Christopher Dembik : Effectivement, la Chine a eu un modèle de surinvestissement qui a d’abord fonctionné car le monde se trouvait dans une trajectoire où le commerce mondial était très dynamique. Le problème, c’est que ce commerce international est actuellement un peu à la traîne. C'était déjà compliqué du fait de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, et bien entendu la pandémie a accentué les difficultés. Ce modèle de surinvestissement a alors montré très rapidement ses limites.

La Chine a néanmoins compris assez tôt qu'il fallait aussi stimuler la demande intérieure. Dès 2010, il y avait déjà quelques prises de conscience que c'était nécessaire de le faire, et cela a été encore plus net à partir de 2015. Cela a fonctionné un temps, après 2015, mais les derniers chiffres montrent que la consommation intérieure n'est pas aujourd'hui le principal moteur de la croissance. Elle est revenue au niveau de 2019, du fait notamment de la politique zéro COVID. Le moteur de la croissance reste les exportations. La Chine a bien conscience que le stimulat de demande intérieure n'est pas quelque chose d’aussi aisé qu’on pourrait le penser.

Finalement, on revient à un modèle économique un peu classique pour la Chine consistant à se tourner vers les exportations, notamment dans le secteur manufacturier. Mais il y des limites, parce que pour que ça fonctionne, il faut un dynamisme du commerce international qui n'est malheureusement pas là aujourd’hui.

Ca veut dire que pour faire vivre leur modèle économique, il est primordial d’exporter ?

La Chine est effectivement aujourd'hui, les chiffres le montrent très bien, essentiellement dépendante des exportations. Il a eu un échec - ou peut-être plutôt une mise entre parenthèses - de la stimulation de la consommation intérieure. Il faut signaler que sur ce sujet du surinvestissement, la Chine a réussi quelque chose d'assez frappant cette année : elle a réussi à canaliser les flux de crédits, qui allaient essentiellement vers le marché de l'immobilier, vers le secteur manufacturier. C'est plutôt un point positif car même si ça renforce le modèle de croissance tourné vers les exportations, c'est certainement plus sain que d'avoir un modèle essentiellement dépendant du marché de l'immobilier.

Ces données sont-elles une bonne nouvelle pour le reste du monde ?

La baisse des exportations chinoises est plutôt une mauvaise nouvelle, car elle montre non seulement que la demande agrégée au niveau mondial (autant en Europe qu'aux Etats-Unis et dans les pays émergents) est plutôt en berne ; mais aussi car elle traduit la morosité du commerce international, ce qui est en lien avec le fait qu'on anticipe une baisse de la croissance économique mondiale. C'est donc plutôt un mauvais signe puisque la Chine reste toujours le baromètre du commerce international.

Quelques éléments très récents, notamment dans les données des importations et des exportations qui ont été publiées cette semaine, donnent un élément d'espoir : les importations en Chine ont augmenté plus que prévu, ce qui est généralement vu comme un signe de reprise de la demande intérieure après plusieurs mois très difficiles. Bien évidemment, il faut être très mesuré. Cette reprise de la demande intérieure va être lente et va dépendre de plusieurs facteurs.

Au niveau de la dynamique économique mondiale, un modèle tourné vers les exportations implique d'avoir un commerce international en forme et d'avoir des acheteurs. La réalité, et les autorités chinoises en ont conscience, est qu'un modèle tourné uniquement vers les exportations a des limites. Il suffit de regarder aujourd'hui comment ça se passe. Les exportations chinoises sont d'ailleurs en contraction, et cette contraction s'est accélérée selon les dernières données publiées. Elles permettent d'ailleurs de voir que la dépendance de la Russie à la Chine s'est accrue et que la Chine développe davantage son modèle d'exportation vers l'Asie Mineure, dont la Russie. Or, la Chine a parfaitement conscience qu'il faut aller au-delà. C'est pour ça qu'il y a une volonté de monter en gamme au niveau économique. Il y a une volonté aussi, même si ça va rester très compliqué, de stimuler davantage sa consommation intérieure. Ce qu'il faut bien garder en tête, c'est que la Chine est loin d'être une économie unifiée. Il y a beaucoup de problématiques, beaucoup de sujets, et même plusieurs Chines, qui compliquent la grille de lecture.

