Certaines institutions d’enseignement supérieur et de recherche françaises tiennent des positions envieuses dans le « classement de Shanghai ». Paris-Saclay occupe, en 2023, la quinzième place (première université non anglo-saxonne). En haut du panier figurent 12 universités américaines et 2 britanniques. Beau succès français, auquel s’ajoutent les belles performances de 26 autres universités françaises classées dans le top 1000 (dont 18 dans le top 500 et 4 parmi les 100 premières… selon le même classement). Pour l’Europe, en nombre d’établissements, la France est tout de même dépassée par le Royaume Uni (38 établissements) et l’Allemagne (31 établissements) dans le top 500. Dans le classement final de 1000 établissements, la Chine arrive en tête avec 191, suivie des Etats-Unis (187).

Le « classement de Shanghai » date de 2003 à l’initiative de l’université chinoise Jiao-Tong. 2500 établissements sont évalués pour en retenir 1000 ; les sciences de la matière et de l’ingénieur y sont privilégiées. Harvard, Stanford, le Massachusetts Institute of Technology (MIT), Cambridge, Berkeley, Princeton, Oxford... Mais ce « ranking » n’est pas le seul ! Les « classements » pullulent… À quels classements se fier ? Quelle université fréquenter ? Quelle discipline convoiter ? Sera-t-elle assez prometteuse pour exceller dans la profession ? Le choix d’une université et d’un domaine d’études contribue à la structuration sociale et conforte (nécessairement) le processus de production et surtout de reproduction des élites intellectuelles, politiques et économiques. Il ne faut pas se tromper… Le capital-connaissances de départ de la carrière est primordial. Les classements des universités, en effet, sont l’un des principaux outils stratégiques utilisés par les futurs étudiants avisés et aisés (et leurs familles) pour se positionner socialement (insertion, maintien, ascension), ou tout simplement pour réaliser une aspiration ou une ambition ; ceci en relation avec le « poids » de la discipline scientifique et/ou technique au sein de l’université d’« excellence » visée.

Toutefois, comme l’idée générale des classements des universités suscite peu de réactions de la part du grand public et comme ces classements sont nombreux et les critères diffèrent, la décision du choix est compliquée. Ces dernières années, les universités « cotées » mentionnent plusieurs classements dans leurs campagnes de communication, ce qui brouille les pistes ; la perception principale étant que... toutes les universités sont classées.

Comment les universités sont classées ? Quels critères sont privilégiés ? Les classements des universités utilisent des critères et des mesures spécifiques de performance et prétendent donner des informations sur la qualité de l’enseignement et de la recherche, sur l’influence sur la société, sur l’ouverture internationale, etc. Il n’existe cependant pas qu’un seul type de classement, ce qui peut prêter à confusion. Trois catégories de classements se profilent :

- Celles qui évaluent les universités sur la base de leur qualité globale et les classent par rapport aux standards « idéaux » des meilleures universités du monde.

- Celles qui évaluent les universités sur la base de leurs performances dans des secteurs académiques particuliers (économie, mathématiques, sciences cliniques et de la santé, psychologie, sciences de l’ingénieur, physique, etc.).

- Celles qui évaluent les universités sur la base de leur contribution à la société plutôt que sur leur niveau académique (par exemple pour leurs actions en matière de responsabilité sociale, de développement durable, de bien-être du personnel et des étudiants, d’insertion professionnelle, etc.).

Les classements qui ont le plus de poids sont les deux premiers. Cela s’explique par le fait que, mieux quantifiables globalement ou par discipline académique, les critères utilisés permettent la comparaison et, donc, le calcul des frais d’études supportés par les aspirants étudiants (et leurs familles). Mais, de l’autre côté, ces classements ignorent la « contribution sociale » lorsqu’ils définissent ce qu’est une « bonne université ».

Les classements les plus populaires qui évaluent la qualité globale de l’enseignement dispensé par une université, sont les suivants :

- Le « Times Higher Education (THE) World University Ranking » : publié pour la première fois en 2004, il se base sur 13 critères, dont l’enseignement, la recherche, les références, les connaissances industrielles et la perspective internationale.

- Le « Academic Ranking of World Universities (ARWU) » ou « Shanghai Ranking » : publié pour la première fois en 2003 privilégie six critères, tels que le nombre de diplômés et de professeurs ayant obtenu des prix Nobel et des médailles Fields, le nombre de chercheurs cités dans des publications scientifiques, le nombre d’articles publiés dans les revues Nature et Science, le nombre d’articles indexés dans Science Citation Index et Social Sciences Citation Index, la performance académique en rapport avec la taille de l’établissement.

- Le QS World University Rankings : publié pour la première fois en 2004, il prend en compte six critères tels que la réputation académique, la réputation de l’employeur, les citations académiques par professeur, le ratio professeurs/étudiants, la dimension internationale – collaborations internationales.

Les évaluations fondées sur les secteurs particuliers classent les universités selon la qualité de l’enseignement offert dans des disciplines scientifiques « individualisées ». L’un de ces classements est le célèbre Times Higher Education (THE), « World University Rankings by Subject », qui évalue les performances et la réputation des universités dans des disciplines/matières académiques spécifiques. Par exemple, si un étudiant souhaite suivre des études en économie et en management et s’inscrit à l’Université d’Oxford, qui est classée première dans le classement mondial des universités du Times Higher Education (THE), il sera défavorisé par rapport à son collègue qui poursuit les mêmes études au MIT ; celui-ci étant classé premier dans ce domaine (selon le THE), tandis que l’Université d’Oxford se trouve deux places plus bas.

