Atlantico : Le président de la République cherche à rétablir une autorité qui, selon lui, n'est plus respectée sur les bancs de l'école. En voulant rétablir l’autorité et ressouder le peuple et la République, Emmanuel Macron identifie bien les maux. Mais en identifie-t-il véritablement les symptômes ? Comme dit le proverbe, le poisson pourrit toujours par la tête... C'est chez les jeunes qu'il faut commencer ou bien par le haut ?

Christophe Boutin : On est immédiatement tenté de répondre qu’il faut bien commencer quelque part, et que la question de la jeunesse est particulièrement importante parce que, de l’éducation qu’elle reçoit – chez elle comme dans l’éducation nationale d’ailleurs, cette dernière n’ayant pas à compenser le laxisme des parents – dépendra, en partie au moins, son comportement civique lorsqu’elle sera devenue adulte. Or il convient sans doute, pour apaiser les tensions qui montent, de retrouver chez tous nos concitoyens ce respect de l’autorité légitime nécessaire à la vie commune, respect des lois, bien sûr, mais aussi d’un certain nombre de comportements traditionnellement admis comme faisant partie de notre culture, comme ces règles de politesse et de savoir-vivre inculquées aux générations précédentes et qui semblent cruellement absentes de nombre de comportements actuels.

Mais, vous avez raison de poser la question en ce sens, encore faut-il que le titulaire de l’autorité donne « le bon exemple », et, par exemple, qu’il y ait au plus haut sommet de l’État une véritable « éthique de responsabilité », dans laquelle le fautif admet devoir payer les conséquences de ses erreurs. Or, pour reprendre la distinction de Max Weber, depuis maintenant des décennies le sommet de l’État se satisfait d’une « éthique de conviction » dans laquelle il suffit d’expliquer que l’on n’avait « pas voulu cela », ou que l’on pensait « bien faire », pour se dédouaner de toute responsabilité.

Ajoutons à cela un nombre d’élus, pas énorme, mais médiatiquement présents, qui traînent derrière eux des casseroles et sont parfois blanchis par la justice sans que l’on ait toujours l’impression que cela soit justifié. Il est vrai, reconnaissons-le, que ceux qui sont sous le feu des projecteurs médiatiques voient leur comportement scruté dans le détail et analysé plus souvent à charge qu’à décharge par des juges autoproclamés aux intentions d’une douteuse pureté, ou que leur présomption d’innocence semble bien souvent oubliée. Il n’en reste pas moins que lorsqu’on entend parler du retour sur la scène politique d’élus condamnés pour fraude, ou que l’on recycle d’anciens condamnés dans les plus hautes sphères juridictionnelles de l’État, ce n’est pas sans poser des questions.

A l'heure du wokisme et autre mouvement qui souhaite la destruction idéologique de l'Occident, qui va enseigner l'autorité et les valeurs respectables à nos jeunes ?

Certes, l’idéologie woke, très présente dans le milieu politico-médiatique, a plus qu’infiltré le milieu universitaire, comme le relève à très juste titre l’Observatoire du décolonialisme, et a certainement sa place dans le milieu des enseignants du primaire ou du secondaire. Attention cependant à ne pas confondre ce wokisme et cette critique de « l’Occident » qui monte sur le plan géopolitique – par les Brics, par le « grand Sud » - et vise à remettre en cause, non sans fondements, un prétendu « universalisme » des « valeurs occidentales » qui nie bien facilement les valeurs et les intérêts d’autres populations.

Mais revenons à votre question. Reste-t-il des gens capables d’enseigner l’autorité et les valeurs aux jeunes ? Oui, bien sûr. Il est trop souvent convenu de présenter l’Éducation nationale comme un bloc idéologique homogène, ce qui n’est absolument pas le cas, ou comme un rassemblement de fainéants, ce qui l’est encore moins. Il y a encore en son sein des milliers d’enseignants passionnés par leur métier, dévoués à leur tâche et déplorant de ne pouvoir l’accomplir. Certes, il pourrait y avoir une tension entre ceux qui souhaiteraient appliquer ces mesures de retour de l’autorité et enseigner aux jeunes le respect de certaines valeurs, et d’autres qui pourraient n’y voir qu’une nième ruse de la bourgeoisie, sinon le retour du fascisme et des « heures les plus sombres de notre histoire ». Mais la véritable question sera sans doute celle de savoir si les enseignants qui souhaiteront faire leur travail et appliquer les directives ministérielles auront, très concrètement, les moyens pour le faire, et là il est permis d’en douter.

L'acte 1 de ce "rendez-vous avec la Nation" formulé par Emmanuel Macron se focalise sur la jeunesse, avec une réflexion sur l'uniforme à l'école ou le service national universel. Est-ce que ce sont des propositions concrètes ou utopistes ? Est-ce un emplâtre sur une jambe de bois ?

Les exemples que vous donnez sont, je crois, parfaits pour comprendre ce que veut dire, en termes de règles nouvelles à imposer, la question des moyens. Dans ces deux domaines, uniforme à l’école ou service national universel, la première question est d’abord celle du « tout ou rien » : si on peut effectivement tester ces mesures nouvelles dans une zone géographique limitée, elles ont vocation à s’appliquer très rapidement sur l’ensemble du territoire.

