Atlantico : Les rencontres de Saint-Denis n'ont pas la côte. Après les chefs de file du PS et de LFI, Éric Ciotti, le président des LR, annonce lui aussi qu'il ne participera pas à ce rendez-vous initié par Emmanuel Macron. Pourquoi ce boycott ? Est-ce la méthode Macron qui pose problème ?

Christophe Boutin : Le président Macron a choisi ce format très particulier, qui consiste à accueillir les différents chefs de partis dans un lieu qui n’est pas l’Élysée, et il a retenu pour cela un lieu doublement symbolique, à Saint Denis, non loin de la nécropole de nos rois, et à la maison de la Légion d'honneur. Cette « initiative politique de grande ampleur » se voulait le point nodal de la rentrée 2023, mais l’absence annoncée des dirigeants de partis d’opposition de gauche (LFI, PS) ou de droite (LR) pose certes une série de questions politiques.

S’agit d’abord d’un échec de la méthode d’Emmanuel Macron ? La chose peut être discutée. Il y a en effet très régulièrement dans la vie politique d’un pays des moments où les représentants du pouvoir éprouvent le besoin d’élargir le débat, de ne plus se limiter aux seuls membres de leur majorité, et de discuter avec les représentants de l’ensemble des formations politiques du pays. Ce qui peut surprendre, c’est que c’est généralement le rôle dévolu au chef de Gouvernement, qui reçoit à Matignon ces représentants, par exemple à l’occasion de débats sur des projets de loi importants, ou après un événement qui a pu troubler la vie politique.

Ici cependant, Emmanuel Macron peut penser qu’il a une certaine légitimité à prendre sa place à Élisabeth Borne, à partir du moment il veut évoquer avec les chefs de partis les réformes constitutionnelles importantes qu’il a prévues, réformes qui sont bien du niveau du président de la République, qui ont été annoncées d’ailleurs dès le début de son premier quinquennat. Des réformes sur lesquelles il n’a pour l’instant pas réussi à avancer, en partie au moins parce qu’il n’a pas pu trouver la majorité parlementaire nécessaire à leur adoption – comme il y a ici révision constitutionnelle, il faut en effet la majorité des trois cinquièmes au Congrès, mais aussi un vote préalable en termes identiques de l’Assemblée nationale et du Sénat, ce qui donne à ce dernier, chambre où l’opposition est majoritaire, une sorte de droit de veto.

Quant au pourquoi du boycott, il relève d’un certain nombre d’éléments. Il y a en partie au moins la conséquence de la tension que connaît actuellement notre vie politique. Il y a ensuite des doutes sur les réelles capacités d’écoute d’un Emmanuel Macron qui semble facilement considérer qu’une fois données ses explications on ne peut que se rallier à ses projets. Il y a aussi la volonté de ne pas cautionner une sorte de politique commune, sinon d’union sacrée, à laquelle Emmanuel Macron tente de manière récurrente de faire appel. Si certains veulent bien accepter que sur quelques dossiers des consensus trans-partisans puissent apparaître, ces derniers ne sauraient constituer l’alpha et l’omega de la vie politique. Il y a enfin une critique de la création par le Président de ces procédures informelles qui ont certes l’avantage de réunir ceux qui, sinon, ne se parleraient pas, mais qui, « en même temps », pour reprendre la célèbre formule, dépossèdent les lieux traditionnels du pouvoir de leurs fonctions - au premier rang desquels le Parlement.

Ces rencontres de Saint-Denis, c'est un échec politique pour Emmanuel Macron ?

Échec total, sans doute pas, à partir du moment où le Président les maintient malgré les défections, renvoyant ainsi la balle dans le camp de ceux qui ne viennent pas, et les fragilisant parfois par ce biais au sein de leurs formations. On comprend par exemple les réserves émises par Xavier Bertrand à l’encontre d’Éric Ciotti, considérant que la politique de la chaise vide n’est pas nécessairement la meilleure. En effet, soit, en la pratiquant, on empêche quelque chose, un vote ou une réunion, et l’on a alors affirmé son pouvoir, soit, au contraire, on n’empêche finalement rien… et on se trouve simplement marginalisé. La question pour les partis d’opposition est celle du risque principal par rapport à l’opinion publique et à celle de leurs électeurs : réside-t-il dans cette marginalisation relative, ou dans le fait d’être vu comme cautionnant, sinon véritablement la politique macronienne – ou une partie de celle-ci -, au moins comme une nouvelle méthode politique qui n’est pas sans critiques.

