Charles Dantzig fut un enfant provincial comme bien des parisiens. Lecteur de Stendhal, peu admis en famille, il fit jadis et naguère ce fameux voyage vers cet espace de splendeurs muettes dont on ne revient jamais, dès que l’on sait ce que l’on veut, car ce que l’on aime est ce que l’on veut. Il chérissait la littérature et voulait vivre plus près d’Elle. Il attérit donc comme Stendhal le préconise pour toujours et à jamais sur une autre planète : Paris. C’ est là qu’il devint écrivain-éditeur. Charles Dantzig ( nom de plume), semblait un garçon raisonnable, or il cachait sa folie douce, celle dont on ne parle guère mais qui provoque toutes les révolutions car ce sont les mots, et non les armes, qui en France, avec les les formules et les phrases, renversent les pouvoirs.

L’agriculture et la culture façonnent ce que les américains appellent « le génie français ». The french art de viverrrr … La littérature- souvent rangée dans le tiroir « culture » -est notre signe particuliertel que le ressent le monde entier.Plus forte que l’amour, plus forte que tout, cette passion inexplicable pour l’écrit animait Charles Dantzig et l’anime chaque jour davantage, à présent qu’il a accompli le fameux voyage qui mène jusqu’à cette planète dont l’on ne revient jamais : Paris .UneFrench spécialité qu’apprécient les lecteurs d’ATLANTICO. Le lecteur de « Paris dans tous ses siècles », roman assez dingue que vient de publier ( voir sa biographie dans nos « Repères » ci-dessous) l’écrivain-éditeur Charles Dantzig ( Grasset) semble la version 2024 du « Spleen de Paris », poésie en prose signée par un autre Charles : Baudelaire- baptisée aussi « Petits poèmes en prose - : « Les critiques anglo-saxons s'aperçurent que Baudelaire devancait tous ses contemporains par son esthétique urbaine et avant-gardiste, à la fois, subversive, railleuse et révolutionnaire » .La parfaite définition du Charles Dantzig de ce roman baudelairien, donc énigmatique et pourtant si intime et familier. Paris nous traverse, nous dit, nous tord, nous étreint ici,et pour finir,nous définit, affirme Charles Dantzig.D’où l’ambition comme moteur du vrai-faux parisien. L’auteur agite ses personnages -Victor -écrivain à la recherche de son prochain sujet, son amie Gabrielle, galeriste belle mais vieillissante, pas toujours gentille mais la plupart du temps hyper fûtée, plus – et peints par l’auteur qui devrait s’en saisir plus souvent, car il adore le règne animal et cela se voit )- une multitude d’animaux plus moins domestiques et attendrissants ( en particulier Guillaume, le teckel roux et noir)Les mouettes des premières pages ne sont pas mal non plus,Elles disent tout, en particulier l’audace stylistique de Dantzig. L’intrigue n’a pas grande importance, pour le véritable écrivain c’est la forme qui compte, et la forme ici est rythmée par le tempo du style faussement familier mais très élaboré de l’auteur, au fil des aventures vécue par les enfants, amis, amants et relations proches ou lointaines de ses personnages, tous vibrionnants. Leur MDP : l’art.

Etre et devenir quelqu’un qui compte à PARIS.

Une fiction hypermoderne et jazzy, en somme, avec son rythme d’enfer ultra poétique ( mais les premiers textes de Dantzig furent de la poésie pure) :allitérations, assonanceset bruitages saisissants. Le lecteur épris de littérature n’avait jamais rencontré pareille audace stylistique.Une impro de free-jazz rythme « sons et lumières » de la « ville monstrueuse », hier encore signée Baudelaire, et désormais inscrite au catalogue musical de Charles Dantzig. Dans sa lettre à Demeny (Cf. Paul Demeny, né à Douai le 8 février 1844 et mort à Arcueil le 30 novembre 1918 , est un poète français, proche d'Arthur Rimbaud et de Victor Hugo) en 1871, Rimbaud déclarait à Paul Demeny vouloir « trouver une langue », et ajoutait : « Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, sons, parfums, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. »

On reconnaît chez Dantzig 2024 cette écriture de l’âme pour l’âme ;et la littérature, c’est de la musique :« ultra chicos, les gars !»

