Pour le gouvernement chinois, l’Asie centrale constitue à la fois un problème de sécurité et une nouvelle zone d’expansion de ses intérêts économiques et diplomatiques. Les préoccupations sécuritaires ont longtemps dominé et continuent aujourd’hui d’occuper une place primordiale dans la politique chinoise vis-à-vis de la région. Mais ses objectifs économiques et notamment énergétiques ont progressivement, et en partie, modifié ses priorités. De fait, loin d’être séparées, les deux questions sont étroitement liées dans l’esprit des autorités de Pékin. Comme au Xinjiang dans une certaine mesure, la Chine s’efforce de régler ses problèmes de sécurité avec l’Asie centrale par le développement de la coopération économique et des échanges commerciaux, bref par la prospérité. On pourra objecter que c’est une stratégie à courte vue ou incomplète, en particulier s’agissant de pays récemment indépendants, culturellement distants ainsi que soumis à de multiples influences extérieures et des tensions intérieures. Toutefois, cette stratégie est au cœur de l’approche chinoise non seulement de l’Asie centrale mais de l’ensemble de ses voisins. C’est dans une large mesure le sens de la « diplomatie de bon voisinage » promue par Hu Jintao et Wen Jiabao depuis le début des années 20001. C’est dans ce contexte que les Routes de la Soie sont mises à l’honneur.

Ce passé commun ne suffit pas pour autant à dissiper les malentendus et les craintes que les opinions de l’Asie centrale nourrissent à l’encontre de Pékin. Et alors que la Chine affirme sa puissance sur sa façade maritime, elle demeure malgré tout très prudente et circonspecte dans ses relations avec les États de l’Asie centrale, mettant au jour à la fois la hiérarchie de ses objectifs extérieurs et l’ambivalence durable de sa politique internationale. Creuset de richesses que la Chine convoite, Pékin y privilégie des relations à la fois bilatérales et multilatérales. Que ce soit avec sa périphérie la plus immédiate ou plus lointaine, sa captation de ressources s’appuie sur le déploiement d’une diplomatie à large spectre. Elle confère à l’Ouzbékistan un rôle diplomatique prépondérant puisque Tachkent y accueille la structure antiterroriste régionale dépendant de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et que Samarcande fut le lieu non seulement de la naissance du premier Institut Confucius en 2004 mais aussi du sommet de l’OCS de septembre 2022 où Xi Jinping prit ses marques vis-à-vis de son partenaire russe. Le renforcement de cette présence globale et inter-régionale est lié à une volonté, depuis 2016, de reconnaître au Xinjiang un intérêt stratégique majeur pour sécuriser en amont le projet Belt and Road Initiative mis en œuvre par le président Xi Jinping. Cette consolidation s’appuie jusqu’alors sur le rôle militaire prépondérant de la Russie.

L’intervention, successivement au Kazakhstan puis en Ukraine en 2022, des troupes russes a toutefois provoqué un froid dans les relations entre Moscou et les capitales centrasiatiques. Même s’il est trop tôt pour affirmer que cette conjoncture favorise en retour un rapprochement irréversible entre celles-ci et Pékin, cette situation de grands bouleversements géopolitiques va assurément rebattre les cartes, au-delà même de cette région. Le retrait des Américains, un an plus tôt, de l’Afghanistan, aurait pu dans un premier temps faire accroire à une coopération accrue entre la Russie et la Chine. Il n’en est rien. Du fait même de ses difficultés en Ukraine, Moscou craint de se voir relégué à un second rôle. Source d’inquiétude pour le Kremlin, l’installation, en 2019, par l’Armée populaire de libération (APL) d’une base militaire chinoise dans le Haut-Badakhshan (est du Tadjikistan) aux frontières de l’Afghanistan et du Pakistan montre par ailleurs que Pékin investit le domaine sécuritaire régional. Jusqu’à présent, la Chine n’empiétait pas sur ce qui était considéré comme le domaine réservé de la Russie ; ancienne puissante tutélaire, coloniale, de l’Asie centrale. La guerre en Ukraine n’aura peut-être été qu’un accélérateur d’une tendance qui, dans les faits, était plusieurs années plus tôt déjà à l’œuvre. Le sommet de Xi’an de mai 2023 réunissant dans l’ancienne capitale impériale chinoise les pays de l’Asie centrale au moment même où se tenait à Hiroshima le G7 constitue un autre avertissement fort aussi bien adressé aux Occidentaux qu’à Moscou.

Extrait du livre d’Emmanuel Lincot, « Le Très Grand Jeu Pékin face à l'Asie centrale », publié aux éditions du Cerf

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L’Asie centrale, une nouvelle aubaine d’expansion pour les intérêts économiques et diplomatiques de la Chine

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11.11.2023

Pour le gouvernement chinois, l’Asie centrale constitue à la fois un problème de sécurité et une nouvelle zone d’expansion de ses intérêts économiques et diplomatiques. Les préoccupations sécuritaires ont longtemps dominé et continuent aujourd’hui d’occuper une place primordiale dans la politique chinoise vis-à-vis de la région. Mais ses objectifs économiques et notamment énergétiques ont progressivement, et en partie, modifié ses priorités. De fait, loin d’être séparées, les deux questions sont étroitement liées dans l’esprit des autorités de Pékin. Comme au Xinjiang dans une certaine mesure, la Chine s’efforce de régler ses problèmes de sécurité avec l’Asie centrale par le développement de la coopération économique et des échanges commerciaux, bref par la prospérité. On pourra objecter que c’est une stratégie à courte vue ou incomplète, en particulier s’agissant de pays récemment indépendants, culturellement distants ainsi que soumis à de multiples influences extérieures et des tensions intérieures. Toutefois, cette stratégie est au cœur de l’approche chinoise non seulement de l’Asie centrale mais de l’ensemble de ses voisins. C’est........

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