Car là où l’échec d’Emmanuel Macron est patent, c’est dans son incapacité à créer des structures de coopération trans-partisanes qui dégageraient des consensus. Son Conseil National de la Refondation usurpe volontairement le sigle du Conseil National de la Résistance, et veut ainsi faire croire que nous sommes, comme à l’époque, à un tournant majeur, et qu’il s’agit de rebâtir le pays sur des bases nouvelles. Il n’a pourtant pour l’instant rien produit de comparable avec son illustre ancêtre, et a même plutôt contribué à défaire, notamment dans les domaines du travail ou social, ce qui avait été construit alors. De la même manière, les rencontres de Saint-Denis, qui se voulaient cette fois plus politique, moins techniciennes que le Conseil National de la Refondation, en sont réduites à ce point que nous avons décrit, et l’on ne peut absolument pas parler ici d’un « nouvel élan » qui aurait été créé par le président de la République vers une « union sacrée ».

Pourquoi contourne-t-il systématiquement les institutions représentatives du pays, tout en concentrant tous les pouvoirs et quasi toutes les décisions à l'Élysée ?

La réponse est un peu dans la question. Certes, les prédécesseurs d’Emmanuel Macron avaient eux aussi concentré le pouvoir à l’Élysée. Certes, depuis le début de la Ve République, le Président a toujours été, pour reprendre la célèbre dichotomie, plus un « capitaine » qu’un « arbitre ». Mais effectivement, avec Emmanuel Macron, les choses se sont encore accentuées et ce pour deux raisons, l’une philosophique et l’autre pratique.

La raison philosophique tient à ce progressisme dont Emmanuel Macron est un parfait représentant, et qui retrouve, comme Frederic Rouvillois l’avait parfaitement démontré dans son essai Liquidation, le saint-simonisme du XIXe siècle. C’est notamment le cas par son expertocratie, qui, comme son nom l’indique, confie la réalité des choix politiques aux experts. Or ces derniers, dans le monde macronien, ne sont ni les parlementaires, ni la fonction publique, mais, comme cela a été mis en oeuvre lors du précédent quinquennat, et comme cela continue de l’être, les membres des cabinets de conseil privés. Ce sont eux qui décident des politiques à mettre en œuvre, et, l’expert ayant parlé, la raison s’étant exprimée, les débats qui suivent ont simplement une vocation explicative, mais ne sauraient modifier ce qui a été ainsi décidé.

La raison pratique, elle, tient à ce que ces experts ne trouvent plus face à eux, pour éviter leurs dérives, la haute fonction publique qui, dans les ministères, avait justement cette fonction d’expertise. Ils ne la trouvent pas pu plus parce que, depuis qu’il est au pouvoir, Emmanuel Macron s’emploie à la démanteler, soit qu’il en détruise les grands corps, soit qu’il favorise, par les retours entre public et privé, sa confusion perverse avec, justement, les cabinets de conseil. Il n’y a dès lors plus de contre-pouvoir pour aller à l’encontre des décisions de ces cabinets ou de celles de ces conseillers du Prince élyséens dont on apprend les compétences en même temps que la nomination.

La chose étant peu démocratique, si tant est que l’on se réfère aux canons de la démocratie parlementaire, et le Parlement ayant vocation à se réduire à une chambre d’enregistrement, on comprend la grogne de ce dernier. Il est en effet écarté de la fonction de réflexion comme de celle de la légitimation démocratique par des structures ad hoc - Conseil National de la Refondation, nous l’avons évoqué, mais aussi par exemple conférences citoyennes, sur le climat, la fin de vie, ou, demain sans doute, la culture des oranges en Basse-Provence – qui, par le tri des intervenants et la manière dont sont menés les débats, font courir moins de risque de voir certains choix remis en cause.

Ses revirements, ses prises de positions, son absence à la marche contre l'antisémitisme... Emmanuel Macron est-il encore capable de garantir la cohésion nationale ?