Annick GEILLE

Romancier, poète, essayiste et l’un des écrivains majeurs de sa génération, Charles Dantzig est l’auteur du désormais classique Dictionnaire égoïste de la littérature française et de la non moins fameuse Encyclopédie capricieuse du tout et du rien. À l’occasion de la publication du Traité des gestes, il a reçu lePrix Jean Giono 2010 et le Grand Prix de littérature Paul Morand pour l’ensemble de son œuvre.

Bibliographie Charles Dantzig :

·Confitures de crimes (Les Belles Lettres, 1993)

·Nos vies hâtives (Grasset, 2001, et Le Livre de poche, prix Jean-Freustié 200132, prix Roger-Nimier32)

·Un film d'amour (Grasset, 2003, et Le Livre de poche)

·Je m'appelle François (Grasset, 2007, et Le Livre de poche)

·Dans un avion pour Caracas (Grasset, 2011, et Le Livre de poche)

·Histoire de l'amour et de la haine (Grasset, 2015, et Le Livre de poche)

Paris dans tous ses siècles (Grasset, 2024)
Paris dans tous ses siècles
( le point de vue de l’éditeur, ou la quatrième de couv.)

« Que peuvent avoir en commun Victor, écrivain vieillissant, son amie Gabrielle, galeriste quinquagénaire éprise d’un homme beaucoup plus jeune, le fils de Victor, la mère et la fille de Gabrielle, des étudiants qui tentent de devenir artistes, des provinciaux qui rêvent de se faire une place, un escort brésilien, le chat Xanax et le teckel Guillaume, un cadavre qui disparaît, un éléphant qui s’échappe et tant d’autres personnages de cette ronde qui efface les frontières entre les espèces, les espaces et les temps ?

Tous vivent à Paris, cette scène du jugement perpétuel. Or, « Paris est un combat ». Certains cherchent la clef pour conquérir la capitale, d’autres croient l’avoir, d’autres l’espèrent, d’autres pensent qu’elle n’existe pas. Qu’adviendra-t-il des ambitions de chacun ?

Essais[ signés Dantzig :

Remy de Gourmont, Cher Vieux Daim ! (Éditions du Rocher, 1989 ; 2e édition : Grasset, 2008, et Le Livre de poche)

·Il n'y a pas d'Indochine (Les Belles Lettres, 1995) - (réédition, Grasset, 2013, et Le Livre de poche)

·La Guerre du cliché (Les Belles Lettres, 1998)

·Dictionnaire égoïste de la littérature française (Grasset, 2005, et Le Livre de poche, cinq prix littéraires dont le prix Décembre (à l'unanimité), le prix de l'essai de l'Académie française, et du magazine Elle)

·Encyclopédie capricieuse du tout et du rien (Grasset, 2009, et Le Livre de poche prix Duménil à l'unanimité)

·Pourquoi lire ? (Grasset, 2010, et Le Livre de poche)

·À propos des chefs-d'œuvre (Grasset, 2013, et Le Livre de poche)33

·Les Écrivains et leurs mondes (Laffont, Bouquins, 2016)

·Traité des gestes (Grasset, 2017, et Le Livre de poche)

·Chambord-des-songes (Flammarion, 2019, et GF)

·Dictionnaire égoïste de la littérature mondiale (Grasset, 2019, et Le Livre de poche)

·Théorie de théories (Grasset, 2021)

·Le napoléonisme. Les trois stades du légendaire (Silvana Editoriale, 2021)

·Proust Océan (Grasset, 2022)

Poèmes

Le chauffeur est toujours seul (La Différence, 1990)

·Que le siècle commence (Les Belles Lettres, 1996, prix Paul-Verlaine de l’Académie française, 1997)

·Ce qui se passe vraiment dans les toiles de Jouy (Les Belles Lettres, 1999)

·À quoi servent les avions ? (Les Belles Lettres, 2001), livre dans lequel il imagine la destruction des tours jumelles avant les attentats du 11 septembre34

·En souvenir des long-courriers (Les Belles Lettres, 2003)

·Bestiaire, avec des encres de Mino (Les Belles Lettres, 2003)

·La Diva aux longs cils, anthologie réalisée par Patrick McGuinness, professeur au St. Anne’s College, Oxford (Grasset, 2010)

·Les Nageurs (Grasset, 2010)

·Démocratie de bord de mer (Grasset, 2018)

·Genre : fluide (Points Poésie, éditions du Seuil, 2022)

3)Extraits de Paris dans tous ses siècles :

« Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs »…

« Vibrionnant et musicale, la phrase de Charles Dantzigrythme le Paris trépidant d’aujourd’hui telune impro de musique concrète ;(NDLR : Pour Pierre Shaeffer - père de la musique électroacoustique- : « Le miracle de la musique concrète, c'est qu'au cours des expériences, les choses se mettent à parler d'elles-mêmes, comme si elles nous apportaient le message d'un monde qui nous serait inconnu ». )Pas tombée dans l’oreille d’un sourd , cette hypermodernité hante Charles Dantzig, -essayiste- et -romancier qui dirige la collection « Courage » et les « Cahiers Rouges » chez Grasset ; Dantzig-le -dandy des lettres nous offre icison tout- Paris fictionnel;une musique électroacoustique rythme le secret des protagonistes ( tous rêvent de devenir un artiste)dans la « ville monstrueuse » que chérissait Baudelaire, cette fois mise en musique par Dantzig en personne. Baudelaire aurait aimé cette tristesse bien élevée sous les pavés. « Paris change! Mais rien n’intterrompt ma mélancolie ».

« Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que desrocs. (OC!, 86)

Nous sommes sous le charme.

EXTRAITS du nouveau roman de Charles DANTZIG ( premières pages)

« Les lampadaires en cou de dinosaure semblaient inspecter les voitures allant de front sur l’autoroute par deux, puis par quatre, puis par huit, vers

PARIS

ÔÔÔ

annoncé par de vastes panneaux noirs à lettres orange, avec le nombre de minutes restant avant d’y accéder. Paris ! Paris ! ricanaient les mouettes au‐dessus des fonceurs peu à peu ralentis. L’une, d’un œil topaze, visa l’entrée de la ville, au‐delà du fossé du boulevard périphérique et, les ailes en triangle, plongea. Encore une fois elle trouva que, par quelque côté que l’on y pénètre, l’arrivée dans cette capitale était mesquine et décevante, mais enfin bah, et loopings aaah ! aaah ! aaah ! aaahaaahaaah ! La banalité servirait‐elle à rebuter les entrants ? Ou à ménager leur cœur, au contraire, eux qui un kilomètre plus loin découvriront la plus harmonieuse architecture de la terre ? La mouette frôla des écritures peintes sur les parois des tunnels, en couleurs comme pour contredire le béton qu’elles tapissaient mais aussi grosses que leurs piliers, penchées en avant à la façon des voitures rapides ou tirées en arrière comme les cheveux sous le vent de cette passagère de moto, ALFE COKUR TAPALOY XARE REPS ! SEMORSHEAT STEPO MOK ZEKIR TAAH ! BRE ? QEZEN NOKOZ, ignora son reflet dans les parois en verre des sièges sociaux d’entre‐ prise côté banlieue, puis d’un coup, sans un panneau qui ait annoncé l’entrée dans

PARIS,

coupa le boulevard périphérique. Travaux, travaux, tra‐ vaux, avenue, Idéal Hôtel, Mangue rouge ,Thaï bar, Franprix, boulanger‐pâtissier, BCO Bazar, MF Chicken, Bel Chou’s chaussures homme, Bio C Kool, CIC, Hairfix, Nicolas, Darty, Duvernois, Celio, pharmacie, Crédit agricole, pharmacie, Cabinet JP Immobilier, boulangerie‐ pâtisserie, pharmacie, quelques immeubles d’habitation en pierre, de plus en plus amples quoique minces si on comparait à Londres, bas si on comparait à Manhattan et denses si on comparait à Berlin, l’élégance en France est basse, voyez Versaaahaaahaaailles, dit une mouette qui en arrivait, ajoutant: «Ultra chicos ultraaah! aaah! aaah ! aaahaaahaaah ! – Ou plutôt quel orgueil, n’est‐ce paaah ! aaah ! aaah ! aaahaaahaaah ! », répondit la première prête à se poser sur la tour Eiffel. Tête baissée, épaules levées, ailes claquant, elle jetait son cri au‐dessus des touristes aux jambes nues. Que mes ailes soient des hachoirs ! Comme elle ralentissait, elle perçut un tic‐tac d’horloge. Il émanait d’un trottoir, régulier, vif, comment dire ? pimpant. Un chien ! Le petit œil jaune robotique parut pris d’inquiétude et, boomerang, elle reprit de l’altitude en direction de la banlieue à côté de sa sœur versaillaise, « je te prierais de ne pas ranger Versailles dans la banlieuaaah ! aaah ! aaah ! aaahaaahaaah ! » Le duo circonflexe s’éloigna, laissant Paris à Guillaume. Et il parlait, ce ravissant teckel à poils ras, tout en trottinant joyeux de vivre à Paris et sans laisse, et il parlait ! Avant de prendre la rue Soufflot, il observa la place du Panthéon en faisant rouler les billes de ses sourcils puis poursuivit : « Comme je le disais, la définition de la France est : un carré. À cause de la conformation géographique, bien sûr, mais aussi de ses régimes politiques. Monarchie : grignotages pour arriver à cette forme si idéale que les premiers rois portaient une couronne carrée. Napoléon, pays en caserne, coupe au carré. Républiques enseignant l’envie que le monde portait à ce quadrilatère presque parfait bordé de mers diverses et rempli d’une variété de paysages encore plus nombreux que fromages, la Cinquième, oui, la nôtre, étant la plus parqueuse

