Nicolas Waquet, qui rédigea la préface de « L’art de vieillir » d’Arthur Schopenhauer ( Rivages-poche) publié récemment résume ainsi ce qu’il admire le plus chez le philosophe allemand : « l’art confère à cet ardent vieillard un précieux bagage qu’il exploite à merveille ; il lui offre un moyen d’approfondir l’examen désabusé d’un monde dont il a déjà pénétré en partie les secrets, d’en déchiffrer l’énigme dans les limites de notre intelligence et d’en livrer au mieux la mystérieuse essence. »L’on ne saurait mieux dire au sujet du philosophe -écrivain tant aimé de Michel Houellebecq, autre penseur pessimiste, qui, plaçant Schopenhauer au-dessus de tout, en fit non seulement son maître mais lui consacra un essai retentissant : «En présence de Schopenhauer » (L’Herne). « L’œuvre de Michel Houellebecq est marquée par la pensée de Schopenhauer. Il ne cesse de se réclamer du philosophe pour annoncer le déclin de l’humanité et sa disparition finale. Le romancier trouve aussi, dans cette pensée, une confirmation de l’amour comme inaccessible et comme leurre. », note à ce sujet le site « Babelio ». « Entre Schopenhauer et Comte, j’ai fini par trancher », précise Houellebecq ; « et progressivement, avec une sorte d’enthousiasme déçu, je suis devenu positiviste ; j’ai donc, dans la même mesure, cessé d’être schopenhauerien. Il n’empêche que je relis peu Comte, et jamais avec un vrai plaisir ; alors qu’aucun romancier, aucun moraliste, aucun poète ne m’aura autant influencé qu’Arthur Schopenhauer. Il ne s’agit même pas de « l’art d’écrire », de balivernes de ce genre ; il s’agit des conditions préalables auxquelles chacun devrait pouvoir souscrire avant d’avoir le front de proposer sa pensée à l’attention du public », dit encore Michel Houellebecq.Le lecteur de 2023 est frappé par la modernité – pour ne pas dire l’actualité- de cette pensée qui met au centre de tout ce l’auteur appelle « la volonté » ce qui caractérise l’ambition et le désir humain.Cette « volonté »qui nous meut mais nous vaut toutes sortes de souffrances, c’est ce que Freud, puis Lacan appelleront l’inconscient. Le « moi » secret.Très averti et conscient avant tout le monde -ou presque- des forces obscures mais considérables de cet inconscient, Arthur Schopenhauer nous dit comment vieillir le moins tristement possible en nous débarrassant de ce qu’il appelle notre « volonté » ( nos désirs) pour mieux nous concentrer sur le Beau ( cf. l’art) ; c’est-à-dire cette manière de penser le monde en donnant sa priorité à l’art, seul lieu où notre « volonté » (cf.désirs conscients ou pas) n’accède pas. Le « Beau », au fur et à mesure de l’âge devant- autant que possible- l’emporter sur la « volonté » pour devenir, au soir de nos vies, le moteur de celles-ci .

Arthur Schopenhauer est un philosophe allemand du 19e siècle né le 22 février 1788 à Dantzig et décédé le 21 septembre 1860 à Francfort-sur-le-Main. Il a influencé de nombreux écrivains, philosophes et artistes des 19 et 20e siècles avec son ouvrage Le monde comme volonté et comme représentation (1819). C’est un philosophe mondialement connu qui continue à être lu et étudié par de nombreux lecteurs et étudiants.

Ses écrits philosophiques En 1814, à la suite d’une dispute avec sa mère, il déménage à Dresde. Il publie en 1815 un premier essai, Sur la vue et les couleurs, après de longues discussions avec Goethe, qu’il rencontre à nouveau à Weimar. Puis il se lance, entre 1814 et 1818, dans la rédaction de sa future grande œuvre, Le monde comme volonté et comme représentation (1819). L’ouvrage ne rencontre pas un succès immédiat, et il faudra attendre sa troisième édition, en 1859, pour qu’il soit reconnu comme un ouvrage majeur de la philosophie du 19e siècle. N’arrivant pas à vivre de son travail d’écriture, Arthur Schopenhauer devient quelques mois chargé de cours à l’université de Berlin, puis part vivre en Italie. En 1820, il publie Philosophie du droit. En 1825, guéri d’une dépression, il retourne en Allemagne et poursuit son travail d’écriture. Il écrit le mémoire Sur la liberté de la volonté humaine (1839), puis l’essai Sur le fondement de la morale (1840), regroupés dans un seul et même ouvrage, Les Deux problèmes fondamentaux de l’éthique. En 1851, il publie le recueil Parerga et Paralipomena, comprenant l’essai Aphorismes sur la sagesse de la vie.

