« Aimer vous condamne à la solitude », dit Virginia Woolf dans « Mrs Dalloway » ( 1929). Anne NIVAT en sait quelque chose : reporter de guerre depuis trente ans, elle exerce en solo son métier tant aimé.Dans son nouvel essai : « La haine et le déni -avec les Ukrainiens et les Russes dans la guerre (Flammarion/mars 2024), Anne Nivat fait voyager ses lecteurs de la Russie à l’Ukraine et retour, sur le terrain de pays en guerre pour comprendre l’autre, Ukrainien ou Russe, civil ou militaire, victime ou occupant, à la rencontre de femmes et d’hommes de tous âges et de toutes conditions. Créant avec ces interlocuteurs un rapport de confiance et de solidarité, Anne Nivat note leurs réponses et réactions, si bien qu’au fil des pages et de ses impressions de voyage, nous profitons de sa délicatesse pour tout comprendre, mieux.Il y a dans cet essai de l’intelligence, de la bonté, donc de l’espoir. Anne Nivat ne juge pas, elle écoute. La paix, un jour, pourquoi pas ? Cette Française l’a prouvé au fil de son œuvre, elle chérit l’étrangeté magnifique d’autrui, mais n’est-ce pas la règle pour tout journaliste qui se respecte ? Imprévisible et sûre, lointaine et familière, cultivée et factuelle, singulière en somme, Anne Nivat s’en va au contact des belligérants sans les préjugés de l’idéologie. Telle est son ambition, chaque fois renouvelée : comprendre, et faire respecter la vérité des personnes, ses personnages.Faire entendre dans le vacarme des attentats et le désespoir des survivants sa vérité. Anne Nivat -prix Albert Londres avec « Chienne de Guerre » (Fayard/2000) a sillonné pour ce nouvel ouvrage l’Ukraine et la Russie en guerre à la recherche du terrain qui est à la journaliste ce que les gants sont au boxeur,terrain qui lui permet de faire fi des oukases de la propagande ainsi que de l’impératif catégorique du discours en vogue. Journaliste de terrain, elle entend et voit tout, sachant exactement de quoi il retourne. Elle ne juge personne, pour mieux écouter tout le monde, au point de se faire des amis dans les deux camps.

« Ce livre est le fruit de mes séjours en Ukraine au printemps 2022, suivis de voyages en Russie à l’automne-hiver 2022-2023, ainsi qu’au printemps 2023. Il est aussi nourri de la vie que j’ai menée dans cet espace né de la dislocation de l’empire soviétique. La guerre n’est pas finie, raison de plus pour écrire ces combats qui mettent en scène honneur, déshonneur, humiliation et arrogance, observer la danse macabre de deux états distincts que d’aucuns ont pu croire frères, et faire s’exprimer celles et ceux traversant ce drame. Démultipliée par le nombre de morts et les atrocités, la haine s’est installée. Face à elle, le lourd poison du déni s’est accumulé et a distordu la réalité. Au moment où j’écris ces lignes, les relations entre les deux belligérants sont envenimées et bloquées. » Reporter de guerre, Anne Nivat rêve de paix ; elle chérit le métier de presse au point qu’elle l’exercerait pour rien, par amour, car tel est son bonheur sur cette terre. « Mon expérience est nourrie par la connaissance de terrains sillonnés des années avant le déclenchement de la guerre, par celle de la langue, de la culture, et de l’hisoire des zônes où se déroulent les combats, dit-elle dans « La haine et le déni » « La guerre c’est sale, reprend-elle, « la guerre ça pue, la guerre, c’est la mort à coup sûr, mais c’est aussi la vie, l’émotion, des histoires humaines intenses, de l’héroïsme, de l’amitié, du courage et de la solidarité. » (page25/La Haine et le déni » (Flammarion).

Essayiste et reporter de guerre - spécialiste des questions internationales ( Le Point/LCI),Anne Nivat arpente une fois de plus l’Ukraine et la Russie pour comprendre ce qui ne se trouve pas dans les journaux - fussent-ils excellents - ni dans les livres - aussi bons soient-ils, c’est à dire la complexité des réactions humaines dans la guerre telle que ressenties et appréciées par elle, Anne Nivat, en particulier.En effet, point de théories ni de prévisions. Il s’agit d’expériences subjectives, de visions, et l’opinion d’autrui, toute passionnante qu’elle soit -ne peut guérir la voyageuse de sa curiosité, de son désir d’apprendre et de comprendre par elle-même, sans cahier du maître ni a priori, et chaque fois un peu mieux, tout le temps un peu plus. Pour ce faire, Anne Nivat utilise son outil de prédilection, porte-bonheur assez sacré: le terrain. Rien à voir avec les théories sur dossiers. Cette excellente femme de presse improvise. « C’est à ce moment précis (une séquence Poutine en télévision, NDLR) que le désir de partir faire mon métier en Ukraine m’a submergée, pour donner vie au monde à travers le témoignage, éclaircir l’ignoble et faire surgir l’humain. » (Page29, « La Haine et le déni ») .