(Torre Eiffel... torre Eiffel... por aca. Pop pop pop pop POP ! Vas-y, vert, vert. Vert ok. Can you tell me next métro ? = notule en bas de page NDLR)

de toutes. Heureusement... » Guillaume s’interrompit, leva sa petite cuisse galbée contre un angle de mur qu’il compissa en deux‐trois secousses puis, patte rabaissée et promenade reprise : « Heureusement se trouve, dans ce carré d’angoisse, au tiers supérieur, une forme ronde. Paris!» Et il releva son museau vers le dôme du Panthéon, suivi de la troupe arrêtée des écouteurs de sa conférence, trois souris, un ratier, deux surmulots, moucherons, pollens. Guillaume se tenait au pied des marches, en plein milieu, immobile et dodu, fier comme si la coupole était sa fille. Soudain, oreilles levées, tête tournée, clip‐clip, clip‐clip, en arrière toute : il avait entendu un sifflement à ultrasons.

Le pizon le pizon LE PIZON ! Lass mich sehen in deinem Rucksack. Vous prenez votre Coca ici ? Coca issi Coca issi COCA ISSI ! Non on va les jeter i sont vides. Moi j’aimerais habiter à Paris.

Allongé dans sa couche, une caisse en planches rembourrée d’un vieux coussin en velours fâné sur lequel brillait son pelage noir et caramel, Guillaume semblait dormir, mais le tremblement de sa lèvre supérieure révélait sa molle conversation avec une mite qui voletait : « Victor possède très peu de machines. Il grille ses tartines à la poêle. Pas de mails sur son ordinateur. Un principe. Il refuse d’être à la merci des GAFA et de la modernité. – Quel rebelle ! », dit la mite, et elle s’éloigna d’un vol alcoolique.

....

Sortant du taxi qui l’avait ramené de l’aéroport, Victor fit rouler sa valise sous le porche. Vraiment les bus n’importe quoi il ne manquait que les vélos merci Khadija regardez-moi celle-là sur sa trottinette avec son portable si elle se ramasse elle saura pourquoi rrha vise-moi ce connard

A trente mètres de la place du Panthéon, son immeuble n’avait pas l’air du quartier. En béton, sobre, gris, bureaucratique, ses fenêtres rectangulaires brillaient sous le soleil cogneur de début novembre. La tête penchée sur l’épaule où il maintenait un téléphone contre la joue, il parlait fort pour surmonter le roulement de char d’assaut de sa valise. « Marseille ? Sur la corniche, on exposait un immense mannequin de supporter de foot portant un T‐shirt Paris on t’encule. Mmm. Imagine porte d’Orléans un mannequin Marseille on t’encule. Mépris Arrogance ! Parisianisme ! J’ai mis deux heures à arriver, une manif bouchait l’avenue du Général Leclerc. Sache que tu parles à un coupable : comme je sortais du taxi pour me dégourdir les jambes, un flic est venu me démontrer que j’aurais pu blesser quelqu’un en ouvrant la portière. Je lui ai répondu que précisément je ne l’avais pas fait, et j’en ai eu pour cinq bonnes minutes de remontrances et de menaces vagues. Sans même dire que j’avais le dos cassé, maintenant qu’on est devenus les employés d’Air France : non seulement on doit imprimer soi‐même sa carte d’embarquement, mais en plus il faut trimballer sa valise sur le tapis roulant. Oui, la promeneuse est venue le sortir deux fois par jour. Il est ravi, tu penses, elle lui permet d’aller sans laisse. Tu dois venir voir le palmier qui remplace la fougère géante de la vasque centrale dans la cour intérieure. Bientôt un jacaranda ! Pardon, je suis en train d’arriver, je te rappelle. » Il rattrapa le téléphone en quelques moulinets. « Je rejoins ma carapace, dit‐il en tournant la clef dans la porte et à voix haute. Mais qui est là ? Bonjour, Guillaume ! »