L’univers « schopenhauérien »/Arthur Schopenhauer considère que la philosophie doit servir le plus grand nombre et n’est pas un art privé, comme le considéraient les philosophes grecs. Néanmoins, il regrette qu’elle soit tristement enseignée dans les universités à des fins de récupération politique, ce qui vise le philosophe Georg Wilhelm Friedrich Hegel. D’après lui, le monde ne peut se concevoir que comme une représentation d’après le principe de la raison, ce qu’il développe dans son ouvrage célèbre Le monde comme volonté et comme représentation (1819). La raison est l’outil qui permet à l’homme de créer des concepts et d’échanger avec les autres sur sa vision du monde, et ce, par le biais d’inductions. Il distingue la raison de l’intuition. Il met en avant également le concept philosophique de « volonté» au centre de toutes choses et perceptions.

Schopenhauer ( extraits)

L’illusion de l’amour

« Toute inclination amoureuse, en effet, pour éthérées que soient ses allures, prend racine uniquement dans l'instinct sexuel, et n'est même qu'un instinct sexuel plus nettement déterminé, plus spécialisé, et rigoureusement parlant, plus individualisé». Considérons à présent, sans oublier cette vérité, le rôle important que joue l'amour dans toutes ses gradations et ses nuances, non seulement dans les pièces de théâtre et les romans, mais aussi dans le monde réel ; il se révèle être, avec l'amour de la vie, le ressort le plus puissant et le plus énergique, il met sans cesse à contribution la moitié des forces et des pensées de la partie la plus jeune de l'humanité, il est le but dernier de presque chaque aspiration humaine, il acquiert une influence néfaste sur les affaires les plus importantes, interrompt à toute heure les occupations les plus sérieuses, jette parfois pour quelque temps le trouble dans les plus grands cerveaux, ne craint pas d'intervenir avec ses pacotilles dans les tractations des hommes d'états et les recherches des savants et de les perturber, s'entend même à glisser billets doux et boucles de cheveux dans des portefeuilles ministériels et des manuscrits philosophiques, trame encore journellement les conflits les plus inextricables et les plus graves, dénoue les relations les plus précieuses, rompt les liens les plus précieux, sacrifie tantôt la vie et la santé, tantôt la richesse, le rang et le bonheur, que dis-je! fait même de celui qui est ordinairement honnête un homme sans conscience, de l'homme fidèle jusqu'alors un traître - donc au total se conduit comme un démon hostile, qui s’efforce de tout mettre à l'envers, de tout embrouiller et renverser - on sera alors porté à s'écrier : pourquoi tout ce bruit ? pourquoi cette agitation, ce déchaînement, cette angoisse et cette misère ?(cf. «Métaphysique de l'amour")

« Il faut pour être un sage pour vivre dans un monde de fous » (cf. « L’art de vieillir »)

A propos d’Arthur Schopenhauer, ou « La crise du sujet »

* Anne Henry, normalienne, professeur d'université, a consacré trois ouvrages à Proust. Après ses travaux sur l'esthétique internationale fin XIXe-début XXe siècle, ses publications ont porté sur le nihilisme littéraire marqué par Schopenhauer (Céline, Beckett notamment).

Dans la riche littérature qu’a inspirée Le Monde comme volonté et comme représentation (…) occupe une place exceptionnelle. À l’inverse de ses confrères qui se sont contentés d’en dramatiser un seul aspect – antagonisme violent des êtres, ennui, illusion de la Maya, jeux de l’amour et de l’espèce, irruption brutale des pulsions inconscientes – il est le premier à avoir pris en compte de façon équilibrée l’ensemble de la pensée schopenhauerienne pour la ramener sobrement sur le terrain de l’observation proprement philosophique qui est celui de l’existence ordinaire et non de l’exceptionnel. À la Recherche du temps perdu (…) (Gallimard,Folio/ La Pléiade) ignore la rage de Strindberg, les tragédies sanglantes du théâtre expressionniste, l’écœurement de Maupassant devant la monotonie du fond humain aussi bien que l’atmosphère funèbre des Buddenbrook, la comédie célinienne de l’Histoire, l’ennui sophistiqué des clochards beckettiens. « La vie mauvaise » y prend la forme d’un malaise diffus qui accompagne de sa basse continue les expériences quotidiennes d’un protagoniste que son oisiveté rend parfaitement réceptif à ce genre d’atteinte. Ce malaise est même le plus souvent scéniquement dissocié des quelques vrais malheurs objectifs qu’il traverse, perdre une grand-mère chérie, éprouver des déceptions amoureuses, voir disparaître une maîtresse encombrante…

