« La dimension physique de l’amour est ce qu’il y a de plus important dans nos vies », affirme Pascal Quignard dans son nouvel essai : Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour, sorte de version 2024 de cette bible des amoureux que fut « De l’Amour » de Stendhal. Le nouvel ouvrage de Quignard, publié demain, va faire sensation. Quignard explore entre autres, longuement et avec un brio et une érudition déliée, élégante, qui n’appartiennent qu’à lui, les émotions et affects du plaisir des amants dans la passion. C’est beau. « Le retour de l’autre corps, animal, entièrement dépouillé de ses vêtements, nu comme jadis dans le ventre de sa mère, tout à coup apparaissant à l’intérieur du réèl, dans l’ombre de la chambre, est peut être la seule grande chose bouleversante qui vaille dans les jours.Ce réèl maudit est la merveille même » (page 13/Pascal Quignard « Complément à la théorie sexuelle et sur l’amour »). Une lecture essentielle. A offrir à l’Autre et à soi-même. Si peu ou pas d’Autre ces derniers temps, lire ce Quignard 2024 toutes affaires cessantes, et, dans sa vie, changer tout : « De même que le désir désordonne l’état du corps- de même qu’il transforme son apparence, qu’il chaotise ses volumes, sa chaleur, ses odeurs, ses couleurs-de même l’amour désintègre l’âme. » ( P.163)

Pascal Quignard est l’un de nos meilleurs écrivains, voire le meilleur. Il est cet auteur magnifique d’une oeuvre immense ( voir nos « repères » ci-dessous)- écrivain si doué, qu’il incarne à lui seul notre littérature. Et qu’est- ce au juste que la littérature ? Cet art capable d’exprimer ce que les autres formes d’ arts ne sauraient évoquer.L’émotion créée par le « chaos sexuel », par exemple.Nous sommes en général avares de confidences à ce sujet ; le plaisir est rarement exprimé, pas seulement par pudeur, mais parce que ces instants de notre plus grande humanité sont au-delà du langage, et qu’il existe en chacun d’entre nous une impossibilité à mettre en mots ce bouleversement, logeant à la fois dans le conscient et l’inconscient, même aujourd’hui quand tout se montre et se dit. L’évocation de ce que Freud, Lacan et la psychanalyse en général nomment « la scène primitive » ( l’instant de notre conception), revient souvent chez Pascal Quignard : une forme de fidélité à ce fantasme qui, sans doute, structura son imaginaire, animant toute son œuvre, thank God !

Dans « Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour » Pascal Quignard utilise son art - la littérature,donc- pour explorer la grandeur sublime de nos instants -humains trop humains -d’« animalité ».Face aux censeurs et puritains américains, Quignard se fâche. «Or, il est possible que la seule féérie qui règne de manière tyrannique au fond de la psyché soit la pornographie la plus crue,la moins sublimée, la plus animale, la plus indomesticable, la plus fière, la plus sincère, la plus indemme, la plus sainte, la plus pure. » Une colère magnifique (page 17) et salutaire par les temps qui courent, quand le puritanisme règne partout car il accompagne souvent les crises économiques.En son scaphandre l’explorateur de notre psyché désirante nous alerte : « l’étreinte voluptueuse ne se socialisera jamais. » C’est pourquoi le Quignard de « Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour » nous ravit. Personne avant lui n’était parvenu à exprimer avec tant de force et de délicatesse l’émotion sexuelle et la dimension physique de l’amour -passion. Nous lisons, stupéfaits, tout ce que nos esprits et nos corps savaient, mais qu’aucun auteur à ce jour n’avait su exprimer aussi sauvagement. Pascal Quignard utilise son art pour aller plus loin, plus fort que ses aînés Rimbaud, Baudelaire, Bataille,Blanchot et tant d’autres poètes et philosophes inspirés.La chair ici n’est jamais triste pour peu que l’on s’aime entrer adultes consentants. Quignard pense le plaisir des amants en connaisseur, et nous sommes terrassés, vaincus par la saveur des mots, la force de l’idée : la littérature est précisément cet art – le seul avec la musique –science que Quignard cultive aussi - susceptible de chuchoter en nous l’essentiel de nos vies, le sel de nos existences parfois asservies. Que serait la littérature si elle ne pouvait dire à ce point l’émotion suprême, la cernant avec tant de précision, de subtilité, de force aussi, peinture de l’instant sacré, musique de l’âme enivrée ? On se souvient des grands auteurs, on songe aux meilleurs livres qui nous ont fait appréhender ce que nous éprouvions sans pouvoir le nommer et que toute littérature véritable murmure en nous tout à coup, ouvrant grand les rideaux,déchirant les voiles, et nous révélant par les mots de ce grand auteur qu’est Pascal Quignard- écrivain divin forcément un peu devin-qui sait des pans entiers de notre vie.