Le teckel enroulé en O levait un sourcil vers Victor vidant sa valise sur des airs d’opéra. Il s’éloignait, portant du linge sale, revenait, l’avenirrrr de mon fils et le destin des Trrrreuilliens, repartait avec des sacs de chaussures où une tête en laiton d’embauchoir brillait, est‐ce meuaaaa qui te liiiivrrrre eû bourrrrô, trousse de toilette en cuir enflée comme une panse, encore plus enflée la trousse de médicaments, livres, livres, livres, hanhin hahon hous houala heuls hanhanbles, accroupi il tourna le bouton de la chaîne hifi. « La femme de ménage a encore changé la radio, hein, Guillaume ? » Celui‐ci remua une tête hésitante puis la reposa sur ses mains griffues, observant Victor qui poursuivait son rangement sur Oasis en esquivant un fauteuil austère, une commode mal cirée au plateau de marbre écorné sur laquelle un livre était ouvert, un crayon au milieu (souligné : « Le soleil est devenu noir / Je vois la lune qui va choir »), une console à la dorure rougie où un vase en céramique craquelée contenait un magazine roulé. La femme de ménage avait tous les droits sauf de déplacer livres et journaux. Comme il entrait dans sa chambre, Guillaume qui n’avait pas la permission de l’y suivre contint ses muscles bandés. Sur la couverture d’un cahier que Victor posa en haut d’une pile d’autres cahiers était écrit « Biographie de ma chambre?». Il tourna le regard vers la fenêtre.

« J’aimais Paris parce qu’il avait des ciels de Tiepolo », pensa‐t‐il en prenant note d’un énorme nuage noir venu peser sur la ville, n’autorisant qu’une bande de bleu par où un soleil insistant visait les toits en face, en une nuance « dernier bonheur avant la catastrophe », se dit‐il. En bas, deux adolescents qui se croyaient dissimulés roulaient un pétard. Il avait vécu étudiant dans une chambre sous les toits de ce même immeuble, regardant les mêmes immeubles en face, le même sommet du dôme du Panthéon, la même petite place triangulaire. « Immobile est un immeuble, immobile est ma vie. Tant mieux », avait‐il écrit dans Place de l’Estrapade, son dernier livre, il y avait bien dix ans maintenant. « Au moins tu n’as pas à voir Notre‐Dame‐de‐Paris », lui avait dit Gabrielle au téléphone. Elle abhorrait sa façade en guillotine servant selon elle à menacer Paris. « Louis XIV aurait pu raser ça », avait écrit Victor, phrase qui lui avait été reprochée comme un conseil alors qu’elle était un constat, ce roi ni plus ni moins que les autres ne tenant vraiment pas Paris pour fragile et y détruisant de vieilles choses pour en construire, à son goût, de plus belles. Mots reproduits avec injures sur des réseaux sociaux, bref incendie éteint par un passage ultérieur très liké : « Évidemment, aujourd’hui, mieux vaut tout garder, sans quoi les architectes nous mettraient des immeubles genre Sécu. » Cette phrase‐ci était régulièrement citée, avec des erreurs, car ceux qui le faisaient l’avaient trouvée, non dans le livre, mais sur Internet ».

Copyright Charles Dantzig « Paris dans tous ses siècles », roman ( Grasset) 22 euros, toutes librairies et « La Boutique »

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Charles Dantzig : « ultra chicos ! » ou « Le spleen de Paris 2024 »

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28.01.2024

Charles Dantzig fut un enfant provincial comme bien des parisiens. Lecteur de Stendhal, peu admis en famille, il fit jadis et naguère ce fameux voyage vers cet espace de splendeurs muettes dont on ne revient jamais, dès que l’on sait ce que l’on veut, car ce que l’on aime est ce que l’on veut. Il chérissait la littérature et voulait vivre plus près d’Elle. Il attérit donc comme Stendhal le préconise pour toujours et à jamais sur une autre planète : Paris. C’ est là qu’il devint écrivain-éditeur. Charles Dantzig ( nom de plume), semblait un garçon raisonnable, or il cachait sa folie douce, celle dont on ne parle guère mais qui provoque toutes les révolutions car ce sont les mots, et non les armes, qui en France, avec les les formules et les phrases, renversent les pouvoirs.