Si plus qu’aucune autre création La Recherche donne le sentiment de procéder de Schopenhauer, ce n’est pas seulement en raison d’une métaphorisation distanciée qui conserve sa place hiérarchique à chaque élément du système, c’est que Proust a établi son entreprise imaginaire sur la contradiction centrale de celui-ci. Après avoir reconduit l’Être au cœur du sujet – chacun contient en soi l’essence de la vie, de la Volonté, et le monde, si réel soit-il, n’existe que dans la représentation individuelle – Schopenhauer a gâté son intuition initiale et a finalement ôté à cet individu dépositaire de l’essence les privilèges qui devaient pour cette raison lui revenir. Il l’a disqualifié, faisant de lui le jouet passif de la dynamique vitale – qu’il nomme d’ailleurs dans sa correspondance Volonté de Puissance – qui le traverse sans savoir ce qu’elle veut si ce n’est se manifester. À cet aveuglement s’ajoutent l’exiguïté et la dépendance d’une représentation dont il exige la tâche impossible de juguler « l’infini torrent du vouloir » (MVR 253). Mais surtout, tout en protestant de sa résolution, respecter les préalables de l’immanence, il ne peut s’empêcher de s’aventurer dans ce domaine interdit et d’induire de son obscurité l’anonymat fondamental de l’essence : « La partie intime de notre être a ses racines dans ce qui n’est pas phénomène mais chose en soi, là où n’atteignent pas les formes phénoménales, là où manquent par suite les conditions principales de l’individuation et où avec celles-ci disparaît la conscience claire. [...]

À la Recherche du temps perdu ne fait donc rien d’autre que mettre en scène ce que nous appelons aujourd’hui « la crise du sujet » – une crise dont Schopenhauer a été l’initiateur même si ultérieurement elle a reçu d’autres renforts spéculatifs. « Temps perdu » puisque le temps est la forme de la vie, « qu’en lui tout doit se manifester même notre personne », que « le moi ne se connaît que dans la succession » (MVR 892). Il faut donc se retourner vers son passé, se le réciter pour tenter vainement de saisir ce moi qui « n’est pas transparent mais opaque et demeure une énigme à lui-même » (MW ? 892). Ce que nous conte le roman proustien est l’errance d’un moi phénoménal qui pleure à son insu la disparition du moi transcendantal et qui à chaque déception de sa vie accuse tel ou tel barreau de sa cage. Toute l’habileté de Proust est d’expliquer comment l’insatisfaction que chacun porte en soi provient de la hantise de l’Ungrund, du défaut d’appui sur un moi plein, assuré de toutes ses possibilités.
[...]

Proust a anticipé sur l’effacement de la crise du sujet qui se dessine en notre fin de siècle. On ne saurait oublier sa pénétration philosophique. La lecture de Schopenhauer n’est pas difficile, elle n’aurait pas influencé à ce point la création artistique de Maupassant à Th. Bernhard en passant par Ch. Chaplin. Opérer sa critique de l’intérieur du système était une autre affaire. Proust est bien celui qui « a tout compris », comme le notait V. Egger, son professeur à la Sorbonne. » Copyright Anne Henry/Cahier de l’Herne 1997)


Michel
Houellebecq ( extrait d’une interview/copyright Le Point)

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·ÉconomieMichel Houellebecq : "Je suis un disciple imparfait de Schopenhauer"

Depuis le XIXe siècle, le philosophe fascine des générations d'écrivains. L'auteur de "Soumission" n'échappe pas à la règle. Propos recueillis par François Gauvin (enseignant, chercheur et auteur)

pour « Le Point »

Le Point : À quand remonte votre passion pour Schopenhauer ?