C’est cela la littérature, et -Dieu merci-, c’est Pascal Quignard aussi « L’amour fait changer de maison. » (« Vie Secrète »/Pascal Quignard,1998 Gallimard/prix France Culture page 382) «L’amour cherche la nouvelle demeure, dans le sexe de l’aimée, dans son corps et dans son âme, ou encore dans le souvenir ou dans l’oubli. Le lieude l’amour peut être omniprésent, à la fois partout et nulle part puisqu’il n’est pas localisable. Ce lieu n’a pas d’autre définition que celle du refus de tout intermédiaire, il est un espace où deux âmes se rencontrent et résonnent directement. « L’amour, c’est âme contre âme. » (VS, 255) C’est en ce sens que la lecture ou la musique peuvent participer aussi à l’acte d’amour27. Le contact des deux corps (ou deux âmes) fait lever un continent vierge et éclaire les amants d’une lumière mystérieuse, comme le fœtus qui découvre pour la première fois la lumière du monde. »

À la fin de sa recherche sur l’amour 2024 Pascal Quignard revient à son prédécesseur Stendhal « dont la fascination pour la beauté de l’amour l’a poussé à rédiger De l’amour. Néanmoins, notre écrivain préfère parler de la beauté des amoureux – à la différence de Stendhal qui parlait de la beauté de la femme, beauté quel’amoureux lui confère grâce à la cristallisation – éclairés du clair de Terre, signe annonciateur d’un autre monde. « L’amour fait changer de maison. » (VieSecrète,page 382) « L’amour, c’est âme contre âme. » (VS, 255) C’est en ce sens que la lecture ou la musique peuvent participer aussi à l’acte d’amour27. Le contact des deux corps (ou deux âmes) fait lever un continent vierge et éclaire les amants d’une lumière mystérieuse »(Midori Ogawa, « Vie secrète : de l’origine de l’amour », Littératures, 69 | 2013, 13-25.)

Avec ce texte magique et courageux car à contre-courant, Quignard nous dit ce que personne ne nous a révélé avec tant de pudeur et d’audace : « L’étreinte voluptueuse ne se socialisera jamais »

La littérature est cet art qui exalte ce que les autres formes artistiques ne peuvent exprimer. L’on sait que l’on est dans la littérature lorsque tout devient possible par la singularité d’un style , la force d’une voix. Celle de Pascal Quignard domine toutes les autres. L’auteur a de la délicatesse et une mythologie.Dans « Vie secrète » (Gallimard 1998/Folio) -fable illustrant les révolutions créées en chacun d’entre nous et chez le narrateur par le sentiment amoureux- ,Quignard fondait une suite romanesque à l’essai -devenu un classique- de Roland Barthes : « Fragments d’un discours amoureux », (1977/Point/Seuil). Existe-t-il en effet dans l’existence de tout un chacun un moment plus important, plus déterminant que celui du désir accompli dans la passion ? Cette « animalité » des humains dans l’amour réciproque, non seulement Pascal Quignard n’en a-t-il pas honte, mais il la revendique, la loue, que dis-je la vénère : « Tout ce qui cherche à nous hisser au dessus de notre animalité est suspect.(P.25) » Ou encore ceci : « L’amour est l’unique relation sans tiers entre deux corps qui sont de plus en plus « autres » tandis que le désir les transforme au fur et à mesure qu’ils se dévisagent dans leur inappariable et coriace nudité » (P.25) Il n’est pas anecdotique que deux écrivains aussi importants que Roland Barthes et Pascal Quignard sur le devant de la scène française « contemporaine » aient à ce point réussi à penser -donc à exprimer par leur littérature- ce qui constitue le socle de nos vies autant que notre culture française et ses variations : la passion charnelle qu’implique toute réciprocité amoureuse.Elle est pour Quignard comme elle le fut pour Barthes l’instant le plus important que nous puissions vivre .« A la lumière de la différence sexuelle s’animent le sauvage, l’archaïque. Lors du dévoilement des deux sexes,s’adresse peutêtre, en effet, la métamorphosante,la bouleversante, l’irrémédiable féralité* de notre destin (*ensauvagé,ensauvagment.)

