfant, Cuisine, Église) que Xi Jinping défend; le Parti exerçant le rôle de l'Eglise. Cette évolution, pour ne pas dire cette involution, va de pair avec une virilisation et une brutalisation de la société chinoise sur un mode qui s'inscrit dans la continuité d'une certaine tradition maoïste. La conjoncture économique est nettement défavorable par ailleurs. Avec plus de 20 % de chômeurs dans les villes, les femmes sont beaucoup moins incitées à se présenter sur le marché du travail.........

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