Michel Houellebecq : Je devais avoir 25 ans. J'ai découvert dans une bibliothèque municipale un peu par hasard ses Aphorismes sur la sagesse dans la vie. J'ai aussitôt décidé de lire tout ce qu'il avait fait, à commencer par ce qu'il considérait comme son œuvre majeure. Mais, dans la préface du Monde comme volonté et représentation, Schopenhauer enjoint de commencer par lire Kant. J'ai essayé, c'était trop difficile, je me suis contenté de résumés. Je crois quand même avoir saisi l'essentiel : la chose en soi, l'être du monde est inaccessible à l'homme, qui reste prisonnier des catégories de l'entendement et de la représentation.C'est attristant ; j'ai appris que cela avait désespéré Kleist, au point même de jouer un rôle dans son suicide. Et c'était très important pour moi, parce que Kleist, avec ses tragédies, est un auteur que j'admire au plus haut point. Il est malheureusement mort avant de connaître Schopenhauer, qui propose justement de sortir de cette impasse kantienne. Schopenhauer explique en effet qu'on peut accéder à la chose en soi par une ruse, qu'il compare à un « passage dérobé dans la forteresse » : l'introspection. Toutes choses procédant de la même source, étant de même nature, l'examen des caractères humains ne nous révèle pas simplement des vérités psychologiques, mais l'être du monde dans son ensemble. On comprend que ce soit un philosophe apprécié par les écrivains…

Y a-t-il un âge pour lire Schopenhauer ?

Le plus tôt possible. La désillusion n'est pas une mauvaise chose. S'il y a désillusion, c'est qu'il y a illusion ; et il n'est jamais trop tôt pour dissiper une illusion. Dans son Schopenhauer, éducateur, qui reste le meilleur texte jamais écrit sur lui, Nietzsche le décrit comme un enseignant rude, ou comme un père adressant un message austère à son fils au seuil de sa vie d'homme. C'est très juste. Il n'y a aucun cynisme chez Schopenhauer, mais il ne veut pas vous dorer la pilule, parce que la vérité l'exige. Il est austère mais amical.

Vous le préférez à Nietzsche ?

J'ai définitivement cessé de lire Nietzsche après Schopenhauer.

Pourquoi ?

La volonté est un concept très général chez Schopenhauer, il résume par exemple l'essence de l'architecture comme le conflit entre la volonté sous ses deux formes les plus élémentaires : la résistance et la pesanteur. Chez Nietzsche le concept se rabougrit, se transforme en une « volonté de puissance » platement anthropomorphique. Et la base de la morale est pour lui comme pour Schopenhauer la pitié, même si Nietzsche rejette la morale, ce qui ne l'honore guère. Quant à l'esthétique, n'en parlons pas… Il y a un passage peu connu de la RechercheProust, profond admirateur de Wagner, se moque de manière très amusante de la manie « méditerranéenne » de Nietzsche.

Mais pour le style, Nietzsche n'était-il pas plus doué ?

Nietzsche a trois styles. Celui des dissertations, comme dans les Considérations inactuelles, est mon préféré. Dans les aphorismes, il n'atteint pas tout à fait le niveau de ses modèles, les moralistes français. Enfin, il y a Ainsi parlait Zarathoustra, qui est vraiment nul, de la pseudo-poésie. Enfin il y a encore plus mauvais, c'est l'imitation française par Gide, les Nourritures terrestres, là c'est carrément à vomir. Schopenhauer, lui, est toujours élégant et ferme. Et honnête, ce qui n'est pas un petit talent.

Que pensez-vous de son esthétique ?

Il avait une grande estime pour les arts. Il y a un passage étonnant de La Métaphysique de l'amour, où il explique que les philosophes (à peu près tous) qui ont nié l'importance de l'amour sont dans l'erreur. Si l'amour était une illusion, dit-il, il n'aurait pas pu être à l'origine de créations littéraires aussi bouleversantes. C'est la première fois à ma connaissance qu'on ait employé cet argument. Oui, décidément, on comprend que les écrivains aient apprécié ce philosophe…

Vos romans, à commencer par Extension du domaine de la lutte, qui expose les misères de la vie sexuelle, semblent très schopenhaueriens. C'est une influence majeure dans vos œuvres ?

Il est difficile de répondre à cette question. Schopenhauer ne m'a pas tant influencé que cela. Je le cite souvent, des phrases ici et là, mais c'est tout. Ayant lu et apprécié Auguste Comte, je crois à l'importance fondamentale de la société et de l'histoire. Schopenhauer ne croit absolument pas à l'histoire, il ne croit absolument pas que la nature de l'homme et de la société humaine puisse changer. Je suis de ce fait un disciple imparfait.

