Que dit Fiodor lorsqu’il invite ses compatriotes à devenir russes ? (cf. « Journal d‘un écrivain », La Pléiade 1972, traduction par un spécialiste de la littérature russe (patron de l’AFP) :Gustave Aucouturier :

« * il faut avant tout que chacun devienne russe, c’est-à-dire devienne lui-même : alors tout changera. Devenir russe, cela signifie cesser de mépriser son propre peuple. »(éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2007)trad. Gustave Aucouturier*

(*Gustave Aucouturier (1902 -1985) est un journaliste français qui fut rédacteur en chef de l'Agence France-Presse et traducteur. (Cf.Wikipedia) « (La traduction de Gustave Aucouturier est la première traduction française intégrale du « Journal d'un écrivain » munie de l'abondante annotation nécessaire pour éclairer des textes presque toujours rattachés aux faits d'une époque donnée »( Cf. -La Pléiade)

Un laboratoire esthétique et une bible philosophique : voilà ce qu’incarne « Le Journal d’un écrivain » publié en 1972 dans la Pléiade et republié ces jours-ci ( avec d’autres extraits, par Rivage-Poche). « Dostoïevski critique les inégalités sociales, décrit les milieux pauvres, l’alcoolisme et le cynisme des usuriers. Tournant le dos à l’occidentalisme, il développe une passion pour le peuple russe, qu’il considère comme le seul peuple pouvant apporter le bonheur à l’humanité. L’écrivain fait culminer le concept d’"âme russe", dont l’une des composantes est la nécessité spirituelle de souffrir pour les autres » ( cf. Geo 2023). Par exemple : « [...] je déclare (…) que l’amour de l’humanité n’est même pas concevable, compréhensible ni possible sans foi concomitante en l’immortalité de l’âme humaine. »— Fiodor Dostoïevski, Journal d’un écrivain (1873-1881)Et au sujet de l’âme russe, un académicien français précise : « Ce que l'on éprouve en Russie au milieu des interminables forêts, steppes, tourbières, champs de neige, étendues d'eau glacées, incite à se demander quel mystère se cache derrière ces espaces démesurés. Cette " âme russe ", Olivier Martel en a saisi, dans ses belles photographies, les manifestations visibles. Certaines nous la montrent à l'oeuvre à l'intérieur des églises, dans la splendeur des costumes et la somptuosité de la liturgie. Mais elle se manifeste aussi chez les paysans qui causent au-dessus d'une palissade, les enfants qui pêchent au bout d'une jetée de planches, le balayeur qui joue avec son chien, et même chez le cheval attelé au traîneau, le tramway brinqueballant dans la brume, le tracteur au travail dans la neige. (cf.« L’âme russe » par Dominique Fernandez, de l’Académie française (Édit. Philippe Rey). Et encore ceci, extrait du « Journal d‘un écrivain » (Rivage-Poche) : « On me signalera qu’en ce siècle, des gens se tuent qui ne se sont jamais préoccupés de grandes questions ; et partant leur suicide est énigmatique, nullement commis par nécessité, ni à cause d’une offense, sans aucune raison apparente, qui ne sont aucunement la conséquence d’un manque de ressources matérielles, d’un amour déçu, d’une jalousie, de l’hypocondrie ou de la folie, mais qui sont commis comme cela, pour Dieu sait quelle raison. Je ne vais pas entreprendre, bien sûr, d’expliquer tous ces suicides, et puis il va de soi que j’en serais incapable, en revanche, je suis positivement convaincu que la majorité de ces suicidés, pris dans leur ensemble, ont mis fin à leurs jours parce qu’ils souffraient tous, directement ou indirectement, de la même maladie spirituelle, l’absence dans leur âme d’une idée supérieure de l‘existence.»( Page 109-110).

« dans le fond, chez nous, chacun soupçonne autrui de bêtise sans prendre le temps de réfléchir ou de s’interroger soi-même en retour. « Mais n’est-ce pas moi, au fait qui suis stupide ? (…) La réflexion de nos jours est devenue pratiquement impossible.Certes, on achète des idées toutes prêtes. Elles se vendent partout, on les cède pour rien mais même « pour rien » elle se vendent encore trop cher, et on commence à le pressentir. Résultat : aucun bénéfice et le même désordre qu’avant. » (P.47). Air connu et pas seulement en Russie…Ce bréviaire esthetico- philosophique d’environ mille pages, rédigé par Fiodor Dostoïevski de 1873 à 1881 contient des nouvelles telles Bobok ; Le Petit Garçon à l'arbre de Noël du Christ ;Deux suicides ;La centenaire ; Le Rêve d'un homme ridicule –. Le « Journal d’un écrivain » est une œuvre complexe dont la rédaction s'est étendue sur plusieurs années (source Wikipedia). C’est ce texte traduit pour la première fois en France par Gustave Aucouturier (patron de l’AFP), pour l’album de la Pléiade en 1972 qu’ont décidé de reprendre ces jours-ci les éditions Rivages pour « faciliter l’accès à Dostoïevski »

