Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de littérature 2008, publie demain « Identité nomade » ( Robert Laffont). « Je me souviens très bien des bombardements, ma mère, ma grand-mère, mon frère et moi vivions à Nice à cette époque-là. Mon père était médecin en Afrique. Nous étions séparés par la guerre » dit JMG Le Clézio, dès la première page. « Séparés par la guerre ». On retrouve l’écriture sobre et magnifique du Nobel 2008 qui nous donne d’emblée la clef du coffre de son moi intime et le pourquoi du comment de cette écriture limpide qui a su dominer toutes sortes de fractures existentielles pour mieux régner dans l’imaginaire contemporain. Séparés par la guerre, certes, et toute l’œuvre passée et à venir de l’auteur est marquée par cette plaie, cette douleur cuisante d’une séparation ontologique, marquant ses victimes à jamais : séparés par la guerre. Comment Le Clézio enfant a -t-il fait pour survivre ? En réunissant les nus et les morts, tous les séparés, les exilés par et pour la littérature, c’est-à-dire par son génie d’écrivain aux prises avec la rupture et la dispersion qui démolissent tout, en particulier la vie affective de sa famille, tribu fracassée à cause de la guerre et reconstruite par l’écriture du meilleur d’entre eux ; Jean-Marie Gustave Le CLéZIO (ce « GRAND BRETON ») nous fait comprendre sans le dire qu’il a pu reconstituer une tribu – la sienne - par la magie des mots, famille dispersée et même séparée par la guerre ( terrible dureté de cette formule), dont Le Clézio fait le portrait dans ce beau récit autobiographique ; cette réparation, cette réunion des « séparés par la guerre » ne fut pas simple et c’est ce que raconte le narrateur de « l’identité nomade » avec le tact que l’on sait à l’œuvre chez Le Clézio. Exemple : « Quand les conflits se sont terminés, nous avons fait un voyage vers le Nigeria au cours duquel j’ai rencontré mon père. (sublime ce « j’ai rencontré mon père »NDLR) . Cette vie de la guerre, je crois qu’elle m’a sensibilisé à tout ce qui peut se passer, parce qu’un enfant est une sorte d’éponge, il capture absolument tout ce qui se passe. J’écoutais les rumeurs, la première fois que j’ai entendu parler de la mort, c’est pendant la guerre, je devais avoir cinq ans, un de mes camarades de jeux un peu plus âgé – il devait avoir une douzaine d’années – a sauté en transportant un explosif. Il allait poser ces explosifs pour faire sauter les ponts afin que les Allemands ne progressent pas. C’est la première fois que j’ai su ce qu’était la mort, parce qu’autrement je n’avais pas la moindre idée de ce qu’elle signifiait. Les enfants qui vivent dans ces périodes-là sont particulièrement attentifs à tout ce qui peut se produire de bien et de mal » « Identité nomade » (Laffont) publié ce jour en France est un événement littéraire qui dépasse le cadre de la culture. Il s’agit pour l’auteur de nous faire cadeau du bonheur .Comment réunir les victimes de l’Histoire en train de se faire, ressusciter les morts, rapprocher les ancêtres et faire justice à tous les exilés? Par le voyage intérieur, c’est-à-dire l’art, en particulier la littérature.La famille et les proches ont le droit de revivre par la création du narrateur, qui devient une sorte de dieu aimant, rendant la vie aux identités dispersées, y compris la sienne, car si JMG Le Clézio est métissé par l’esprit et le sang des siens, il l’est surtout par son goût profond des identités plurielles, qu’il préfère légères et changeantes de sorte que l’on puisse toutes les épouser et/ou les quitter au fur et à mesure des voyages ou de sa propre évolution existentielle ; tel fit le mythique Joseph Conrad, qui avait le chic pour entendre battre en mer « le cœur des hommes simples qui, toutes leurs vies, traversent la solitude ». Quant aux témoins hier séparés par la guerre, et réunis sur le papier, ils ne peuvent exister avec tant de justesse -donc de vérité humaine- qu’en ayant pour fils, petit-fils ou ami-témoin, un nomade tel que le demeurera toujours Jean-Marie Gustave Le Clézio, Nobel 2008 qui nous offre avec ce récit un texte autobiographique puissant. « Je suis un homme qui a connu un autre monde, et j’essaye d’en rendre compte, non pas par nostalgie mais parce que je suis attaché à tout ce qui m’a créé, tout ce qui m’a formé. C’est peut-être un défaut propre aux écrivains, celui d’écrire sans cesse les mêmes choses, de remettre sans cesse en scène ce qui les hante et ce qui les a motivés. Mais la question de l’identité ne s’est pas vraiment posée pour moi parce que je suis né dans une situation très bizarre. Mes parents sont mauriciens donc africains, mais l’île Maurice est le plus petit pays de l’Union des États africains : on parle bien de la république de Maurice. À ma naissance, celle-ci n’existait pas, c’était une colonie britannique, je suis donc né britannique. C’est la raison pour laquelle je signe mes livres « JMG », en effet c’est ce qui est écrit sur mon passeport britannique : sur la couverture, on mettait les initiales du prénom et jamais le nom entier».

