Christophe Boutin : Un coup dur pour le gouvernement ? Un coup dur pour l’aile droite du gouvernement, et bien évidemment essentiellement pour le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui portait le projet à bout de bras, c’est je crois assez évident. Il n’est pas dit que l’aile gauche ne s’en félicite pas en secret, mais c’est une autre histoire. Mais un coup dur pour le gouvernement de manière plus générale aussi, puisqu’il affecte le mode de co-construction du texte avec les parlementaires choisi par Élisabeth Borne : si elle veut qu’un texte sur l’immigration sorte quand même, il lui faudra passer sous les fourches caudines sénatoriales ou user de l’article 49 alinéa 3. Oublié alors le consensus politique dont on espérait ainsi démontrer l’existence contre les excès répressifs ou laxistes des extrêmes droite et gauche.

S’agit-il pour autant de la fin de la mandature ? Je crois que les quelques partisans d’Emmanuel Macron qui, il y a quelques jours encore, cherchaient à peser sur le choix des parlementaires en expliquant que le vote de la motion de rejet à l’Assemblée nationale pourrait conduire à une dissolution de la Chambre basse par le Président vont sans doute se faire très discrets. Dans la situation actuelle en effet, une dissolution semble être pour Emmanuel Macron un risque politique absolument majeur, car sa majorité pourrait bien revenir plus fragilisée encore après de nouvelles élections.

La question est maintenant de savoir, pour le Président et son gouvernement, s’ils choisissent de tourner la page de ce texte sur l’immigration, ou s’ils veulent, comme l’écrivait Jean-Éric Schoetll dans Le Figaro, « s’en sortir par le haut », ce qui supposerait peut-être de reprendre comme base de travail le texte présenté par le Sénat, très largement détricoté par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Ce serait la situation la moins conflictuelle avec une part au moins de l’opposition, mais cela conduirait aussi à des tiraillements importants au sein de la majorité parlementaire, qui n’est pas du tout prête à accepter les quelques limites que les Républicains voulaient apporter en matière d’immigration.

Tout à fait. En prétendant concilier les points de vue de la droite et de la gauche, le texte proposé jouait sur le « en même temps ». On y trouvait par exemple, d’un côté, des mesures restreignant l’accès sur le territoire pour certains immigrants, et, de l’autre, des mesures qui régularisaient la situation de migrants illégaux présents sur le territoire au nom des « métiers en tension » : un coup à droite, un coup à gauche. L’idée du constructeur de ce brouet peu cohérent était d’arriver ainsi, en bout de course – et de vote – à faire croire à l’existence d’un vrai débat et d’un non moins vrai « consensus ». Or on est arrivé à l’effet rigoureusement inverse : le texte a avant tout été perçu comme « trop dur » par une gauche moins extrémiste que LFI, mais tout aussi vigoureusement immigrationniste (EELV), et comme « trop mou » par la droite des Républicains et même par des parlementaires de centre-droit, qui se savent sur des sièges éjectables face à leurs électeurs sur cette question – ce qui n’empêcha pas quelques courageuses abstentions ! Ceux que l’on pensait ne pas pouvoir s’allier l’ont finalement fait pour écarter le texte de l’agenda parlementaire.

Dire que c’est la fin de l’idée selon laquelle certains choix techniques peuvent permettre de trouver des consensus, sans doute pas. Cela remet par contre en cause l’idée selon laquelle la politique serait avant tout une gestion technicienne et technocratique. Un sujet aussi sensible que celui de l’immigration, qui touche à bien d’autres domaines, comme ceux de la sécurité, de l’identité, des valeurs partagées, de la manière dont l’histoire de notre nation peut être lue, ne relève pas seulement de la comptabilité d’individus interchangeables. Fin de la compétence au pouvoir ? On pourrait vous répondre qu’en politique la compétence suppose, justement, de savoir cela, mais qu’il faille tenir compte des réalités matérielles comme des émotions semble visiblement difficilement compréhensible pour certains gouvernants.

Est-on d’ailleurs compétent ou technicien quand on se refuse à voir cette réalité simple que prouvent tous les sondages montrent depuis des décennies et plus encore ces dernières années sur les attentes des Français en matière d’immigration : ils n’en veulent plus. Ils ne veulent pas « moins » d’immigration, ils ne veulent pas « mieux » d’immigration, ils ne veulent pas une « autre » immigration. Ils n’en veulent plus. Et ils n’en veulent plus car ils savent bien que la seule à laquelle ils pourraient sans doute accéder, une immigration temporaire de travail, conduirait, par l’effet des textes internationaux et des jurisprudences des cours internationales, à la situation actuelle. Comme quoi nos concitoyens ne sont en cela pas incompétents…

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Rejet du projet de loi immigration : quelle fin de quinquennat pour Emmanuel Macron ?

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12.12.2023

Christophe Boutin : Un coup dur pour le gouvernement ? Un coup dur pour l’aile droite du gouvernement, et bien évidemment essentiellement pour le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui portait le projet à bout de bras, c’est je crois assez évident. Il n’est pas dit que l’aile gauche ne s’en félicite pas en secret, mais c’est une autre histoire. Mais un coup dur pour le gouvernement de manière plus générale aussi, puisqu’il affecte le mode de co-construction du texte avec les parlementaires choisi par Élisabeth Borne : si elle veut qu’un texte sur l’immigration sorte quand même, il lui faudra passer sous les fourches caudines sénatoriales ou user de l’article 49 alinéa 3. Oublié alors le consensus politique dont on espérait ainsi démontrer l’existence contre les excès répressifs ou laxistes des extrêmes droite et gauche.

S’agit-il pour autant de la fin de la mandature ? Je crois que les quelques partisans d’Emmanuel Macron qui, il y a quelques jours encore, cherchaient à peser sur le choix des parlementaires en expliquant que le vote de la motion de rejet à l’Assemblée nationale pourrait conduire à une dissolution de la Chambre basse par le Président vont sans doute se faire très discrets. Dans la........

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