Selon le discours officiel, les classements des deux premières catégories sont censés évaluer la qualité (partielle et/ou globale) de l’enseignement académique dispensé par les universités. Il s’agit donc d’outils qui offrent normalement une image impartiale des attentes que l’on devrait avoir vis-à-vis de l’université que l’on choisit.

La troisième catégorie de classements porte sur un autre aspect de la fonction des universités : leur contribution sociale. Dans ce cas, la performance d’un établissement d’enseignement et de recherche est mesurée par ses « sciences en société », par sa responsabilité sociétale, par la priorité donnée aux « objectifs de développement durable » (qui doivent répondre « aux défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés, notamment ceux liés à la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité, à la paix et à la justice »). L’exemple type de ces classements est l’Impact Rankings du Times Higher Education qui mesure les efforts concertés d’information et de sensibilisation visant à relever les défis mondiaux et à promouvoir un impact positif sur la société.

Petit rappel. Selon le Code de l’éducation, en France, l’Université (terme générique) doit satisfaire à six exigences : formation initiale et continue tout au long de la vie ; recherche scientifique et technologique, diffusion et valorisation de ses résultats au service de la société (innovation, transfert de technologie, partenariats PPP – public-parapublic-privé) ; orientation, promotion sociale et insertion professionnelle ; diffusion de la culture humaniste, scientifique, technique et industrielle ; participation à la construction de l’Espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche ; coopération internationale. Nous sommes loin des critères purement quantitatifs…

Dans tous les cas, le futur étudiant et ses proches (toute référence aux moyens matériels, financiers, sociaux et cognitifs prise en considération), sont appelés à adopter des outils et des méthodes de management de carrière pour analyser les classements des universités, leur valeur, leurs critères et leurs différents aspects de pertinence afin de prendre une décision bien renseignée et aussi objective que possible lors du choix de ce parcours de vie. Mais, la capacité managériale la plus importante est la capacité de jugement… critique (Jean-Baptiste Say).

Notons que ces classements, dans leur ensemble souvent contestés, sont en train de perdre leur crédibilité pour des raisons géopolitiques. Le 17 juillet 2023, lors du sommet des ministres de l’éducation des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) en Afrique du Sud, il a été annoncé que ces pays envisageaient de créer leur propre classement ! Sanctions économiques, isolement politique, faibles moyens pour la recherche et l’enseignement, etc., ces pays souhaitent lancer un classement indépendant basé sur des indicateurs qualitatifs. Le classement alternatif proposé mettrait l’accent sur la qualité des résultats en rapport avec l’intégration des « connaissances culturelles et autochtones » de chaque pays. A ceci s’ajoutent l’appel des universités de la Corée du Sud au boycott des classements internationaux (notamment le QS) pour manque de transparence et le désaccord des universitaires africains sur le choix des indicateurs. La science du « Nord du monde » baisse les bras !

A propos de l’auteur

Dimitri Uzunidis est professeur d’économie et diplômé en sociologie, en sciences politiques et en journalisme. Ses travaux portent sur les relations entre science, technologie et industrie dans une perspective internationale.

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Classement des universités : pour le meilleur et pour le pire !

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15.12.2023

Certaines institutions d’enseignement supérieur et de recherche françaises tiennent des positions envieuses dans le « classement de Shanghai ». Paris-Saclay occupe, en 2023, la quinzième place (première université non anglo-saxonne). En haut du panier figurent 12 universités américaines et 2 britanniques. Beau succès français, auquel s’ajoutent les belles performances de 26 autres universités françaises classées dans le top 1000 (dont 18 dans le top 500 et 4 parmi les 100 premières… selon le même classement). Pour l’Europe, en nombre d’établissements, la France est tout de même dépassée par le Royaume Uni (38 établissements) et l’Allemagne (31 établissements) dans le top 500. Dans le classement final de 1000 établissements, la Chine arrive en tête avec 191, suivie des Etats-Unis (187).

Le « classement de Shanghai » date de 2003 à l’initiative de l’université chinoise Jiao-Tong. 2500 établissements sont évalués pour en retenir 1000 ; les sciences de la matière et de l’ingénieur y sont privilégiées. Harvard, Stanford, le Massachusetts Institute of Technology (MIT), Cambridge, Berkeley, Princeton, Oxford... Mais ce « ranking » n’est pas le seul ! Les « classements » pullulent… À quels classements se fier ? Quelle université fréquenter ? Quelle discipline convoiter ? Sera-t-elle assez prometteuse pour exceller dans la profession ? Le choix d’une université et d’un domaine d’études contribue à la structuration sociale et conforte (nécessairement) le processus de production et surtout de reproduction des élites intellectuelles, politiques et économiques. Il ne faut pas se tromper… Le capital-connaissances de départ de la carrière est primordial. Les classements des universités, en effet, sont l’un des principaux outils stratégiques utilisés par les futurs étudiants avisés et aisés (et leurs familles) pour se positionner socialement (insertion, maintien, ascension), ou tout simplement pour réaliser une aspiration ou une ambition ; ceci en relation avec le « poids » de la discipline scientifique et/ou technique au sein de l’université d’« excellence » visée.

Toutefois, comme l’idée générale des classements des universités suscite peu de réactions de la part du grand public et comme ces classements sont nombreux et les critères diffèrent, la décision du choix est compliquée. Ces dernières années, les universités « cotées » mentionnent plusieurs classements dans leurs campagnes de communication, ce qui brouille les pistes ; la perception principale étant que... toutes les universités sont classées.

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