LA lecture qui s’impose pour ouvrir le bal de la rentrée d’hiver.

Annick GEILLE

4)Repères Pascal Quignard

(source EVENE)

« Après des études de philosophie, Pascal Quignard entre aux éditions Gallimard où il occupe les fonctions successives de lecteur, membre du comité de lecture et secrétaire général pour le développement éditorial. Il enseigne ensuite à l'Université de Vincennes et à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Pascal Quignard a fondé avec le président François Mitterrand le festival d'opéra et de théâtre baroque de Versailles qu'il dirige de 1990 à 1994. Il a également présidé le Concert des Nations aux côtés de Jordi Savall. Par la suite, il démissionne de toutes ses fonctions pour se consacrer à son travail d'écrivain ».


Biographie ( source Evène)

« Pascal Quignard naît dans une famille de grammairiens et d’organistes. Son père est proviseur, sa mère principal de collège. Son grand-père maternel est le grammairien Charles Bruneau. Il grandit au Havre. Son enfance est difficile la plupart du temps. Il souffre notamment d'anorexie. Ses intérêts le portent vers les langues et les littératures anciennes ainsi que la musique. Il s'essaie au piano, à l'orgue, au violoncelle, au violon et à l'alto.

Il suit des études de philosophie à Nanterre, de 1966 à 1968, où il est condisciple de Daniel Cohn-Bendit. Parmi ses professeurs : Emmanuel Levinas et Paul Ricœur. Il s'apprête à entamer une thèse sous la direction de Levinas, mais Mai 68 contrarie cette voie : la pensée a « vêtu un uniforme qui ne [lui] convient plus » et il s’éloigne de la philosophie. C’est dans ce contexte qu’il travaille à ses premiers livres, et retrouve l'orgue familial d'Ancenis. Il est aussi libraire bouquiniste.

Son premier livre est un essai, consacré à Leopold von Sacher-Masoch (L'Être du balbutiement), qui lui vaut d'être remarqué par Louis-René des Forêts chez Gallimard. Ce dernier l'invite à collaborer à la revue L'Éphémère, qui rassemble notamment Yves Bonnefoy, André du Bouchet, ou encore Philippe Jaccottet, Michel Leiris.

Publié en 1969 au Mercure de France, Quignard devient parallèlement lecteur dans cette maison et chez Gallimard. Il entrera au comité de lecture de ces éditions en 1976. Il publie plusieurs essais, sur Maurice Scève, Lycophron et Michel Deguy, un premier roman en 1976, Le lecteur, considéré par certains comme largement inspiré de la pensée de Maurice Blanchot, puis un deuxième, Carus, qui reçoit le prix des Critiques en 1980.

Il publie alors, parallèlement à son œuvre chez Gallimard, divers textes pour de petits éditeurs, comme Le Collet de Buffle, Orange Export Ltd, Clivages, Éditions de l'Amitié, Claude Blaiozot, Chandeigne, Patrice Trigano, puis chez des éditeurs plus importants comme Fata Morgana, P.O.L., ou Flohic, par exemple.

Il publie deux romans chez Gallimard en 1986 (Le Salon du Wurtenberg) et 1989 (Les Escaliers de Chambord) qui le font connaître du grand public. Il devient alors secrétaire général pour le développement éditorial chez Gallimard.

La publication des huit volumes des Petits Traités aux éditions Maeght en 1990, réédités dans la collection Folio en 1991, dévoile l'étendue de ses lectures. Cette même année, il écrit le roman Tous les matins du monde, qui sera adapté au cinéma par Alain Corneau (Tous les matins du monde avec Jean-Pierre Marielle et Gérard Depardieu), et dont il cosigne le scénario. Cette œuvre assoit la réputation de Quignard comme l’un des auteurs importants de l'époque. Elle suscite de plus l'attrait du public pour la musique de Marin Marais et celle de Sainte-Colombe.