Ce n’est pas parce qu’une position politique évolue que l’on porte atteinte à la cohésion nationale : l’avis de la nation sur tel ou tel sujet peut lui-même évoluer, exactement comme peut évoluer la position du leader qui représente le pays en question. Les prises de position d’Emmanuel Macron sont par contre plus contestables quand le chef de l’État, notamment à l’étranger, émet des critiques sur le peuple de son pays, de manière parfois amusé ou amusante, mais toujours choquante. Quant à l’absence à la marche contre l’antisémitisme, sans doute y a-t-il eu dans l’esprit du Président une inquiétude sur la manière dont serait perçue sa présence par la partie de la population présente sur le territoire qui se refusait à participer à cette marche du fait de sa solidarité culturelle et/ou religieuse avec la cause palestinienne.

Emmanuel Macron est-il capable de garantir la cohésion nationale ? Dans l’état de la France de 2023, il est permis de se demander qui serait capable de garantir cette cohésion nationale sur laquelle nos concitoyens ont les plus grands doutes. Comme le disait Gérard Collomb lorsqu’il quittait le ministère de l’Intérieur, nous avons en France des populations qui vivent côte à côte et parfois déjà face à face. À part la possession en commun d’un certain nombre de pièces administratives, il est permis de se demander ce qui fédère ces différents groupes, et s’il y a une difficulté à affirmer une cohésion nationale c’est sans doute avant tout parce que nous serions bien incapables d’apporter une commune définition de ce qu’est notre nation. Et si Emmanuel Macron n’a rien fait pour améliorer les choses depuis qu’il est au pouvoir – son penchant coupable pour la repentance le montre bien -, il ne saurait être considéré comme le seul responsable d’une situation qui a été créée par ceux qui l’ont précédés, et qui, eux, n’ont pas craint de se placer au premier rang de la manifestation de dimanche dernier.

QOSHE - Naufrage des rencontres de Saint-Denis : ce mal causé méthodiquement par Emmanuel Macron à la démocratie française - Christophe Boutin
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Naufrage des rencontres de Saint-Denis : ce mal causé méthodiquement par Emmanuel Macron à la démocratie française

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16.11.2023

Atlantico : Les rencontres de Saint-Denis n'ont pas la côte. Après les chefs de file du PS et de LFI, Éric Ciotti, le président des LR, annonce lui aussi qu'il ne participera pas à ce rendez-vous initié par Emmanuel Macron. Pourquoi ce boycott ? Est-ce la méthode Macron qui pose problème ?

Christophe Boutin : Le président Macron a choisi ce format très particulier, qui consiste à accueillir les différents chefs de partis dans un lieu qui n’est pas l’Élysée, et il a retenu pour cela un lieu doublement symbolique, à Saint Denis, non loin de la nécropole de nos rois, et à la maison de la Légion d'honneur. Cette « initiative politique de grande ampleur » se voulait le point nodal de la rentrée 2023, mais l’absence annoncée des dirigeants de partis d’opposition de gauche (LFI, PS) ou de droite (LR) pose certes une série de questions politiques.

S’agit d’abord d’un échec de la méthode d’Emmanuel Macron ? La chose peut être discutée. Il y a en effet très régulièrement dans la vie politique d’un pays des moments où les représentants du pouvoir éprouvent le besoin d’élargir le débat, de ne plus se limiter aux seuls membres de leur majorité, et de discuter avec les représentants de l’ensemble des formations politiques du pays. Ce qui peut surprendre, c’est que c’est généralement le rôle dévolu au chef de Gouvernement, qui reçoit à Matignon ces représentants, par exemple à l’occasion de débats sur des projets de loi importants, ou après un événement qui a pu troubler la vie politique.

Ici cependant, Emmanuel Macron peut penser qu’il a une certaine légitimité à prendre sa place à Élisabeth Borne, à partir du moment il veut évoquer avec les chefs de partis les réformes constitutionnelles importantes qu’il a prévues, réformes qui sont bien du niveau du président de la République, qui ont été annoncées d’ailleurs dès le début de son premier quinquennat. Des réformes sur lesquelles il n’a pour l’instant pas réussi à avancer, en partie au moins parce qu’il n’a pas pu trouver la majorité parlementaire nécessaire à leur adoption – comme il y a ici révision constitutionnelle, il faut en effet la majorité des trois cinquièmes au Congrès, mais aussi un vote préalable en termes identiques de l’Assemblée nationale et du Sénat, ce qui donne à ce dernier, chambre où l’opposition est majoritaire, une sorte de droit de veto.

Quant au pourquoi du boycott, il relève d’un certain nombre d’éléments. Il y a en partie au moins la conséquence de la tension que connaît actuellement notre vie politique. Il y a ensuite des doutes sur les réelles capacités d’écoute........

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