D'autres choses que vous trouvez chez lui moins réussies ?

Il est complètement passé à côté du mouvement romantique, dont il est pourtant l'exact contemporain. Mais il a vécu sa vie dans une grande solitude, rejeté par tous, avant de connaître sur la fin un succès inattendu ; il avait des excuses pour rejeter un monde qui ne voulait pas de lui.

Il passe aussi pour antisémite…

Il n'en a aucune des caractéristiques : il estime le commerce et les arts libéraux, méprise les vertus militaires, combat le code d'honneur chevaleresque, et en plus il n'est pas de gauche... Par contre il est clairement antijudaïque, au sens religieux. Comme il va au fond des choses, il voit naturellement dans le judaïsme la racine de tout monothéisme. Et le monothéisme est le seul sujet qui lui fasse réellement perdre son calme...

Il n'est pas commode non plus envers les femmes, qu'il appelle le sexe laid…

Sa misogynie est bizarre. Il accorde aux hommes une supériorité dans l'ordre de la raison, mais aux femmes une supériorité dans l'ordre de la bonté et de la pitié. Or, si l'on suit sa propre philosophie, la bonté et la pitié sont d'un ordre incommensurablement supérieur à l'intelligence et à la raison ; elles parlent, je le cite, « le langage d'une sagesse devant laquelle toute autre doit demeurer muette ». Alors, sa misogynie, il faut relativiser…

Comment expliquez-vous qu'il vantait la compassion, tout en étant très colérique ?

Ses voisines étaient bruyantes, et il avait quand même un travail de réflexion à accomplir. Dans de telles circonstances, moi aussi, je pourrais traiter une voisine de « vieille salope »… Par contre, il est faux qu'il l'ait poussée dans l'escalier.

Il était moins difficile avec les chiens. Dans votre exposition« Rester vivant » au Palais de Tokyo, vous avez accordé beaucoup de place à votre chien Clément. La compassion, plus facile envers la race canine ?

Le chien est un cas particulier. Même si Schopenhauer rejette la nature dans son ensemble, il approuve le chien. Il a une phrase amusante : « Quant à Spinoza, il ne semble pas du tout avoir connu les chiens. » Ça résume bien les limitations du philosophe batave. Dieu est un salaud, heureusement il n'existe pas, mais il y a le chien. Qui a d'ailleurs été créé par l'homme, probablement à partir du loup ; Dieu en aurait été bien incapable.

Où situez-vous Schopenhauer dans votre panthéon personnel ?

Haut, très haut. Le premier des philosophes.

( Copyright Le Point)

Repères calendaires.Les sciences religieuses pour mieux comprendre le monde
(cf. copyright Julia Itel*, docteure en sciences des religions, chargée de communication pour « Le jour du Seigneur ») *Julia Itel fut doctorante en sciences religieuses à l’Université de Fribourg en Suisse, avant d’obtenir sa maîtrise à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal. Elle s’intéresse à la place de la religion dans nos sociétés ultramodernes


« Chaque 1er novembre, les catholiques célèbrent la Toussaint (c'est-à-dire la fête de tous les saints). Quelles sont ses origines ? Qui fête-t-on exactement ?

La fête de la Toussaint ne trouve pas ses origines dans la Bible mais, plutôt, dans un culte populaire important installé au cours des premiers siècles après J.-C. En effet, jusqu'à l'adoption du christianisme comme religion d'État par l'empereur Constantin, les débuts du christianisme sont marqués par de nombreuses persécutions envers ses membres.
Les martyrs, soit les chrétiens ayant préféré la mort à la renonciation de leur foi, constituent ainsi la majorité des premiers saints. Jusqu'au Ve siècle, le culte des saints se développe rapidement en chrétienté. Nombreuses sont les églises locales qui détiennent leur propre liste de saints et proposent des commémorations diverses à leur égard. Rapidement, l'Église va centraliser la pratique de cette dévotion aux saints et instaurer un jour officiel pour les célébrer tous ensemble. Le 13 mai 610, la fête de la Toussaint est ainsi institutionnalisée par le pape Boniface IV, à l'occasion de la mutation du Panthéon de Rome (dédié jusqu'alors aux divinités romaines) en l'église de Sainte-Marie et des martyrs. Un certain nombre de reliques de martyrs sorties des catacombes romaines y sont placées.