Un récit autobiographique centré sur la misère, les aléas géographiques ou économiques ; puis surviennent les retrouvailles et réunions que favorisent la pluralité des identités, la décrispation des opinions et la variété des lieux de vie, grâce aux ressources que procure à l’auteur-qui l’a choisie comme morale- cette « identité nomade». La clef de sa liberté. L’écriture incarne cette identité changeante : celle que revendique Le Clézio. Une souplesse du mental, la richesse de l’âme : vivre sans a priori ni définition. Etre imprévisible à soi-même ; se laisser surprendre, se laisser changer. Etre au fond, tout au fond de soi, un vagabond-né.

Ce récit autobiographique révèle les fondations de la psyché de cet artiste mystérieux et puissant qu’est l’auteur du « Procès -Verbal » et de « L’Africain ». Les identités plurielles impriment le droit et le devoir de s’accepter en sa propre diversité pour mieux comprendre celle des autres. Pas de bons sentiments, aucun diktat mais une leçon de d’amour donc de respect. Ecrire c’est forcément posséder une identité nomade puisque l’auteur est non seulement un être erratique, mais aussi quelqu’un qui osera toute sa vie franchir toutes sortes de frontières. « L’’écriture de Le Clézio se situe souvent en dehors des normes, des codes et des genres littéraires dominants : le choix des textes courts, nouvelles, histoires ou faits divers, montre que cette réalité s'exprime aussi entre les genres, entre la réalité et la fiction, dans les marges du roman, par exemple, lorsqu'il écrit en 1978 les « histoires » qui composent le recueil de Mondo « en marge »de L’inconnu sur la terre et de Désert. Cette alternance dynamique entre romans et textes courts est constante dans l’œuvre de JMG LE Clézio. » Joël Glaziou ( professeur de littérature à l’université d’Angers et romancier spécialiste de Le Clézio) « Ecrire est alors la possibilité pour Le Clézio de reproduire dans différentes situations ce mouvement auprès des lecteurs, de reproduire sa propre prise de conscience face aux tribus indiennes du Mexique qu’il a approchées. Le Clézio nous plonge dans des sociétés marginalisées par l’Histoire, que ce soit celles du colonialisme dans les pays d’Afrique ou d’Amérique du Sud ou celles du modernisme dans les pays européens. À la longue tradition littéraire des personnages marginaux, du picaro aux poètes maudits et aux victimes de la matière sociale du xixe siècle, Le Clézio ajoute la figure des errants exclus de la modernité. »

Sans oublier les embruns de l’Atlantique tels qu’aime à les respirer cet errant mauricien-africain-britannique ET Grand Breton qu’est Le Clézio. Nous pouvons tous vivre une identité plurielle unifiée par le courage d’être soi, révèle notre Nobel 2008, que nous lisons-une fois de plus- avec délectation.

« C’est cet esprit que j’aime à trouver chez les artistes d’aujourd’hui, comme à Marrakech, dans la création du collectif des Étoiles de Jamaa El Fna, ce sont au fond ces enfants, venus de la rue, qui répondent à la demande de la poésie, qui vont donner leur force à la poésie et à la littérature. La littérature, la poésie trouvent leur force dans ceux qui croient en elles. Si on n’y croit pas, la littérature n’a aucun pouvoir, et alors on retrouve la fameuse formule de Goering : « Quand on me parle de culture, je sors mon revolver. » S’il n’y a pas de culture, c’est la violence qui prend les armes. »

Quoiqu’il fasse ou dise, JMG Le Clezio est d’abord et avant tout une personnalité marquée par la Bretagne des origines, la Bretagne de toute sa famille.

