Atlantico : Que penser du déroulement de la commission mixte paritaire ?

Christophe Boutin : L’élément principal est je crois l’incapacité dans laquelle ont été les deux partenaires dont dépend, à l’Assemblée nationale et au Sénat, l’éventuelle survie de ce texte sur l’immigration, c’est-à-dire, d’une part, la majorité présidentielle, et d’autre part les Républicains, à s’entendre sur un texte commun. Alors qu’il y a eu des tractations à tous les niveaux, avec des réunions à Matignon, alors que le gouvernement a entendu, après l’échec qu’a été pour lui le vote de la notion de rejet, baliser les débats qui allaient venir en commission mixte paritaire, et même si manifestement tout n’était pas réglé, on pouvait penser que la CMP ferait rapidement des choix – s’avérant d’ailleurs conclusive ou non –, alors que l’on est dans une suite de négociations dont on se demande à quoi elles servent, en dehors de l’image qu’en attendent certains partis.

La CMP doit-elle aboutir à un accord ?

Votre question est plus politique que juridique, et c’est une question essentielle à laquelle doivent avant tout réfléchir les deux partis qui négocient. L’ensemble des partis politiques n’est déjà plus dans la logique de la commission mixte paritaire, mais envisage ce qui pourrait se passer après une commission mixte paritaire conclusive, c’est-à-dire, d’une part, lors du vote du texte ainsi élaboré devant les deux chambres, et, d’autre part, après le vote de ce texte. Or, le texte, quel qu’il soit, ne satisfera pas cette gauche qui considère que l’immigration est une chance pour la France, mais, surtout, que la France doit être une chance pour des migrants qui ont vocation à venir sur notre territoire. Ce même texte ne sera pas non plus un bon texte pour une droite, au premier rang de laquelle le Rassemblement national, qui est opposée à toute immigration. Ces deux visions du monde - d’ailleurs très inégalement réparties au sein de la population française si l’on en croit des sondages, qui montrent une écrasante majorité de nos concitoyens refusant la poursuite de l’immigration que nous connaissons, sinon de toute immigration -, ne se satisferont pas d’un texte trop dur pour les uns, trop laxiste pour les autres.

Quel serait l’avantage politique d’un accord ?

Le texte a dès l’origine été pensé sur le « en même temps » présidentiel, destiné à donner l’impression d’un consensus des politiques « sérieux », les « partis de gouvernement » de « l’arc républicain » - entendre la majorité centriste et ses alliés à droite et à gauche. Il s’agissait de mettre la pression sur des alliés potentiels en leur expliquant qu’un rejet, les confondant avec les extrêmes, altèrerait leur légitimité de « parti de gouvernement ». Mais il y a confusion ici entre l’idée selon laquelle gouverner c’est nécessairement faire un choix, ce que nul ne niera, et celle selon laquelle ce choix ne saurait être qu’un ralliement à la proposition gouvernementale. Ouvrir toutes grandes les frontières ou les fermer totalement ne sont pas moins des choix de gouvernement qu’une solution bancale qui n’a de « juste milieu » que le nom, et gouverner contre les vœux de la majorité de sa population reste contestable en démocratie. L’avantage politique de l’accord, en termes de légitimation pour les partis qui le signeraient, est donc très douteux, et la seule explication que l’on entend parfois (« il vaut mieux un texte que rien »), reste tout à fait contestable : dans certaines situations, il vaut mieux qu’il n'y ait rien plutôt qu’un texte inefficace.

Que pourrait-il se passer ?

Si la CMP s’avère conclusive dans les heures qui viennent, et si un texte est à nouveau soumis aux chambres, la question se posera de savoir si, au sein des Républicains d’une part et de la majorité présidentielle d’autre part, il y aura une adhésion suffisante pour que les votes de cette majorité conjointe l’emportent à l’Assemblée nationale - avec très certainement derrière une confirmation au Sénat. Or ils devront faire face à deux pressions. Pour les élus Républicains, ce sera celle qui peut naître de la manière dont leur électorat validera un texte de compromis qui reste un simple aménagement de l’immigration. Pour les élus Renaissance, ce seront les demandes des partis de gauche - celle par exemple des élus écologistes de rassembler « les humanistes » contre le texte – ou des associations vivant sur fonds publics de l’immigration, appelant, comme Anne Hidalgo, à « entrer en résistance ». Et dans les deux cas, une fronde qui ferait finalement capoter le texte serait sans risques, le président de la République ayant annoncé qu’il ne dissoudrait pas l’Assemblée nationale en cas d’échec. Ne resterait alors que le 49 alinéa 3 pour sauver un texte qui n’aurait plus son utilité première : montrer qu’existe un consensus.

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Projet de loi immigration : et si un accord en CMP n’avait en réalité d’intérêt pour personne…

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19.12.2023

Atlantico : Que penser du déroulement de la commission mixte paritaire ?

Christophe Boutin : L’élément principal est je crois l’incapacité dans laquelle ont été les deux partenaires dont dépend, à l’Assemblée nationale et au Sénat, l’éventuelle survie de ce texte sur l’immigration, c’est-à-dire, d’une part, la majorité présidentielle, et d’autre part les Républicains, à s’entendre sur un texte commun. Alors qu’il y a eu des tractations à tous les niveaux, avec des réunions à Matignon, alors que le gouvernement a entendu, après l’échec qu’a été pour lui le vote de la notion de rejet, baliser les débats qui allaient venir en commission mixte paritaire, et même si manifestement tout n’était pas réglé, on pouvait penser que la CMP ferait rapidement des choix – s’avérant d’ailleurs conclusive ou non –, alors que l’on est dans une suite de négociations dont on se demande à quoi elles servent, en dehors de l’image qu’en attendent certains partis.

La CMP doit-elle aboutir à un accord ?

Votre question est plus politique que juridique, et c’est une question essentielle à laquelle doivent avant tout réfléchir les deux partis qui négocient. L’ensemble des partis........

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