Atlantico : Maud Bregeon, porte-parole de Renaissance et députée de la majorité, a confirmé sur France 2 que le gouvernement souhaitait prendre quelques semaines pour discuter avec les agriculteurs de la mise en œuvre du plan EcoPhyto. Est-ce que cette déclaration ne suggère pas que toutes les promesses envers les agriculteurs n’étaient que de la poudre aux yeux ? Qu’est-ce que cela nous dit de la nature du macronisme ?

Christophe Boutin : Il y aurait beaucoup à dire sur le fameux plan EcoPhyto, qui est au cœur d’une partie au moins du débat, et dont on rappellera quelques points pour comprendre la situation. Ce plan est né de la constatation scientifique que le taux de pesticides utilisés en France, dans l’agriculture mais aussi dans le jardinage, public ou privé, avait des conséquences directes sur la qualité des eaux, la biodiversité, et, potentiellement, sur la santé humaine. L’idée, lancée en 2007, a donc été celle de réduire leur impact, en France mais aussi dans l’Union européenne avec une directive de 2009. Disons-le tout de suite, ce plan a été un échec - la diminution annoncée n’a pas eu lieu -, et il est régulièrement réévalué.

Ce plan de réduction des pesticides ne déplaît pas à une partie des agriculteurs, petits ou moyens, pleinement d’accord sur la question, mais plus aux grands producteurs de l’agriculture productiviste. Ces derniers se plaignent en effet, et à juste titre, de la concurrence déloyale de produits venant de régions du monde dans lesquelles il n’y a pas les mêmes limitations de pesticides, ce qui peut conduire à des volumes de production plus importants et donc à des coûts de vente inférieurs.

Les choses sont encore plus complexes quand se pose la question de l’indicateur utilisé pour mesurer l’évolution de l’usage des pesticides, parce que ces produits chimiques évoluent dans le temps et que leurs concepteurs arrivent, en en renforçant les effets, aux mêmes avantages dans un volume moindre. La seule question du tonnage est donc secondaire, et l’on a actuellement deux types d’indicateurs, l’indicateur dit de fréquence des traitements et un indicateur qu’on appelle l’indicateur de nombre de doses unités (le NODU), contesté par une partie des agriculteurs.

C’est donc dans ce contexte qu’il faut replacer ce que vient de dire la porte-parole de Renaissance. Poudre aux yeux ? Mais a-t-on bien annoncé la fin pure et simple d’EcoPhyto ? Pouvait-on d’ailleurs, devant quelque chose d’aussi complexe, avec des intérêts différents en jeu - y compris au sein des agriculteurs, mais il faut aussi tenir compte d’autres groupes de pression -, des règlementations nationales et européennes, donner une telle réponse en une semaine, ou même en quinze jours ? Sans doute pas. La solution retenue semble donc être de discuter avec les représentants des agriculteurs pour savoir comment pourra être maintenu - ou pas - le plan EcoPhyto, et comment le faire – ou pas - évoluer. En ce sens, il y a dans cette démarche une part de pragmatisme dont on ne peut que se féliciter.

Ce que l’on peut craindre, par contre, si l’on fait référence au macronisme et à ce que l’on a pu constater face à d’autres types de conflits, c’est que les débats qui suivront, les discussions qui vont avoir lieu, pourraient bien servir uniquement au gouvernement à expliquer sa position aux agriculteurs, sans réellement tenter de prendre en compte leur revendications.

Jean-Christophe Bureau : Certaines promesses ont eu des conséquences immédiates. C'est en particulier le cas des aides. Les "concours publics" (terme officiel qui mesure les subventions aux agriculteurs français financées par le contribuable français et européens) qui avaient atteint le montant record de 16.1 milliards d'euros en 2022 vont sans doute être accrues. Il faut comprendre que si l'on divise ce chiffre par le nombre d'exploitations agricoles en France (390 000 mais dont un quart de micro-exploitations pas réellement professionnelles) on dépasse les 40 000 euros de subventions en moyenne. Cela fait déjà des agriculteurs des fonctionnaires de fait. D'autres "promesses" sont moins crédibles. Il est possible que la France réussisse a à bloquer un accord avec le Mercosur en réunissant une minorité de blocage au sein du Conseil. Mais on voit mal l'Union européenne adopter une loi Egalim, même si la France peut obtenir quelques dérogations supplémentaires au droit de la concurrence pour les organisations de producteurs agricoles. Certains engagements sont difficilement tenables sur la simplification administrative, en tout cas à court terme.