Ce lien entre musique et littérature est très palpable dans les fonctions de Quignard, qui est président du Festival international d’opéra et de théâtre baroques au château de Versailles, qu’il a créé sous la houlette de François Mitterrand. Il préside également le Concert des Nations aux côtés de Jordi Savall entre 1990 et 1993.

En1994, année de fécondité littéraire exceptionnelle, paraît Le Sexe et l'effroi qui marque une rupture dans la vie et l'œuvre de Quignard. L'écrivain renonce brutalement à toute position dans l’édition. Il démissionne des éditions, puis abandonne toute carrière musicale. Il se consacre exclusivement à la littérature.

À la suite d'un accident cardiaque, Quignard est hospitalisé d'urgence en 1997. Cette expérience lui inspire Vie secrète, qui mêle la fiction, la théorie, le rêve, le conte, le journal intime, le roman, la poésie, le traité, l'essai, le fragment, l'aphorisme. Cette nouvelle forme littéraire, héritée à la fois des Tablettes de buis..., des Petits traités, de Rhétorique spéculative, oriente alors de manière décisive son œuvre Il écrit encore des romans (Terrasse à Rome, qui reçoit le Grand Prix du roman de l'Académie française en 2000, Villa Amalia en 2006), mais il déclare avec insistance ne plus vouloir écrire que les différents volumes (peut-être vingt ou trente) de Dernier Royaume, qui regroupe, recense, résume et recoupe tous les thèmes de son œuvre. Les trois premiers volumes sont publiés en 2002, deux autres suivent en 2005. Le premier volume reçoit le prix Goncourt ;

En 2005-2006, Quignard réédite chez Galilée l'ensemble des textes rares ou introuvables de son œuvre, dans leur version revue, augmentée et définitive, agrémentée de quelques inédits. Villa Amalia, roman, met en scène un personnage habité par le vœu de tout quitter, de ne plus être soi et d'aller se découvrir ailleurs. C'est aussi un retour à la musique, après la Haine de la musique Benoît Jacquot adaptera le roman au cinéma. »

Extraits inédits

« L’énigme, c’est soi.

Et « soi » ne désigne que ce corps qui tombe soudain de la mère dans un cri en même temps que l’enveloppe vide, qui tombe en silence à ses côtés.
Le « soi » n’a pas plus de sens que ce corps qui tombe dans le souffle ( la psyche, la phoné) que cette poche dépeuplée, exsangue, dans la lumière. ( l’ensoleillement stellaire).

Nous tombons de plus vieux que nous.Nous sommes naufragés d’une mer plus ancienne. D’une thalassa qui s’est retirée et qui brusquement nous délaisse sur terre.L’énigme la plus étrange de notre destin est peut-être celle d’un sexe XY qui tombe d’un sexe XX. Le noyau de la différence sexuelle se lit dans la différence des générations.L’instant natal définit ce ressac de mort qui suffoque, qui néanmoins le plus souvent revit au terme de la suffocation quand elle parvient à franchir et pour peu que la pulmonation s’instaure et peu à peu ronfle, hurle, appelle ou bien semble appeler quelque chose d’aïeul. Un contenu tombe d’un contenant qui s’élargit, qui s’ouvre, qui se referme qui s’éloigne dans l’espace.

C’est pourquoi vivre-lire-écrire-aimer ne forment plus qu’un seul bloc , douloureux, merveilleux, sans raison, mais insufflé, inspiré, animé, s’élançant. »

« Les signifiants énigmatiques sont transmis par tout ce qui nous entoure de façon inconsciente.

D’abord par le lieu.

C’est sublime chez les oiseaux : ce sont leurs cris qui les implantent dans le milieu où ils édifient leurs nids. C’est incroyable chez les animaux : particulièrement les félins qui concentrent les sites. Les vocalisations constituent l’écholocation spatiale. Les cris, les échos,les chants explorent à distance. On découvre au premier coup d’œil les chats hétérocentrés dans le site natal. On repère vite les scènes traumatiques où leurs sauts hésitent, où leurs pattes trébuchent.

Il y a quelqu’un d’autre dans chacun qui poursuit son chant, qui est bien plus que le langage articulé ».

« Qu’est ce que désirer puis jouir ?

Opisthotonie si déroutante, si cadavérique- des femmes, des hommes, au plus fort de leur désir, au plus fort de leur hystérie merveilleuse, à l’ultime instant qui précède le plaisir. Le plaisir étant ce qui échappe au désir. La jouissance qui s’approche porte, sur le visage de la femme, sur la face de l’homme, à l’instant où leur désir se fait extrême, un curieux masque de souffrance.