Bien que de nombreuses fêtes et coutumes païennes aient déjà été christianisées par l'Église, comme celle de Noël (remplaçant la célébration du solstice d'hiver), la célébration celte de Samain résiste encore aux débuts du IXe siècle. Fêtée dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, Samain est la première des quatre grandes fêtes religieuses du calendrier celte. Célébrée à la fin des récoltes, c'est une fête de passage qui marque à la fois le passage de la saison claire à la saison sombre, le début de la nouvelle année et l'ouverture, cette nuit-là, d'une porte entre ce monde-ci et celui des dieux et des esprits. Aux alentours de 830, le pape Grégoire III décide de déplacer la date de la Toussaint au 1er novembre dans le but de remplacer la célébration païenne et de mettre fin aux festivités druidiques.

Quelle est la différence entre la Toussaint et la fête des morts ?

Peu de temps après l'instauration de la Toussaint, est instituée la commémoration de tous les fidèles défunts. Célébrée le lendemain, soit le 2 novembre, on l'appelle également "jour des morts". La tradition veut que les familles se réunissent ce jour-là autour de leurs défunts pour honorer leur mémoire et fleurir leur tombe. L’Église inclut ainsi dans sa prière liturgique tous les défunts pour les accompagner. Tous, vivants ou morts, sont réunis sous le vocable de la "communion des saints", c’est-à-dire qu’ils sont déjà réunis en Dieu par la foi. »

Marlonges, ou les soins palliatifs que tous apprécieraient en fin de vie. (un film produit par le Jour du Seigneur, interview du réalisateur Grégoire Gosset)

« L’amour aura le dernier mot » nous plonge au cœur d’une petite unité de soins palliatifs, celle de Marlonges. S’y noue une relation d’une grande humanité entre l’équipe soignante et les patients en fin de vie.… Au plus proche de l’humain et de la réalité quotidienne, la caméra de Grégoire Gosset capte avec une grande pudeur ces gestes qui changent la vie des malades et de leurs familles. Des moments difficiles, des sentiments d’échec, la profondeur du doute mais aussi le temps de l'amour… c’est en cela que réside la mission sacrée des soins palliatifs. Un documentaire qui nous aide à regarder la mort pour mieux voir la vie.

« Au cœur de ce lieu qui nous fait peur à tous, ce film est une ode à la vie, un hommage charnel à ceux qui en connaissent la valeur pour la voir vaciller, la sentir perdre haleine, ralentir puis s'arrêter. » (Grégoire Gosset, réalisateur.)

Sujet peu traité dans les médias, la fin de vie a récemment fait l’objet d’un documentaire œcuménique très émouvant. L’amour aura le dernier mot, co-produit par Le Jour du Seigneur et Présence Protestante, fut diffusé le 27 août dernier. Une véritable immersion dans l’unité de soins palliatifs de Marlonges, en Charente-Maritime. Interview du réalisateur Grégoire Gosset.

(…)La souffrance, la maladie, la proximité avec la mort rapprochent bon nombre d’entre nous vers une forme de spiritualité, une quête de sens. (…)

En fin de vie, la question de l’après se pose évidemment. La question de Dieu s’invite chez les croyants comme chez les non-croyants. Ceux qui ont accepté leur fin proche sont complètement libérés. Il n’y a plus de tabou et donc, pas de perte de temps dans les échanges. Ils vont à l’essentiel même si certains n’ont pas de parcours de foi. Ils se demandent tous s’il n’y a pas quelque chose après. Certains croyants demandent parfois à être confessés auprès des aumôniers. Mais ils ne les appellent pas forcément pour ça. Des interrogations profondes deviennent des sujets centraux. Pardonner à mon frère, appeler mon fils à qui je n’ai pas parlé depuis vingt ans… Des valeurs chrétiennes comme le pardon, l’amour, la compassion, ressurgissent au moment de l’essentiel. Lorsque l’on a accepté que la mort était proche, la vérité ressort. Quant aux aides-soignantes et infirmières, elles ne sont pas forcément croyantes mais les valeurs qu’elles portent au quotidien sont des valeurs d’humanité, tout simplement !

L’offre de soins palliatifs est un enjeu majeur de notre santé publique en France. Ce film est-il une façon de sensibiliser les pouvoirs publics et le grand public ?