Mais que faire face au refus ? Que fait l’enseignant, que fait le directeur de l’établissement scolaire, lorsqu’un, deux dix ou cinquante élèves refusent de porter le nouvel uniforme ? À l’École d’alsacienne, l’hypothèse est saugrenue, mais le lycée Rosa Parks en zone d’éducation prioritaire n’a que peu de rapports avec l’École alsacienne, et j’avoue que je ne vois pas quels seraient les moyens donnés au personnel, enseignant ou de direction, pour faire face au problème. J’ajoute que même si ces moyens existaient peu les mettraient en œuvre à ce jour, au vu des risques, y compris physiques, qu’ils pourraient courir. On me dira que l’on peut commencer par le primaire pour faciliter les choses, mais la question sera alors celle de l’acceptation ou non de ces règles et des éventuelles sanctions de leur violation par certains parents.

Quant au service national universel ensuite, sera-t-il d’abord universel ? Il est pour l’instant facultatif, il aurait sans doute vocation à devenir obligatoire. Y aura-t-il des procédures engagées, des contraintes, des sanctions lorsque des jeunes Français qui doivent le faire refusent d’y venir ? Lesquelles ? Appliquées par qui ? Mêlant ensuite des populations variées, il suppose un contrôle très strict pour éviter de voir des individus violents, déjà habitués à toute sorte de trafics, tenter d’imposer leur loi au sein de la structure. Qui l’exercera ? Avec quelles sanctions ?

Dans les deux cas enfin, la mise en œuvre pratique de l’autorité suppose la sanction de comportements qui indiquent, non pas explicitement, mais implicitement, un rejet du système imposé. Il y a mille et une manières, tout en portant un uniforme, de montrer qu’on ne le respecte pas, ou de faire preuve de mauvaise volonté au point de désorganiser le fonctionnement au quotidien d’une structure. Cela devrait être sanctionné, mais, là encore, par qui et comment ? Les titulaires de l’autorité risquent de s’épuiser à définir ce qui peut ou pas être fait ou toléré, être entraînés dans d’inutiles débats à n’en plus finir, et finiront par perdre la face d’une manière ou d’une autre. Tant qu’il n’y aura pas de réponse à ces questions très concrètes, tout cela risque bien d’être contre-productif.

Mobiliser la jeunesse autour de mesures visant à la rendre plus civique peut-il suffire si tout le reste de la société continue à s’inscrire dans une certaine idéologie que l'on voit se déployer depuis les cinq ou six dernières décennies et qui fracture la France ?

Ne pas tenter de le faire serait de toute manière dommage. Lorsque le président de la République évoque la nécessité d’un « réarmement civique », qui va nier qu’il ait raison, à part quelques idéologues dépassés ? Mais l’absence de projet commun qui contribue à la fracturation de la France résulte de toute une série d’éléments : de la diffusion d’un individualisme exacerbé dans lequel se retrouvent un certain libéralisme et le progressisme, de la haine de soi concrétisée par la repentance visant à détruire le roman national autour desquels notre pays s’est fédéré, de l’égalitarisme mesquin dans lequel trop de gens se complaisent… Comment, dans ces conditions, arriver à proposer un projet commun ? Cela fait partie des éléments qu’Emmanuel Macron devrait présenter au Français dans l’allocution qu’il a prévu de faire d’ici la fin du mois. Je crois qu’il faut attendre de voir quelle sera la réponse de ce Président selon lequel il n’y a pas de culture française mais des cultures en France pour leur proposer de participer à son nouveau « plébiscite de tous les jours ».

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Réarmer civiquement la jeunesse : en marche vers une nouvelle illusion macronienne ?

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05.01.2024

Atlantico : Le président de la République cherche à rétablir une autorité qui, selon lui, n'est plus respectée sur les bancs de l'école. En voulant rétablir l’autorité et ressouder le peuple et la République, Emmanuel Macron identifie bien les maux. Mais en identifie-t-il véritablement les symptômes ? Comme dit le proverbe, le poisson pourrit toujours par la tête... C'est chez les jeunes qu'il faut commencer ou bien par le haut ?

Christophe Boutin : On est immédiatement tenté de répondre qu’il faut bien commencer quelque part, et que la question de la jeunesse est particulièrement importante parce que, de l’éducation qu’elle reçoit – chez elle comme dans l’éducation nationale d’ailleurs, cette dernière n’ayant pas à compenser le laxisme des parents – dépendra, en partie au moins, son comportement civique lorsqu’elle sera devenue adulte. Or il convient sans doute, pour apaiser les tensions qui montent, de retrouver chez tous nos concitoyens ce respect de l’autorité légitime nécessaire à la vie commune, respect des lois, bien sûr, mais aussi d’un certain nombre de comportements traditionnellement admis comme faisant partie de notre culture, comme ces règles de politesse et de savoir-vivre inculquées aux générations précédentes et qui semblent cruellement absentes de nombre de comportements actuels.

Mais, vous avez raison de poser la question en ce sens, encore faut-il que le titulaire de l’autorité donne « le bon exemple », et, par exemple, qu’il y ait au plus haut sommet de l’État une véritable « éthique de responsabilité », dans laquelle le fautif admet devoir payer les conséquences de ses erreurs. Or, pour reprendre la distinction de Max Weber, depuis maintenant des décennies le sommet de l’État se satisfait d’une « éthique de conviction » dans laquelle il suffit d’expliquer que l’on n’avait « pas voulu cela », ou que l’on pensait « bien faire », pour se dédouaner de toute responsabilité.

Ajoutons à cela un nombre d’élus, pas énorme, mais médiatiquement présents, qui traînent derrière eux des casseroles et sont parfois blanchis par la justice sans que l’on ait toujours l’impression que cela soit justifié. Il est vrai, reconnaissons-le, que ceux qui sont sous le feu des........

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