En se désirant ils cessent d’être seuls. En s’unissant ils cessent d’être l’un et l’autre. En jouissant ils s’engloutissent, ils sont malmenés par les vagues où ils ont roulé, l’un agrippé à l’autre, l’autre encrantée à lui, suivant d’étranges secousses, soumis à d’étranges saccades. Dans leurs joies il leur semble mourir. Soudain ils sont rejetés et échouent dans une sorte de réèl, sur un sorte de rive, et ils sont de nouveau tout seuls, tout nus, quand ils échouent : ils sont soudain aussi seuls que quand ils naissent. Ils sont de nouveau tellement seuls quand ils ont joui : ils se traînent seuls sur le sable, sur le drap. Pauvre algue noire. Pauvre salamandre primitive. Pauvre limace d’or, pauvre sillage de sable et d’eau. Le langage peu à peu se rétablit. Les mots sortent des blessures des lèvres. Leur conscience se restaure, l’âme blèse comme celle des bébés, balbutie comme celle des nourrissons, marmotte comme les marmots, papote par malheur, reproduisant le discours de tous et l’anxiété renouvelée d’un corps désemparé et indigent et nu devant lesregards. Le moi est réapparu. Les sexes se sont détachés. L’un se résorbe. L’autre se recroqueville. Ils sont de nouveau humiliés, naufragés, de nouveau abandonnés, de nouveau sans secours : ils sont même plus seuls dans l’ombre de leur bonheur qu’il ne pensaient souffrir de l’être en s’enlaçant.

L’entente au quart de tour s’est dissoute.

La fusion qui commençait à s’instaurer s’est épanchée dans le drap, s’est déversée dans la poussière, dans la couverture, dans le sable. Dans les fissures. Dans les saisons. L’extraordinaire complicité qu’il y avait entre eux se refragmente sur le champs.»(page140)

« Cette extraordinaire ouverture charnelle de la surface d’un corps à son autre se double d’un encore plus étrange transport psychique proche de l’endosymbiose ( la capacité d’une cellule d’assimiler un corps étranger en son sein).

La réside en partie le secret du transfert ».

« Ce qui vous touche est le secret véritable.

Le touchant, le mot touchant, voilà une expression que tout le monde comprend. Le chat lui-même se serre, se love, se cale dans les bras qui l’étreignent ou plutôt : en sorte qu’ils l’étreignent. Il cherche avec le front à obtenir l’étreinte. Cette affection n’est ni fœtale, ni coïtale. Tout âge ne comprend pas le coït. Mais tout âge roule dans la vague de la Thalassa perdue ».(page 151)

« Désirer donne l’assurance de ce qui est à venir.

Rêver donne le visage de celui qui vient.

En le désirant tout le corps, venant au devant de lui-même, montre qu’il s’y transporte.

Aimer rêve debout.

.

Les amants se donnent l’éternité dès l’instant où leurs doigts se touchent, où leurs serres se resserrent, où les rémiges de leurs ailes se joignent, ou leurs ombres s’absorbent. A chaque étreinte ils l’étreignent dans l’infini et ils meurent dans l’instant » (Page 179).

QOSHE - Pascal Quignard : « De l’amour 2024 » (« ce réel maudit est la merveille même ») - Annick Geille
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Pascal Quignard : « De l’amour 2024 » (« ce réel maudit est la merveille même »)

7 0
04.01.2024

« La dimension physique de l’amour est ce qu’il y a de plus important dans nos vies », affirme Pascal Quignard dans son nouvel essai : Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour, sorte de version 2024 de cette bible des amoureux que fut « De l’Amour » de Stendhal. Le nouvel ouvrage de Quignard, publié demain, va faire sensation. Quignard explore entre autres, longuement et avec un brio et une érudition déliée, élégante, qui n’appartiennent qu’à lui, les émotions et affects du plaisir des amants dans la passion. C’est beau. « Le retour de l’autre corps, animal, entièrement dépouillé de ses vêtements, nu comme jadis dans le ventre de sa mère, tout à coup apparaissant à l’intérieur du réèl, dans l’ombre de la chambre, est peut être la seule grande chose bouleversante qui vaille dans les jours.Ce réèl maudit est la merveille même » (page 13/Pascal Quignard « Complément à la théorie sexuelle et sur l’amour »). Une lecture essentielle. A offrir à l’Autre et à soi-même. Si peu ou pas d’Autre ces derniers temps, lire ce Quignard 2024 toutes affaires cessantes, et, dans sa vie, changer tout : « De même que le désir désordonne l’état du corps- de même qu’il transforme son apparence, qu’il chaotise ses volumes, sa chaleur, ses odeurs, ses couleurs-de même l’amour désintègre l’âme. » ( P.163)