Depuis le 24 février 2022,la violation par la Russie de la souveraineté de l’Ukraine risque de provoquer la troisième guerre mondiale. « La haine et le déni » (Flammarion) nous ouvre les yeux. Et nous réfléchissons à la douloureuse question de la morale en politique étrangère. « Je me rends compte que les Russes se comparent toujours aux Ukrainiens tout en restant persuadés de leur supériorité », dit Anne Nivat ( Page 81, « La haine et le déni »). Quand tous les discours dont téléguidés, fondés sur la propagande ou l’idéologie, Anne Nivat dit quelque chose de vrai, qui a tout à voir avec la culture, l’humanité.Il n’est pas anodin que cette démarche soit celle d’une femme, et d’une femme française, de surcroît. Héritière de Jeanne d’Arc, des Salons Littéraires et de la République, Anne Nivat est une femme des Lumières.Elle ose prendre le micro et la plume pour parler vrai, ce qui est rare donc courageux. L’époque est tellement lasse de ses ratés, que nous entrons dans une nouvelle ère. Seuls ceux qui parlent vrai se feront comprendre, et s’en sortiront. Les autres auront beau faire en tant que puissants de beaux et longs discours, avoir les mots les plus délicats de notre langue (par ailleurs abîmée, méprisée, ignorée par les « hypnotisés » ( les « hypnotisés » étant tous ceux qui,de 7 à 88 ans, rivés à leurs écrans, ne savent plus ni parler, ni écrire notre belle langue.

Anne Nivat a d’excellents confrères qui placent eux aussi leur métier de journalistes au- dessus de tout ; mais outre le fait de leur grande rareté, ils ne sont pas du genre féminin. Pascal Bruckner - auteur de « Je souffre donc je suis » (Grasset), sera content : les femmes intelligentes et belles ne jouent pas les« victimes » et n’ont pas peur - du grand méchant homme. Les autres - sous emprise-, sont sur le pied de guerre et pleurnichent. Comment faire carrière sous emprise et en pleunichant ? Mystère. « La réalité de ce territoire sous les bombes (…)ne se dévoile que sur le terrain, à hauteur d’hommes (et de femmes). Anne Nivat s’est rendue des deux côtés de la ligne de front pour rencontrer soldats et civils, plongés dans la haine pour certains et le déni pour d’autres. Précieux, leurs mots permettent de décrypter leur état d’esprit et jettent une nouvelle lumière sur ce conflit qui dure. » nous dit Flammarion au sujet de « La haine et le déni ».« Anne Nivat ou la "peinture" documentée de la vie des humains en temps de guerre. », conclut un témoin, admiratif. Belle définition..« Je n’avais pas peur, mais c’est comme si, enserrée de toutes parts, j’avais subitement touché les limites de ma vie », murmure Anne Nivat en conclusion. Superbe.

Annick GEILLE

Titre Extrait

La stupeur et l’effroi

« Je l’écris une fois pour toutes : dans cette guerre qui a débuté le 24 février 2022, la Russie est l’agresseur.Elle a envahi son voisin, violé sa souveraineté, nié son identité, causé d’ignobles pertes humaines et plongé le monde dans la stupeur et l’effroi.Si, après avoir refermé ce livre, ceux qui auront eu le plaisir ou le courage de le lire se disent qu’ils ne savent pas où me placer, côté russe ou côté Ukrainien, je serai satisfaite. N'appartenir à aucun camp, n’écouter ni les injonctions des uns ni des autres, voguer, libre, sans rien devoir à personne, au service de l’information, est exactement ce que je souhaite »( Anne Nivat -« Avant-propos »- La haine et le déni).

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Anne Nivat : « Sur le terrain, faire surgir l’humain »

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24.03.2024

« Aimer vous condamne à la solitude », dit Virginia Woolf dans « Mrs Dalloway » ( 1929). Anne NIVAT en sait quelque chose : reporter de guerre depuis trente ans, elle exerce en solo son métier tant aimé.Dans son nouvel essai : « La haine et le déni -avec les Ukrainiens et les Russes dans la guerre (Flammarion/mars 2024), Anne Nivat fait voyager ses lecteurs de la Russie à l’Ukraine et retour, sur le terrain de pays en guerre pour comprendre l’autre, Ukrainien ou Russe, civil ou militaire, victime ou occupant, à la rencontre de femmes et d’hommes de tous âges et de toutes conditions. Créant avec ces interlocuteurs un rapport de confiance et de solidarité, Anne Nivat note leurs réponses et réactions, si bien qu’au fil des pages et de ses impressions de voyage, nous profitons de sa délicatesse pour tout comprendre, mieux.Il y a dans cet essai de l’intelligence, de la bonté, donc de l’espoir. Anne Nivat ne juge pas, elle écoute. La paix, un jour, pourquoi pas ? Cette Française l’a prouvé au fil de son œuvre, elle chérit l’étrangeté magnifique d’autrui, mais n’est-ce pas la règle pour tout journaliste qui se respecte ? Imprévisible et sûre, lointaine et familière, cultivée et factuelle, singulière en somme, Anne Nivat s’en va au contact des belligérants sans les préjugés de l’idéologie. Telle est son ambition, chaque fois renouvelée : comprendre, et faire respecter la vérité des personnes, ses personnages.Faire entendre dans le vacarme des attentats et le désespoir des survivants sa vérité. Anne Nivat -prix Albert Londres avec « Chienne de Guerre » (Fayard/2000) a sillonné pour ce nouvel ouvrage l’Ukraine et la Russie en guerre à la recherche du terrain qui est à la journaliste ce que les gants sont au boxeur,terrain qui lui permet de faire fi des oukases de la propagande ainsi que de l’impératif catégorique du discours en vogue. Journaliste de terrain, elle entend et voit tout, sachant exactement de quoi il retourne. Elle ne juge personne, pour mieux écouter tout le monde, au point de se faire des amis dans les deux camps.

« Ce livre est le........

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