Le plan Ecophyto n'a jamais eu de conséquences très concrètes pour les agriculteurs, à part des obligations de formation, de construire des locaux techniques fermés pour leurs produits toxiques et de contrôle de leurs pulvérisateurs. Ils n'ont jamais réellement dû réduire leur utilisation de pesticides. La suspension permet de réduire la paperasse, mais envoie surtout le signal que le gouvernement renonce à des ambitions environnementales. C'est surtout une victoire morale pour la FNSEA et la Coordination rurale.

Alexandre Baumann : Au contraire, le gouvernement aurait dû commencer par là. Si les initiateurs du plan avaient discuté avec les agriculteurs, ils auraient mieux compris les enjeux auxquels ces derniers font face, ce qu'ils peuvent améliorer et comment les y aider. Jusque-là, on a surtout eu une écologie contre les agriculteurs, propulsée par un écosystème basé sur la désinformation et la manipulation. Il serait souhaitable que le gouvernement s'empare du sujet autrement que pour faire des compromis avec les pseudo-écologistes.

Dans quelle mesure le macronisme a tendance à revenir sur les promesses passées (sur la crise des Gilets jaunes, pour les soignants, sur les retraites) ? Comment procède-t-il pour calmer les ardeurs lors des contestations sociales ? Quel effet politique cela produit-il ?

Christophe Boutin : La macronie n’a pas plus tendance à revenir sur ses promesses que les autres familles politiques qui ont conduit depuis des décennies la France dans la situation dans laquelle elle est. On connaît la grande formule selon laquelle « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent » (ou « qui y croient », selon les versions). Elle ne date pas d’Emmanuel Macron, mais de Jacques Chirac, spécialiste du genre. En revanche, face à une contestation sociale, le macronisme a effectivement une série de moyens qu’il emploie de manière très régulière.

Premier moyen, tenter de discréditer le mouvement dans l’opinion publique, comme cela a été fait de manière particulièrement réussie avec le mouvement des Gilets jaunes en permettant aux casseurs d’extrême gauche d’infiltrer leurs manifestations. Cela permet, lorsque le discrédit est assez important, d’engager un second moyen, une répression, sans faille. Elle a été, pour reprendre cet épisode des Gilets jaunes, d’une violence que l’on n’avait jamais connue en temps de paix en France depuis bien, longtemps, avec un nombre de blessés graves, stupéfiant. De manière moindre, les manifestations des soignants, souvenez-vous, ont aussi été traitées sans excessif ménagement.

Lorsqu’il n’arrive pas à discréditer le mouvement, ou après, pour en éteindre les dernières braises, le macronisme engage ensuite, sans se presser, jouant sur le temps, une phase dite « de dialogue », mais qui est en fait toujours une phase de monologue. Le meilleur exemple en a été donné dans ce que l’on a appelé le « Grand débat », one man show d’Emmanuel Macron allant dans toute la France porter la bonne parole - ou plutôt sa bonne parole. Car dans le monde macroniste, celui du « cercle de la raison », on ne peut pas avoir tort, et si les gens se révoltent contre les mesures que l’on prend c’est uniquement parce qu’ils n’ont pas compris tout leur intérêt. On assiste donc à de longues heures de discours pseudo-pédagogiques sans que jamais ne soit vraiment remis en question le bien fondé du choix initial ou que l’on tente de vrai compromis avec les interlocuteurs.

Lorsque la pédagogie ne suffit pas, que l’opinion publique a pitié des manifestants, le macronie utilise enfin l’ultime parade : le chèque. Non pas des mesures qui changeraient les choses en profondeur et offriraient plus de liberté aux victimes de ses choix, mais des aides ponctuelles. S’ils creusent un peu plus un déficit déjà abyssal, ces chèques (énergie, réparation, rentrée, voiture, isolation, chaudière…) ont l’avantage de pouvoir être arrêtés d’un moment à l’autre. On maintient ainsi la tête juste hors de l’eau ces Français qui doivent continuer à pouvoir consommer, on les assujettit un peu plus en les faisant vivre dans la peur permanente de se noyer s’ils sont privés de cette aide, sans régler le moins du monde au fond la question qui a conduit à leur soulèvement.

En quoi la stratégie du macronisme tend-elle à dévitaliser la démocratie ?