Pascal Quignard est l’un de nos meilleurs écrivains, voire le meilleur. Il est cet auteur magnifique d’une oeuvre immense ( voir nos « repères » ci-dessous)- écrivain si doué, qu’il incarne à lui seul notre littérature. Et qu’est- ce au juste que la littérature ? Cet art capable d’exprimer ce que les autres formes d’ arts ne sauraient évoquer.L’émotion créée par le « chaos sexuel », par exemple.Nous sommes en général avares de confidences à ce sujet ; le plaisir est rarement exprimé, pas seulement par pudeur, mais parce que ces instants de notre plus grande humanité sont au-delà du langage, et qu’il existe en chacun d’entre nous une impossibilité à mettre en mots ce bouleversement, logeant à la fois dans le conscient et l’inconscient, même aujourd’hui quand tout se montre et se dit. L’évocation de ce que Freud, Lacan et la psychanalyse en général nomment « la scène primitive » ( l’instant de notre conception), revient souvent chez Pascal Quignard : une forme de fidélité à ce fantasme qui, sans doute, structura son imaginaire, animant toute son œuvre, thank God !

Dans « Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour » Pascal Quignard utilise son art - la littérature,donc- pour explorer la grandeur sublime de nos instants -humains trop humains -d’« animalité ».Face aux censeurs et puritains américains, Quignard se fâche. «Or, il est possible que la seule féérie qui règne de manière tyrannique au fond de la psyché soit la pornographie la plus crue,la moins sublimée, la plus animale, la plus indomesticable, la plus fière, la plus sincère, la plus indemme, la plus sainte, la plus pure. » Une colère magnifique (page 17) et salutaire par les temps qui courent, quand le puritanisme règne partout car il accompagne souvent les crises économiques.En son scaphandre l’explorateur de notre psyché désirante nous alerte : « l’étreinte voluptueuse ne se socialisera jamais. » C’est pourquoi le Quignard de « Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour » nous ravit. Personne avant lui n’était parvenu à exprimer avec tant de force et de délicatesse l’émotion sexuelle et la dimension physique de l’amour -passion. Nous lisons, stupéfaits, tout ce que nos esprits et nos corps savaient, mais qu’aucun auteur à ce jour n’avait su exprimer aussi sauvagement. Pascal Quignard utilise son art pour aller plus loin, plus fort que ses aînés Rimbaud, Baudelaire, Bataille,Blanchot et tant d’autres poètes et philosophes inspirés.La chair ici n’est jamais triste pour peu que l’on s’aime entrer adultes consentants. Quignard pense le plaisir des amants en connaisseur, et nous sommes terrassés, vaincus par la saveur des mots, la force de l’idée : la littérature est précisément cet art – le seul avec la musique –science que Quignard cultive aussi - susceptible de chuchoter en nous l’essentiel de nos vies, le sel de nos existences parfois asservies. Que serait la littérature si elle ne pouvait dire à ce point l’émotion suprême, la cernant avec tant de précision, de subtilité, de force aussi, peinture de l’instant sacré, musique de l’âme enivrée ? On se souvient des grands auteurs, on songe aux meilleurs livres qui nous ont fait appréhender ce que nous éprouvions sans pouvoir le nommer et que toute littérature véritable murmure en nous tout à coup, ouvrant grand les rideaux,déchirant les voiles, et nous révélant par les mots de ce grand auteur qu’est Pascal Quignard- écrivain divin forcément un peu devin-qui sait des pans entiers de notre vie.

C’est cela la littérature, et -Dieu merci-, c’est Pascal Quignard aussi « L’amour fait changer de maison. » (« Vie Secrète »/Pascal Quignard,1998 Gallimard/prix France Culture page 382) «L’amour cherche la nouvelle........

© atlantico


Get it on Google Play