Un dernier point souvent oublié : généralement, les économistes s'intéressent aux exportations. Si les exportations chinoises sont en forme, on se dit que l'économie mondiale est en forme et que c'est une bonne nouvelle. C'est un peu réducteur. En réalité, ce qui va compter pour nous, Européens, ce qui va compter notamment aussi pour l'économie mondiale, c'est : est-ce que la Chine importe ? Parce que si la Chine importe, c'est que la demande domestique est en forme. Il ne faut pas oublier que beaucoup d'économies mondiales importent de la Chine, mais exportent également vers elle. Par exemple, 18% des exportations japonaises vont vers la Chine. Il ne faut pas avoir une vision tronquée où la Chine se résumerait aux exportations. On a besoin de savoir si le dynamisme des importations est là, car c'est un élément important pour tous les partenaires commerciaux de la Chine.

Nous estimons que la Chine est sur un régime de croissance plutôt proche de 5 %. C'est bien, puisque seulement une seule grande économie mondiale fait mieux, l'Inde qui est autour de 6%, mais est-ce suffisant pour la Chine, dont le stade de développement n'est pas aussi avancé que dans les pays européens ? Probablement pas. La Chine, finalement, est dans une situation très compliquée. Elle pourrait décider de faire davantage de crédit. Elle essaye, tant bien que mal, de le canaliser ailleurs et pas uniquement vers les bulles. Mais on sait que c'est relativement limité, car faire trop de crédit crée des bulles spéculatives. Est-ce qu'elle peut dévaluer sa monnaie, ce qui a été un peu évoqué ces derniers mois ? De manière assez sommaire, on considère que ça permet de stimuler les exportations. Mais en 2015, la dévaluation du yuan a entraîné une fuite importante des capitaux qui a mis plusieurs années à être endiguée. Donc, ce n'est pas non plus une bonne solution. L'autre solution, c'est un grand plan de relance. C'est ce qui est un peu sur la table, avec quelques secteurs clés : des secteurs d'innovation, de l'infrastructure... C'est sûrement nécessaire, mais encore une fois, ça ne va pas stimuler la demande intérieure et ça sera donc limité en termes de croissance et les effets à long terme de ces investissements publics vont mettre du temps à être perçus sur l'économie.

Pour la Chine aujourd'hui, il n'y a pas une solution miracle. Ils ne peuvent pas se dire : « On va faire la relance, automatiquement, tout va aller mieux. » Même une politique de relance va avoir des aspects négatifs. C'est ce qui explique d'ailleurs que les autorités chinoises mettent du temps à mettre en place des mesures de soutien massives, alors qu'elles sont attendues depuis le début 2023.

Il faut bien avoir conscience que c'est une situation qui est assez complexe. Ce qui est sûr, c'est que bien sûr, 5% de croissance potentielle, c'est mieux que 1% en zone euro. Mais en même temps, on n'a pas atteint les mêmes stades de développement, donc ça peut poser de vrais problèmes pour la Chine.

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La Chine a construit suffisamment d’usines pour construire toutes les voitures vendues en Chine, en Europe et aux Etats-Unis. Et voilà pourquoi c’est une mauvaise nouvelle pour nous comme pour elle

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12.11.2023

Christopher Dembik : Effectivement, la Chine a eu un modèle de surinvestissement qui a d’abord fonctionné car le monde se trouvait dans une trajectoire où le commerce mondial était très dynamique. Le problème, c’est que ce commerce international est actuellement un peu à la traîne. C'était déjà compliqué du fait de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, et bien entendu la pandémie a accentué les difficultés. Ce modèle de surinvestissement a alors montré très rapidement ses limites.

La Chine a néanmoins compris assez tôt qu'il fallait aussi stimuler la demande intérieure. Dès 2010, il y avait déjà quelques prises de conscience que c'était nécessaire de le faire, et cela a été encore plus net à partir de 2015. Cela a fonctionné un temps, après 2015, mais les derniers chiffres montrent que la consommation intérieure n'est pas aujourd'hui le principal moteur de la croissance. Elle est revenue au niveau de 2019, du fait notamment de la politique zéro COVID. Le moteur de la croissance reste les exportations. La Chine a bien conscience que le stimulat de demande intérieure n'est pas quelque chose d’aussi aisé qu’on pourrait le penser.

Finalement, on revient à un modèle économique un peu classique pour la Chine consistant à se tourner vers les exportations, notamment dans le secteur manufacturier. Mais il y des limites, parce que pour que ça fonctionne, il faut un dynamisme du commerce international qui n'est malheureusement pas là aujourd’hui.

Ca veut dire que pour faire vivre leur modèle économique, il est primordial d’exporter ?

La Chine est effectivement aujourd'hui, les chiffres le montrent très bien, essentiellement dépendante des exportations. Il a eu un échec - ou peut-être plutôt une mise entre parenthèses - de la stimulation de la consommation intérieure. Il faut signaler que sur ce........

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