L’agriculture et la culture façonnent ce que les américains appellent « le génie français ». The french art de viverrrr … La littérature- souvent rangée dans le tiroir « culture » -est notre signe particuliertel que le ressent le monde entier.Plus forte que l’amour, plus forte que tout, cette passion inexplicable pour l’écrit animait Charles Dantzig et l’anime chaque jour davantage, à présent qu’il a accompli le fameux voyage qui mène jusqu’à cette planète dont l’on ne revient jamais : Paris .UneFrench spécialité qu’apprécient les lecteurs d’ATLANTICO. Le lecteur de « Paris dans tous ses siècles », roman assez dingue que vient de publier ( voir sa biographie dans nos « Repères » ci-dessous) l’écrivain-éditeur Charles Dantzig ( Grasset) semble la version 2024 du « Spleen de Paris », poésie en prose signée par un autre Charles : Baudelaire- baptisée aussi « Petits poèmes en prose - : « Les critiques anglo-saxons s'aperçurent que Baudelaire devancait tous ses contemporains par son esthétique urbaine et avant-gardiste, à la fois, subversive, railleuse et révolutionnaire » .La parfaite définition du Charles Dantzig de ce roman baudelairien, donc énigmatique et pourtant si intime et familier. Paris nous traverse, nous dit, nous tord, nous étreint ici,et pour finir,nous définit, affirme Charles Dantzig.D’où l’ambition comme moteur du vrai-faux parisien. L’auteur agite ses personnages -Victor -écrivain à la recherche de son prochain sujet, son amie Gabrielle, galeriste belle mais vieillissante, pas toujours gentille mais la plupart du temps hyper fûtée, plus – et peints par l’auteur qui devrait s’en saisir plus souvent, car il adore le règne animal et cela se voit )- une multitude d’animaux plus moins domestiques et attendrissants ( en particulier Guillaume, le teckel roux et noir)Les mouettes des premières pages ne sont pas mal non plus,Elles disent tout, en particulier l’audace stylistique de Dantzig. L’intrigue n’a pas grande importance, pour le véritable écrivain c’est la forme qui compte, et la forme ici est rythmée par le tempo du style faussement familier mais très élaboré de l’auteur, au fil des aventures vécue par les enfants, amis, amants et relations proches ou lointaines de ses personnages, tous vibrionnants. Leur MDP : l’art.

Etre et devenir quelqu’un qui compte à PARIS.

Une fiction hypermoderne et jazzy, en somme, avec son rythme d’enfer ultra poétique ( mais les premiers textes de Dantzig furent de la poésie pure) :allitérations, assonanceset bruitages saisissants. Le lecteur épris de littérature n’avait jamais rencontré pareille audace stylistique.Une impro de free-jazz rythme « sons et lumières » de la « ville monstrueuse », hier encore signée Baudelaire, et désormais inscrite au catalogue musical de Charles Dantzig. Dans sa lettre à Demeny (Cf. Paul Demeny, né à Douai le 8 février 1844 et mort à Arcueil le 30 novembre 1918 , est un poète français, proche d'Arthur Rimbaud et de Victor Hugo) en 1871, Rimbaud déclarait à Paul Demeny vouloir « trouver une langue », et ajoutait : « Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, sons, parfums, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. »

On reconnaît chez Dantzig 2024 cette écriture de l’âme pour l’âme ;et la littérature, c’est de la musique :« ultra chicos, les gars !»

Annick GEILLE

Romancier, poète, essayiste et l’un des écrivains majeurs de sa génération, Charles Dantzig est l’auteur du désormais classique Dictionnaire égoïste de la littérature française et de la non moins fameuse Encyclopédie capricieuse du tout et du rien. À l’occasion de la publication du Traité des gestes, il a reçu lePrix Jean Giono 2010 et le Grand Prix de littérature Paul Morand pour l’ensemble de son œuvre.

Bibliographie Charles Dantzig :

·Confitures de crimes (Les Belles Lettres, 1993)

·Nos vies hâtives (Grasset, 2001, et Le Livre de poche, prix Jean-Freustié 200132, prix Roger-Nimier32)

·Un film d'amour (Grasset, 2003, et Le Livre de poche)

·Je m'appelle François (Grasset, 2007, et Le Livre de poche)

·Dans un avion pour Caracas (Grasset, 2011, et Le Livre de poche)

·Histoire de l'amour et de la........

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