(..)C’est un sujet peu traité dans les médias et qui fait peur. J’ai fait ce film non pas pour prendre position mais pour faire comprendre que les soins palliatifs, ce n’est pas un mouroir ! Contrairement à cette idée reçue, les patients ne sont pas euthanasiés au bout de 48h ! C’est un endroit où il peut encore y avoir de la vie. Une fois soulagé, c’est le début d’autre chose. C’est le message fort du film !

Quel a été le parti pris dans la réalisation pour restituer l’émotion ?


Le documentaire est sans voix-off. L’idée est que chacun se fasse son commentaire dans sa tête. C’est une expérience plus immersive, en huis-clos.

Comment en êtes-vous venu à la réalisation ?
J’ai débuté comme photographe et j’ai toujours voulu affronter mes peurs. Je suis allé dans les endroits les plus pauvres du monde, dans des zones de conflit… Je me suis ainsi rendu compte que même dans les endroits les plus difficiles, on peut trouver quelque chose de beau grâce aux gens. En effet, j’ai rencontré des personnes lumineuses, des personnes qui, avec rien, réussissent à transformer l’horreur en quelque chose d’émouvant. Et c’est ça, mon moteur !

Un conseil à des jeunes qui débuteraient dans le métier ?


Pour bien faire ce métier, ne jamais accepter de trahir les gens qui acceptent d’être filmés et qui vous ont fait confiance. Tu me fais confiance, je te respecte, c’est donnant-donnant ! ».

QOSHE - Arthur Schopenhauer : le « vieillard ardent » au « précieux bagage »(donc pas tellement pénible pour l’entourage)… - Annick Geille
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Arthur Schopenhauer : le « vieillard ardent » au « précieux bagage »(donc pas tellement pénible pour l’entourage)…

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01.11.2023

Nicolas Waquet, qui rédigea la préface de « L’art de vieillir » d’Arthur Schopenhauer ( Rivages-poche) publié récemment résume ainsi ce qu’il admire le plus chez le philosophe allemand : « l’art confère à cet ardent vieillard un précieux bagage qu’il exploite à merveille ; il lui offre un moyen d’approfondir l’examen désabusé d’un monde dont il a déjà pénétré en partie les secrets, d’en déchiffrer l’énigme dans les limites de notre intelligence et d’en livrer au mieux la mystérieuse essence. »L’on ne saurait mieux dire au sujet du philosophe -écrivain tant aimé de Michel Houellebecq, autre penseur pessimiste, qui, plaçant Schopenhauer au-dessus de tout, en fit non seulement son maître mais lui consacra un essai retentissant : «En présence de Schopenhauer » (L’Herne). « L’œuvre de Michel Houellebecq est marquée par la pensée de Schopenhauer. Il ne cesse de se réclamer du philosophe pour annoncer le déclin de l’humanité et sa disparition finale. Le romancier trouve aussi, dans cette pensée, une confirmation de l’amour comme inaccessible et comme leurre. », note à ce sujet le site « Babelio ». « Entre Schopenhauer et Comte, j’ai fini par trancher », précise Houellebecq ; « et progressivement, avec une sorte d’enthousiasme déçu, je suis devenu positiviste ; j’ai donc, dans la même mesure, cessé d’être schopenhauerien. Il n’empêche que je relis peu Comte, et jamais avec un vrai plaisir ; alors qu’aucun romancier, aucun moraliste, aucun poète ne m’aura autant influencé qu’Arthur Schopenhauer. Il ne s’agit même pas de « l’art d’écrire », de balivernes de ce genre ; il s’agit des conditions préalables auxquelles chacun devrait pouvoir souscrire avant d’avoir le front de proposer sa pensée à l’attention du public », dit encore Michel Houellebecq.Le lecteur de 2023 est frappé par la modernité – pour ne pas dire l’actualité- de cette pensée qui met au centre de tout ce l’auteur appelle « la volonté » ce qui caractérise l’ambition et le désir humain.Cette « volonté »qui nous meut mais nous vaut toutes sortes de souffrances, c’est ce que Freud, puis Lacan appelleront l’inconscient. Le « moi » secret.Très averti et conscient avant tout le monde -ou presque- des forces obscures mais considérables de cet inconscient, Arthur Schopenhauer nous dit comment vieillir le moins tristement possible en nous débarrassant de ce qu’il appelle notre « volonté » ( nos désirs) pour mieux nous concentrer sur le Beau ( cf. l’art) ; c’est-à-dire cette manière de penser le monde en donnant sa priorité à l’art, seul lieu où notre « volonté » (cf.désirs conscients ou pas) n’accède pas. Le « Beau », au fur et à mesure de l’âge devant- autant que possible- l’emporter sur la « volonté » pour devenir, au soir de nos vies, le moteur de celles-ci .