La famille et les proches peuvent se retrouver enfin -et à jamais.Par la littérature, le narrateur devient une sorte de père-absolu, donnant la vie et réunissant les identités dispersées, y compris la sienne car si JMG Le Clezio est métissé par nature, il l’est surtout par son goût profond des identités plurielles. « On pourrait m’attribuer l’expression d’identité hybride même si l’expression me fait penser à un moteur de voiture. Je suis un composé de plusieurs identités. Ma famille est de lointaine origine bretonne, c’est pourquoi le nom que je porte est un nom breton, dans la langue bretonne. Un de mes ancêtres a fait la Révolution française, il était soldat révolutionnaire, il s’est battu à Valmy, et sur l’autre front, il y avait Goethe ». Quant aux témoins hier séparés par la guerre, et réunis par l’art, ils ne peuvent exister sur le papier, avec tant de justesse donc de vérité humaine qu’en ayant pour fils, petit-fils ou voisin-témoin un artiste à l « ’identité nomade »-voire hybride-façon Jean-Marie Gustave Le Clezio, qui nous offre, au moment où l’auteur médite son existence avec gaieté et le savoir moqueur de l’expérience, un récit autobiographique d’une perspicacité et d’une hauteur de vue exceptionnelles. A méditer non loin de celle ou de celui qui veille, sans la ou le quitter des yeux …

Annick GEILLE

`Repères/ Biographie JMG LE CLEZIO
« Né à : Nice , le 13/04/1940. De nationalités française et britannique, JMG Le CLEZIO est fortement imprégné par la culture mauricienne et bretonne de sa famille, (son nom signifie "les enclos" en breton), émigrée à l’Ile Maurice au 18e siècle. Son père était un Anglais, médecin de brousse en Afrique (en fait, un homme né à l’Ile Maurice d’origine bretonne), et sa mère une Française.
Après sa licence de lettres, il travaille à l’Université de Bristol et de Londres. Dans les années 70, il voyage au Mexique et au Panama où il vit plusieurs mois près des Indiens.

Il connaît le succès dès son premier roman, "Le Procès-verbal" (1963, prix Renaudot). Jusqu’au milieu des années 1970, son œuvre porte la marque des recherches formelles du Nouveau Roman.Par la suite, influencé par ses origines familiales, ses incessants voyages et son goût marqué pour les cultures amérindiennes, Le Clézio publie des romans qui réservent une large part à l’onirisme et au mythe: "Désert" (1980), Grand prix de littérature Paul-Morand, et "Le Chercheur d’or" (1985), ainsi que des livres à dominante autobiographique ou familiale ("L’Africain", 2004). Il est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages de fiction (romans, contes, nouvelles) et d’essais.Le prix Nobel de littérature lui est décerné en 2008.
Père de trois filles, il vit avec sa deuxième femme (depuis 1975), Jémia Jean, originaire du Maroc, à Albuquerque (Nouveau-Mexique, États-Unis) et en France.(Sources : Wikipedia/Babelio)

Un extrait inédit d’Identité nomade pour les lecteurs d’ATLANTICO :

DE L’AMOUR ET DES PLAFONDS

« Au long des années que j’ai vécues, j’ai écrit des petits contes comme ceux qui figurent dans le recueil Avers que j’ai publié récemment ; l’envie de donner vie à ces récits m’est venue grâce à un Marocain que j’ai connu en France parce que nous faisions refaire nos plafonds, or les Marocains savent faire des plafonds, c’est même une confrérie, celle des Naqshbandi, qui se consacre à faire des plafonds. Or ce monsieur vivait à Nice, sa famille était restée à Tata, une petite ville à la limite du désert. Il avait, lui, émigré de Tata, il y avait laissé tous les siens, et il venait travailler sur des chantiers. C’est ainsi que je l’ai rencontré. L’homme était d’une grande distinction, alors qu’il vivait dans des conditions très dures. J’en parle parce que cet homme, dans ses moments de liberté, pour manifester sa foi, faisait des plafonds ; c’était un homme très croyant, mais outre la religion, le seul élément qui l’animait, c’était l’amour qu’il éprouvait pour sa femme. Or à cette époque-là, une revue de l’Unesco concevait un numéro spécial dédié à l’amour, et on m’avait chargé de parler de l’amour en France. J’ai décidé d’évoquer cet homme qui était un émigré, ou plus précisément un immigrant en France, spécialisé dans les plafonds et qui, lorsqu’il rentrait chez lui, pensait à sa femme. Toute son existence était orientée vers sa femme qui s’appelait Houria, ce qui veut dire « liberté », et vers sa famille, ses enfants. Il ne vivait que pour cela. Les gens qui l’embauchaient igno- raient tout de cet aspect de sa vie, j’ai été vraiment très ému par cet homme qui était à la fois très simple et d’une grande éducation, d’une grande capacité de réflexion, tout en cultivant l’art de faire des plafonds. Il me semble que, si on considère l’idéal de la création poétique (de toute création, en fait), la perfection d’un plafond lisse, ou orné de stucs, a quelque chose en commun avec la pratique de la langue littéraire.