Christophe Boutin : J’aurais parfois envie de retourner la question en me demandant, non pas si le macronisme dévitalise la démocratie, mais si une démocratie dévitalisée ne produit pas le macronisme. S’il n’apparaît pas au moment où les gens abandonnent, ne croient plus en la démocratie, en leurs élus, en leur pays, et se replient petit à petit sur leur sphère privée. À ce moment-là en effet, un pouvoir hors-sol peut plus facilement imposer ses vues, et le macronisme serait un symptôme d’anomie politique, de perte du sens de l’intérêt commun dans une société déstructurée d’où la philia, l’amitié qui unit les membres de la Cité, a disparue.

Quant à savoir si ses méthodes vont revitaliser la démocratie, il est permis d’en douter quand elles consistent parfois à créer une démocratie parallèle avec un peuple de substitution. C’est le cas avec ces « conférences citoyennes » censés donner l’avis des Français - et même des Français éclairés, l’ayant été par les exposés d’experts ! Que les experts soient univoques, le panel des Français choisis trié avec soin, les jeux déjà faits sont autant d’éléments bien peu démocratiques.

Les éléments classiques de la démocratie ? Indirecte elle passe par un parlement où siègent les représentants du peuple, élus et non nommés, et élus pour débattre, ce qui semble bien difficile de nos jours. Directe, elle suppose de redonner la parole au peuple par le biais du référendum. D’un référendum dont Emmanuel Macron aura beaucoup parlé, mais qu’il ne semble guère décidé à employer, pas même, on le voit bien avec le remplacement de la proposition de loi par un projet de loi, pour la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse.

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Colère des agriculteurs : et déjà, la majorité suggère un retour sur les promesses faites

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06.02.2024

Atlantico : Maud Bregeon, porte-parole de Renaissance et députée de la majorité, a confirmé sur France 2 que le gouvernement souhaitait prendre quelques semaines pour discuter avec les agriculteurs de la mise en œuvre du plan EcoPhyto. Est-ce que cette déclaration ne suggère pas que toutes les promesses envers les agriculteurs n’étaient que de la poudre aux yeux ? Qu’est-ce que cela nous dit de la nature du macronisme ?

Christophe Boutin : Il y aurait beaucoup à dire sur le fameux plan EcoPhyto, qui est au cœur d’une partie au moins du débat, et dont on rappellera quelques points pour comprendre la situation. Ce plan est né de la constatation scientifique que le taux de pesticides utilisés en France, dans l’agriculture mais aussi dans le jardinage, public ou privé, avait des conséquences directes sur la qualité des eaux, la biodiversité, et, potentiellement, sur la santé humaine. L’idée, lancée en 2007, a donc été celle de réduire leur impact, en France mais aussi dans l’Union européenne avec une directive de 2009. Disons-le tout de suite, ce plan a été un échec - la diminution annoncée n’a pas eu lieu -, et il est régulièrement réévalué.

Ce plan de réduction des pesticides ne déplaît pas à une partie des agriculteurs, petits ou moyens, pleinement d’accord sur la question, mais plus aux grands producteurs de l’agriculture productiviste. Ces derniers se plaignent en effet, et à juste titre, de la concurrence déloyale de produits venant de régions du monde dans lesquelles il n’y a pas les mêmes limitations de pesticides, ce qui peut conduire à des volumes de production plus importants et donc à des coûts de vente inférieurs.

Les choses sont encore plus complexes quand se pose la question de l’indicateur utilisé pour mesurer l’évolution de l’usage des pesticides, parce que ces produits chimiques évoluent dans le temps et que leurs concepteurs arrivent, en en renforçant les effets, aux mêmes avantages dans un volume moindre. La seule question du tonnage est donc secondaire, et l’on a actuellement deux types d’indicateurs, l’indicateur dit de fréquence des traitements et un indicateur qu’on appelle l’indicateur de nombre de doses unités (le NODU), contesté par une partie des agriculteurs.

C’est donc dans ce contexte qu’il faut replacer ce que vient de dire la porte-parole de Renaissance. Poudre aux yeux ? Mais a-t-on bien annoncé la fin pure et simple d’EcoPhyto ? Pouvait-on d’ailleurs, devant quelque chose d’aussi complexe, avec des intérêts différents en jeu - y compris au sein des agriculteurs, mais il faut aussi tenir compte d’autres groupes de pression -, des règlementations nationales........

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