Arthur Schopenhauer est un philosophe allemand du 19e siècle né le 22 février 1788 à Dantzig et décédé le 21 septembre 1860 à Francfort-sur-le-Main. Il a influencé de nombreux écrivains, philosophes et artistes des 19 et 20e siècles avec son ouvrage Le monde comme volonté et comme représentation (1819). C’est un philosophe mondialement connu qui continue à être lu et étudié par de nombreux lecteurs et étudiants.

Ses écrits philosophiques En 1814, à la suite d’une dispute avec sa mère, il déménage à Dresde. Il publie en 1815 un premier essai, Sur la vue et les couleurs, après de longues discussions avec Goethe, qu’il rencontre à nouveau à Weimar. Puis il se lance, entre 1814 et 1818, dans la rédaction de sa future grande œuvre, Le monde comme volonté et comme représentation (1819). L’ouvrage ne rencontre pas un succès immédiat, et il faudra attendre sa troisième édition, en 1859, pour qu’il soit reconnu comme un ouvrage majeur de la philosophie du 19e siècle. N’arrivant pas à vivre de son travail d’écriture, Arthur Schopenhauer devient quelques mois chargé de cours à l’université de Berlin, puis part vivre en Italie. En 1820, il publie Philosophie du droit. En 1825, guéri d’une dépression, il retourne en Allemagne et poursuit son travail d’écriture. Il écrit le mémoire Sur la liberté de la volonté humaine (1839), puis l’essai Sur le fondement de la morale (1840), regroupés dans un seul et même ouvrage, Les Deux problèmes fondamentaux de l’éthique. En 1851, il publie le recueil Parerga et Paralipomena, comprenant l’essai Aphorismes sur la sagesse de la vie.

L’univers « schopenhauérien »/Arthur Schopenhauer considère que la philosophie doit servir le plus grand nombre et n’est pas un art privé, comme le considéraient les philosophes grecs. Néanmoins, il regrette qu’elle soit tristement enseignée dans les universités à des fins de récupération politique, ce qui vise le philosophe Georg Wilhelm Friedrich Hegel. D’après lui, le monde ne peut se concevoir que comme une représentation d’après le principe de la raison, ce qu’il développe dans son ouvrage célèbre Le monde comme volonté et comme représentation (1819). La raison est l’outil qui permet à l’homme de créer des concepts et d’échanger avec les autres sur sa vision du monde, et ce, par le biais d’inductions. Il distingue la raison de l’intuition. Il met en avant également le concept philosophique de « volonté» au centre de toutes choses et perceptions.

Schopenhauer ( extraits)

L’illusion de l’amour

« Toute inclination amoureuse, en effet, pour éthérées que soient ses allures, prend racine uniquement dans l'instinct sexuel, et n'est même qu'un instinct sexuel plus nettement déterminé, plus spécialisé, et rigoureusement parlant, plus individualisé». Considérons à présent, sans oublier cette vérité, le rôle important que joue l'amour dans toutes ses gradations et ses nuances, non seulement dans les pièces de théâtre et les romans, mais aussi dans le monde réel ; il se révèle être, avec l'amour de la vie, le ressort le plus puissant et le plus énergique, il met sans cesse à contribution la moitié des forces et des pensées de la partie la plus jeune de l'humanité, il est le but dernier de presque chaque aspiration humaine, il acquiert une influence néfaste sur les affaires les plus importantes, interrompt à toute heure les occupations les plus sérieuses, jette parfois pour quelque temps le trouble dans les plus grands cerveaux, ne craint pas d'intervenir avec ses pacotilles dans les tractations des hommes d'états et les recherches des savants et de les perturber, s'entend même à glisser billets doux et boucles de cheveux dans des portefeuilles ministériels et des manuscrits philosophiques, trame encore journellement les conflits les plus inextricables et les plus graves, dénoue les relations les plus précieuses, rompt les liens les plus précieux, sacrifie tantôt la vie et la santé, tantôt la richesse, le rang et le bonheur,........

© atlantico


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