Extrait

Autres temps, autre mœurs, Emma Guillet sélectionna d’autres extraits de ce monument littéraire pour les publier en collection de poche chez Rivages.

Voici une partie de sa préface.

« Près d’un siècle et demi après sa mort, le Journal d’un écrivain de Dostoïevski reste méconnu, alors même qu’il contribua de façon décisive à sa popularité dans l’intelligentsia russe dont il partagea les questionnements les plus brûlants. On va parfois jusqu’à opposer l’œuvre du romancier Dostoïevski à celle du publiciste. Or il n’y a pas de rupture nette entre ces deux formes d’expression. Le Journal d’un écrivain est pétri de fictions, comme ses romans furent pétris d’idées. Il n’a donc pas seu- lement une valeur historique, mais contient des pages superbes et des clés pour la compréhension de ses romans et de sa vision du monde. Il existe depuis 1972 une excellente traduction française du Journal d’un écrivain par Gustave Aucouturier, accompagnée de précieuses notes1. Il est vrai tou- tefois qu’en raison de sa longueur, de son carac- tère composite et daté, ce Journal méritait qu’on en facilitât l’accès. C’est l’ambition de la petite anthologie que nous proposons ici. Avant d’entrer plus avant dans la présentation de cet étonnant Journal, il nous faut dire quelques mots de la vie de son auteur.

Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski naît en 1821 à Moscou dans un appartement de l’hôpital des Pauvres de Moscou où son père exerce la profession de médecin. Ses parents ont déjà un enfant, Mikhaïl, qui deviendra son confident et avec qui il fondera une première revue, dans les années 1861-1863, le Temps. Puis viennent au monde sa sœur Varvara, son frère Andreï, les jumelles Liouba et Véra dont la première meurt en bas âge, Nikolaï et Alexandra. Dans son enfance, Fiodor aurait été témoin de la mort d’une petite fille de condition modeste à la suite d’un viol très brutal commis sur elle par un homme ivre, scène décrite dans les années 1870 chez Anna Filosofova comme le crime le plus terrible qui soit, impossible à pardonner. Le jeune Fiodor découvre de bonne heure la Bible, il est particulièrement frappé par le livre de Job. Il fréquente la littérature française – Balzac, Hugo, Sand à qui il voue une grande admiration et consacre une nécrologie très élogieuse en juin 18733 – par le biais de la Bibliothèquede lecture, revue à laquelle est abonné son père. Fait plus rare à l’époque, il fréquente également la littérature russe – Derjavine, Karamzine et surtout Pouchkine que son frère et lui admirent profondément. Quelques mois après la mort du poète en février 1837, ils entreprennent de commémorer sa disparition tragique sur les lieux du duel et dans la chambre de son agonie. L’un se rêvant poète et l’autre romancier, ils emmé- nagent alors à Saint-Pétersbourg pour faire leurs études. En chemin, Fiodor est témoin d’une scène qui marquera profondément son œuvre, la scène dite du Feldjäger, symbole de la propagation de la violence parmi les hommes, puis entre eux et leurs bêtes4. La même année, sa mère Maria Fiodorovna meurt. En janvier de l’année suivante, Fiodor intègre l’École centrale du génie militaire où, avec ses camarades, il apprend les sciences appliquées et lance dans le monde de nouveaux mots5. De graves difficultés financières commencent pour la famille, des frais de scolarité supplémentaires sont exigés et Fiodor réclame sans cesse de l’argent pour soigner sa mise et ne pas détonner parmi ses camarades aisés. Le 6 juin 1839, le docteur Dostoïevski meurt dans des circonstances troubles. Officiellement, il aurait succombé à une crise d’apoplexie mais il se murmure que ses serfs l’auraient assassiné, ce qui n’était pas rare à cette époque. Aucune procédure judiciaire n’est cependant engagée contre eux pour ne pas ruiner les orphelins Dostoïevski. Fiodor se passionne à cette époque pour Schiller, Homère, Hugo, Racine, Corneille. Il entame plusieurs drames historiques, Marie Stuart, Boris Godounov.