QOSHE - Jean-Marie Gustave Le Clézio ou le chercheur d’art - Annick Geille
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Jean-Marie Gustave Le Clézio ou le chercheur d’art

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11.01.2024

Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de littérature 2008, publie demain « Identité nomade » ( Robert Laffont). « Je me souviens très bien des bombardements, ma mère, ma grand-mère, mon frère et moi vivions à Nice à cette époque-là. Mon père était médecin en Afrique. Nous étions séparés par la guerre » dit JMG Le Clézio, dès la première page. « Séparés par la guerre ». On retrouve l’écriture sobre et magnifique du Nobel 2008 qui nous donne d’emblée la clef du coffre de son moi intime et le pourquoi du comment de cette écriture limpide qui a su dominer toutes sortes de fractures existentielles pour mieux régner dans l’imaginaire contemporain. Séparés par la guerre, certes, et toute l’œuvre passée et à venir de l’auteur est marquée par cette plaie, cette douleur cuisante d’une séparation ontologique, marquant ses victimes à jamais : séparés par la guerre. Comment Le Clézio enfant a -t-il fait pour survivre ? En réunissant les nus et les morts, tous les séparés, les exilés par et pour la littérature, c’est-à-dire par son génie d’écrivain aux prises avec la rupture et la dispersion qui démolissent tout, en particulier la vie affective de sa famille, tribu fracassée à cause de la guerre et reconstruite par l’écriture du meilleur d’entre eux ; Jean-Marie Gustave Le CLéZIO (ce « GRAND BRETON ») nous fait comprendre sans le dire qu’il a pu reconstituer une tribu – la sienne - par la magie des mots, famille dispersée et même séparée par la guerre ( terrible dureté de cette formule), dont Le Clézio fait le portrait dans ce beau récit autobiographique ; cette réparation, cette réunion des « séparés par la guerre » ne fut pas simple et c’est ce que raconte le narrateur de « l’identité nomade » avec le tact que l’on sait à l’œuvre chez Le Clézio. Exemple : « Quand les conflits se sont terminés, nous avons fait un voyage vers le Nigeria au cours duquel j’ai rencontré mon père. (sublime ce « j’ai rencontré mon père »NDLR) . Cette vie de la guerre, je crois qu’elle m’a sensibilisé à tout ce qui peut se passer, parce qu’un enfant est une sorte d’éponge, il capture absolument tout ce qui se passe. J’écoutais les rumeurs, la première fois que j’ai entendu parler de la mort, c’est pendant la guerre, je devais avoir cinq ans, un de mes camarades de jeux un peu plus âgé – il devait avoir une douzaine d’années – a sauté en transportant un explosif. Il allait poser ces explosifs pour faire sauter les ponts afin que les Allemands ne progressent pas. C’est la première fois que j’ai su ce qu’était la mort, parce qu’autrement je n’avais pas la moindre idée de ce qu’elle signifiait. Les enfants qui vivent dans ces périodes-là sont particulièrement attentifs à tout ce qui peut se produire de bien et de mal » « Identité nomade » (Laffont) publié ce jour en France est un événement littéraire qui dépasse le cadre de la culture. Il s’agit pour l’auteur de nous faire cadeau du bonheur .Comment réunir les victimes de l’Histoire en train de se faire, ressusciter les morts, rapprocher les ancêtres et faire justice à tous les exilés? Par le voyage intérieur, c’est-à-dire l’art, en particulier la littérature.La famille et les proches ont le droit de revivre par la création du narrateur, qui devient une sorte de dieu aimant, rendant la vie aux identités dispersées, y compris la sienne, car si JMG Le Clézio est métissé par l’esprit et le sang des siens, il l’est surtout par son goût........

© atlantico


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