En 1844, il traduit librement Eugénie Grandet de Balzac, Mathilde d’Eugène Sue, commence le roman épistolaire qui le lancera en littérature, Les Pauvres Gens, et prend sa retraite du Génie. Le succès de son premier roman est fulgurant, le critique littéraire le plus influent de l’époque, Vissarion Belinski, se félicite de ce premier essai de « roman social » en Russie. Dans le cercle de Belinski où Dostoïevski rencontre Nekrassov, son éditeur, Annenkov et Tourguéniev, le jeune écrivain se montre vaniteux et prête le flanc aux railleries. Ses récits suivants, Le Double6, Monsieur Prokharchine, déçoivent Belinski, ce qui pousse Dostoïevski à fréquenter d’autres cercles intellectuels, celui des Beketov, qui sont fouriéristes, puis celui de Mikhaïl Petrachevski, homme de lettres de tendance socialiste, progressiste et non violent, qui promeut notamment une conception émancipatrice et joyeuse du travail. Petrachevski a créé sur son propre domaine un phalanstère qu’un incendie ravage dès le lendemain. C’est un athée hégélien, position que ne partage pas Dostoïevski dont le socialisme est alors religieux et sentimental. Dostoïevski semble avoir essentiellement partagé avec les petrachevtsy le souhait d’abolir le servage. Il ne joue pas un rôle majeur dans le cercle mais sous l’influence du révolutionnaire Spechniov, devenu son « propre Méphistophélès », il adhère à l’idée selon laquelle seul un soulèvement violent pourrait mettre fin au servage et intègre sa fraction clandestine.

Dostoïevski est arrêté en 1848 pour avoir lu publiquement les Passages choisis de ma correspondance de Gogol (ouvrage amené à exercer sur le Journal d’un écrivain une puissante influence, nous y reviendrons). Dans le contexte du Printemps des peuples de 1848, la Russie veut étouffer toute velléité contestataire. Les petrachevtsy sont jugés selon le code militaire, plus sévère que le code civil, un simulacre de condamnation à mort est organisé pour terroriser les prévenus. Petrachevski est condamné à l’exil et aux travaux forcés dans les mines. Dostoïevski est condamné, ainsi que les autres membres du cercle, à huit années de bagne – sa peine sera divisée par deux ensuite – en Sibérie, où Nataia Fonvizine, épouse du célèbre décembriste, lui vient en aide et lui offre une Bible.

En 1850, Dostoïevski subit sa première crise d’épilepsie, il en consignera près de quatre cents jusqu’à la fin de sa vie. Ses années de bagne sont racontées de façon détournée dans les Souvenirs de la maison morte publiée entre 1860 et 1862. Dostoïevski semble avoir puisé dans cette épreuve une force extraordinaire et relate dans le Journal d’un écrivain, en février 1876 soit plus de deux décennies plus tard, sa « nuit de feu », survenue en plein jour à Pâques alors qu’il avait vingt-neuf ans. Tandis que les bagnards s’alcoolisent et se battent, un sentiment de haine contre ces « brigands » du peuple s’empare de lui. Il s’isole et c’est alors qu’il se rappelle subitement comment, dans son enfance, le moujik Mareï, un des serfs travaillant pour sa famille, l’avait rassuré et signé alors qu’il avait entendu crier au loup et tremblait d’épouvante. Cette réminiscence a pour effet miraculeux de transformer le regard que Dostoïevski pose sur ses codétenus, c’est sa conversion à l’amour du peuple russe. Il n’a plus ni haine ni colère à leur égard et admet son ignorance : et s’ils étaient eux aussi des Mareï ? Le bagne scelle définitivement la rupture avec la croyance selon laquelle le peuple pourrait se laisser guider par les nobles, qui leur sont parfaitement étrangers, afin d’établir une société plus juste d’après les principes du socialisme athée.

Dostoïevski est libéré en janvier 1854 mais doit batailler pour obtenir le droit de publier sous son nom et de revenir à Saint-Pétersbourg. En relégation à Omsk, il lit des philosophes (Kant, Hegel, Carus) et des ouvrages religieux (les Pères de l’Église, le Coran). Il mène l’existence d’un simple soldat et rencontre Maria Dmitrievna Issaïeva, sa future épouse. En 1858, Mikhaïl obtient le droit de fonder une revue politique et littéraire, Le Temps, qui sera une source de revenus et une tribune de premier plan pour son frère7. La revue lui permettra d’exposer ses idées esthétiques, qu’il médite depuis la période du bagne, contre l’utilitarisme de Tchernychevski et Dobrolioubov. Sous l’influence de l’idéalisme de Schiller, Dostoïevski défend l’en- tière autonomie de l’art, irréductible et supérieur à quelque utilité que ce soit. La beauté suprême, l’idéal de son temps et de son peuple, Dostoïevski la découvre dans le Christ, c’est-à-dire dans l’absence complète d’orgueil, la charité universelle.»

Emma Guillet

(la suite dans « Journal d’un écrivain » (Payot- Rivages)

« L'œuvre de Dostoïevski, comme sa vie, est un champ de bataille. Les anges et les démons, les innocents et les criminels, Dieu et Satan s'y mesurent en un combat sans merci, qui, de livre en livre, d'affrontement en affrontement, abat toutes les résistances et met à nu les plus secrètes plaies. Quand le prix de la souffrance a racheté les turpitudes des hommes, alors la pureté peut triompher. Si le grain ne meurt…Lui-même, Dostoïevski, de quel parti est-il ? Du parti du diable, avec les ivrognes, les sensuels, les pervers, les débauchés, si admirablement décrits dans ses romans ?(…) L'œuvre littéraire se nourrit de la chair et du sang de l'auteur, et l'auteur, par son œuvre, exorcise ses démons.

En Dostoïevski cohabitent les contraires : (…) Chaque instant de sa vie – traversée de drames et d'aventures – , chaque page de son œuvre est une lutte entre des passions ou des idées contradictoires. La tendresse et la brutalité, le mépris et le besoin d'affection, l'humilité et l'arrogance se disputent en lui (…).Chaque page est n appel pour forcer le silence des espaces infinis ; car cet homme génial, qui vit au bord d'un gouffre et qui est à lui-même un gouffre, ne se pose au fond qu'une seule question à laquelle il s'accroche comme au fil conducteur de sa vie, débrouillant l'écheveau de ses œuvres : Dieu existe-t-il ? « La question principale, écrit-il à son ami Appolon Nikolaïevitch Maïkov (1821-1897) à propos des Frères Karamazov, qui sera poursuivie dans toutes les parties de ce livre est celle mêm dont j'ai souffert toute ma vie : l'existence de Dieu. » (cf. Larousse)

Le 21 mars 1864, la première partie des Carnets du Sous-sol est publiée dans le premier numéro de L'Époque , une revue littéraire dirigée par Mikhaïl Dostoïevski, frère aîné de l'écrivain.Cette magnifique nouvelle contient les futurs romans de « Dosto » comme l’appellent ses (fervents) lecteurs français.Les Carnets du sous-sol (en russe : Записки из подполья), connu aussi en français sous les titres Mémoires écrits dans un souterrain, ou Le Souterrain, est un roman de Fiodor Dostoïevski publié en 1864. Le récit se présente sous la forme du journal d’un narrateur anonyme, vivant à Saint-Pétersbourg.«En fait, quand on parle parfois de la cruauté "bestiale" de l'homme, c'est une injustice terrible et blessante pour les animaux ; un animal ne pourra jamais être aussi cruel qu'un homme [...] Aimez les animaux : Dieu leur a donné un début de pensée et une joie non troublée. Ne la troublez jamais, ne les torturez pas, ne leur enlevez pas leur joie, n'allez pas contre la pensée de Dieu. Homme, ne te hausse pas devant les animaux : ils sont sans péché, alors que, toi, avec ta grandeur, tu pourris la terre dès que tu y parais ».(Fiodor Dostoïevski« Les frères Karamazov », tome 1).Les Frères Karamazov », publié en 1880, est le dernier roman de Dostoïevski. Il est considéré par les spécialistes comme l’un des ouvrages majeurs de la littérature mondiale.

Annick GEILLE

Copyright Fiodor DOSTOÏEVSKI "Journal d’un écrivain" ( Préface et traduction d’Emma GUILLET),191 pages/ 8,50 euros / Payot-Rivages.

QOSHE - Fiodor Dostoïevski : devenir russe ou cette « idée supérieure de l’existence » - Annick Geille
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Fiodor Dostoïevski : devenir russe ou cette « idée supérieure de l’existence »

7 1
02.12.2023

Que dit Fiodor lorsqu’il invite ses compatriotes à devenir russes ? (cf. « Journal d‘un écrivain », La Pléiade 1972, traduction par un spécialiste de la littérature russe (patron de l’AFP) :Gustave Aucouturier :

« * il faut avant tout que chacun devienne russe, c’est-à-dire devienne lui-même : alors tout changera. Devenir russe, cela signifie cesser de mépriser son propre peuple. »(éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2007)trad. Gustave Aucouturier*

(*Gustave Aucouturier (1902 -1985) est un journaliste français qui fut rédacteur en chef de l'Agence France-Presse et traducteur. (Cf.Wikipedia) « (La traduction de Gustave Aucouturier est la première traduction française intégrale du « Journal d'un écrivain » munie de l'abondante annotation nécessaire pour éclairer des textes presque toujours rattachés aux faits d'une époque donnée »( Cf. -La Pléiade)

Un laboratoire esthétique et une bible philosophique : voilà ce qu’incarne « Le Journal d’un écrivain » publié en 1972 dans la Pléiade et republié ces jours-ci ( avec d’autres extraits, par Rivage-Poche). « Dostoïevski critique les inégalités sociales, décrit les milieux pauvres, l’alcoolisme et le cynisme des usuriers. Tournant le dos à l’occidentalisme, il développe une passion pour le peuple russe, qu’il considère comme le seul peuple pouvant apporter le bonheur à l’humanité. L’écrivain fait culminer le concept d’"âme russe", dont l’une des composantes est la nécessité spirituelle de souffrir pour les autres » ( cf. Geo 2023). Par exemple : « [...] je déclare (…) que l’amour de l’humanité n’est même pas concevable, compréhensible ni possible sans foi concomitante en l’immortalité de l’âme humaine. »— Fiodor Dostoïevski, Journal d’un écrivain (1873-1881)Et au sujet de l’âme russe, un académicien français précise : « Ce que l'on éprouve en Russie au milieu des interminables forêts, steppes, tourbières, champs de neige, étendues d'eau glacées, incite à se demander quel mystère se cache derrière ces espaces démesurés. Cette " âme russe ", Olivier Martel en a saisi, dans ses belles photographies, les manifestations visibles. Certaines nous la montrent à l'oeuvre à l'intérieur des églises, dans la splendeur des costumes et la somptuosité de la liturgie. Mais elle se manifeste aussi chez les paysans qui causent au-dessus d'une palissade, les enfants qui pêchent au bout d'une jetée de planches, le balayeur qui joue avec son chien, et même chez le cheval attelé au traîneau, le tramway brinqueballant dans la brume, le tracteur au travail dans la neige. (cf.« L’âme russe » par Dominique Fernandez, de l’Académie française (Édit. Philippe Rey). Et encore ceci, extrait du « Journal d‘un écrivain » (Rivage-Poche) : « On me signalera qu’en ce siècle, des gens se tuent qui ne se sont jamais préoccupés de grandes questions ; et partant leur suicide est énigmatique, nullement commis par nécessité, ni à cause d’une offense, sans aucune raison apparente, qui ne sont aucunement la conséquence d’un manque de ressources matérielles, d’un amour déçu, d’une jalousie, de l’hypocondrie ou de la folie, mais qui sont commis comme cela, pour Dieu sait quelle raison. Je ne vais pas entreprendre, bien sûr, d’expliquer tous ces suicides, et puis il va de soi que j’en serais incapable, en revanche, je suis positivement convaincu que la majorité de ces suicidés, pris dans leur ensemble, ont mis fin à leurs jours parce qu’ils souffraient tous, directement ou indirectement, de la même maladie spirituelle, l’absence dans leur âme d’une idée supérieure de l‘existence.»( Page 109-110).

« dans le fond, chez nous, chacun soupçonne autrui de bêtise sans prendre le temps de réfléchir ou de s’interroger soi-même en retour. « Mais n’est-ce pas moi, au fait qui suis stupide ? (…) La réflexion de nos jours est devenue pratiquement impossible.Certes, on achète des idées toutes prêtes. Elles se vendent partout, on les cède pour rien mais même « pour rien » elle se vendent encore trop cher, et on commence à le pressentir. Résultat : aucun bénéfice et le même désordre qu’avant. » (P.47). Air connu et pas seulement en Russie…Ce bréviaire esthetico- philosophique d’environ mille pages, rédigé par Fiodor........

© atlantico


Get it on Google Play